Chapitre 35
PDV William
Je peine à m'extirper des babillages incessants de Natt, qui cherche à connaître l'état précis de Kanako, quand une femme que je ne connais pas se plante devant moi, visiblement décidée à attirer mon attention. Fatigué de répondre à mon cousin que la situation est la même que les 120 minutes précédentes, à savoir une cheville rouge et gonflée et un cul posé sur une chaise inconfortable dans une salle d'attente, je prends sa présence incongrue comme une aide bienvenue.
J'écarte un instant le téléphone de mon oreille, prenant une pause bien méritée, et indique d'un haussement de sourcil à l'inconnue que je l'écoute.
— Vous devriez rentrer. Votre amie a des ennuis.
Mes sourcils se froncent, et la seconde suivante, j'ai raccroché au nez de mon cousin et je suis à l'intérieur. L'atmosphère lourde de la pièce m'étouffe presque, mais elle ne cache pas ce qui me frