Chapitre 39

PDV William

La page blanche. Ce syndrome que tout écrivain expérimente un jour. Comme c'est frustrant, de ne pas parvenir à poser un mot sur cette feuille, alors même que c'est le seul moment où l'on se sent vraiment soi-même. C'est comme si l'univers ne nous permettait pas de nous exprimer, nous obligeait à retenir nos mots et nos pensées. Nos émotions fermement enfermées en nous. Elles s'accumulent, se mélangent, s'entrechoquent, nous laissant en équilibre sur un fil bien trop fin pour supporter indéfiniment notre poids.

Oui, la page blanche, c'est une façon de se détruire de l'intérieur, consciemment ou inconsciemment, de notre volonté ou non.

Je n'écris pas. Ou plutôt, pas avec des mots. Mais j'ai aussi mes pages blanches. Mes toiles blanches. Lorsque comme maintenant, aucune couleur ne s'affichent derrière mes paupières, aucun ton, aucun mélange, aucune harmonie ni même forme.

Mes muscles se crispent, de colère, de rage même, mais peut-être aussi d'une certaine déception. Mon corps est tendu de ne pas parvenir à laisser sortir tout ce que je sais être en moi.

Cette toile, je suis dessus depuis des semaines. Mais depuis un certain temps, je me sens incapable de la continuer, de la finir. Je ne trouve pas le détail qui manque, et pourtant, je sens au plus profond de moi qu'elle est incomplète. Ce n'est pas quelque chose que je peux accepter. Chaque toile est un morceau de mon âme. Et chaque morceau doit être un reflet exact de ce que je veux exprimer avec cette partie de mon être.

Je glisse un regard sur la jeune femme non loin de moi, dans la pièce. Je sais que le sien est fixé depuis un moment dans mon dos, comme je sais qu'elle va rougir, lorsqu'elle va saisir que je l'ai prise sur le fait. Elle n'avance pas plus que moi, et j'en viens à me demander si ma condition n'est pas contagieuse. L'autoportrait qu'elle a commencé est loin d'être terminé, tandis qu'elle se complet dans la contemplation de ma silhouette.

D'un signe de tête, je lui indique d'avancer, sans détourner mon regard d'elle, ravi de la voir rougir un peu plus à chaque pas sous celui-ci. Durant ces courts pas chancelants, elle m'offre un moment de détente, où j'oublie le capharnaüm qui se joue en moi tandis que je ne parviens à peindre. C'est mon oxygène, et l'on me prive de respirer. Elle est une sorte de bouffée d'air, un répit dans mon apnée. Je repose mes yeux sur la toile lorsqu'elle se place à mes côtés, devant elle.

— Que lui manque-t-il, selon toi ?

Elle se pince les lèvres, me jette un coup d'œil, avant de fuir et se cacher derrière ses cheveux pour faire mine d'observer ce qui s'étend devant nous.

— Si je te pose la question, c'est que je ne crains pas la réponse.

Je ne suis pas à mène de juger.

— C'est à moi d'en décider. Tu peux toujours retourner à ton pupitre et faire mine d'avancer alors que tu es fixée sur mon dos, ou tu peux m'aider.

Nouveau rougissement, nouvelle lueur dans son regard. Elle veut jouer, et j'ai envie de jouer, aussi.

Tu devrais revoir ta façon de demander des services.

— Qui a dit que je demandais ?

Qui t'a donné le droit d'ordonner ?

Elle parvient à me faire monter un sourire. Ce brin de caractère, ce trait de sa personnalité qu'elle semble n'offrir qu'à ma personne me plaît chaque fois un peu plus. D'autant plus lorsqu'il se mélange avec cette rougeur que je parviens sans trop de mal à étendre sur ses joues. Le parallèle entre cette teinte et la lumière dans ses yeux m'apparaît comme un chef d'œuvre dont même moi je ne saurai rendre la beauté.

— Depuis quand attends-je qu'on me donne des droits ? Petit zombie, il faut prendre soi-même ce qu'on souhaite.

Je doute que ce soit une vérité générale.

— Un jour, tu comprendras.

Et peut-être qu'un jour, je te réclamerais toi.

Une pensée qui m'échappe, que je camoufle bien profondément, là où elle ne m'atteint plus. Un instant de folie, rien de plus.

Elle lève les yeux au ciel, et les repose sur la toile, semblant déclarer une trêve.

De la couleur.

— Il est volontairement exempt de couleur.

Tu m'as demandé ce qu'il manquait selon moi. C'est ma réponse.

Je l'observe un moment, comme si ce temps pouvait me permettre de lire en elle. Peut-être que si elle m'offrait la profondeur de son regard, je saurai trouver les mots et émotions qui se jouent en elle. Pour l'instant, elle m'en prive, alors que ses mots se font un chemin dans mon esprit. De la couleur. Est-ce vraiment ce qu'il manque ? Le détail des courbes que j'ai tracées sur la toile ne parvient à me donner une réponse. Alors je décide de la forcer, pour ne plus continuer à me poser la question.

J'attrape un pinceau, et je lui tends, forçant ses yeux étonnés à se reposer dans les miens.

Hors de question.

— Je n'ai pas posé de question.

Cela reste ma réponse. Je refuse de peindre sur ta toile.

— Pourquoi donc ?

Son visage me laisse comprendre que cela lui semble pourtant évidemment, et elle n'a pas besoin de me taper ce qu'elle pense pour que je ne le saisisse.

— Je suis bloqué sur cette toile depuis des jours. Je vais finir par la balancer par la fenêtre, de toute façon, alors ne te retiens pas.

Elle semble juger de mon sérieux, et pour toute preuve, je saisis sa main de la mienne et y glisse le pinceau. Je passe sur les frissons que je sens sur sa peau, je passe sur le fait qu'ils paraissent attirer les miens. Je passe aussi sur ce drôle de sentiment égoïste, qui me donne envie de ne pas lâcher cette main. Je balaye tout ça de mon esprit, et de toutes autres parties de mon cœur où l'idée aurait pu se loger, et libère ses doigts des miens, pour qu'elle puisse peindre.

Au fond, j'espère qu'elle saura trouver, ce morceau manquant. Qu'elle saura remettre en marche la machine interne qui me permet de respirer.

Au fond, je sais qu'elle saura trouver, ce morceau manquant. Qu'elle est la seule qui peut remettre en marche interne qui me permet de vivre.

Et elle le fait. Elle plonge l'outil dans un pot de peinture, dont je ne vois pas de suite la couleur, et elle dépose la matière sur la toile. Je ne sais pas si elle sait ce qu'elle fait. Peut-être trace-t-elle des traits au hasard. Ou peut-être pas. Mais alors qu'elle étend cette unique couleur sur l'ensemble de mon tableau, elle semble trouver, non, créer, exactement ce petit morceau.

Je reste un moment à observer ce qu'elle a peint, tandis qu'elle attend, avec impatience je le sais, peut-être avec une certaine angoisse, que je lui donne mon avis. Je pourrais lui dire qu'elle a trouvé. Je pourrais lui dire qu'elle vient de créer mille images en moi, chasser cette page blanche qui m'assaille depuis des jours. Je pourrais lui dire que ce n'est pas tant ce qu'elle a peint, que le fait que ce soit elle qui l'ai fait. Je pourrais la remercier.

Mais je n'en fait rien. Trop de mots pour moi. Trop de sentiments que je ne parviens à exprimer. Je me contente d'un regard, en silence. Je lui offre ce que j'en pense, et je sais qu'elle le capte.

Et puis je lui donne un sourire. Pour créer cette bulle qui nous entoure, parfois.

— Du rouge, hein ?

Elle prend la même teinte que celle qu'elle vient d'utiliser, mais ne baisse pas le regard.

C'était la couleur qu'il manquait.

— Tu es bien sûre de toi.

Ose me dire le contraire.

Je hausse un sourcil, amusé de sa répartie. Mais je n'ose pas, parce qu'elle a raison, et qu'elle le sait.

— Maintenant, je peux savoir pourquoi tu n'as pas avancé sur ton autoportrait ?

Te regarder, n'est-ce pas un peu comme de l'entraînement ?

— J'aurais pu accepter cette excuse si j'avais peint cette dernière heure.

C'est de cette façon que tu dis merci ?

— As-tu envie que je le dise ?

Non.

Non, parce que c'est ce côté ci, qu'elle apprécie, chez moi. Celui auquel elle aime de plus en plus répondre, celui qui fait ressentir celle qu'elle est, au fond d'elle. C'est ce que me souffle cette petite lumière, dans son regard.

A-t-elle remarqué comme nos corps se sont approchés ? A chaque réplique, un pas de plus. D'elle, de moi, de nous deux. Je commence à sentir son souffle sur mon visage. Sur mes lèvres. Je retiens mes yeux de descendre sur les siennes. Comme si c'était interdit. Comme si c'était le risque de craquer. Mais craquer pour quoi ? Je ne veux pas la réponse. Ou peut-être que je l'ai déjà.

Tu deviens moins tyrannique.

Avec toi, uniquement. C'est la réponse que j'ai aux bords des lèvres, mais que je garde précieusement. Parce que plongé dans son regard, je n'arrive pas à faire quoi que ce soit d'autre que de la regarder. Le moindre mouvement paraît être un danger, quant à présent, les battements de son cœur parviennent jusqu'à mes oreilles.

Elle est trop proche. Ou pas assez.

Ce que nous sommes en train de faire, je ne le sais pas. Je sens seulement le bout de son nez qui effleure le mien. Me suis-je penché, ou bien est-elle sur la pointe des pieds ?

Son parfum vient m'entourer, tandis que je retiens mes bras de faire de même avec elle.

Un centimètre. Un seul mouvement suffirait. Dans ses yeux, je cherche un détail qui me hurlerait de m'arrêter. J'ai plutôt l'impression que tout ce que j'y trouve me hurle d'avancer.

— Arrête nous.

Mais elle ne le fait pas. Mon esprit cesse un instant de penser. Il s'apprête seulement à me faire franchir ce dernier centimètre.

Jusqu'au bruit de la porte qui claque, et la voix de Natt qui résonne, nous proposant de manger.

L'écart entre nous se reforme de lui-même, tandis qu'elle s'enfuit de la pièce en clopinant, rougissante. Mon cousin reste un instant silencieux, et je ne me retourne pas pour lui offrir un regard.

— Est-ce qu'on en parle ?

— Il n'y a rien à dire.

Pourtant, il y aurait beaucoup. Trop pour moi. Si il n'était pas entré, qu'est-ce qui nous aurait arrêté ?

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Je sens que vous me haïssez, et Natt aussi x) Patience, ça va arriver :P

A dimanche pour la suite,

Kiss :*

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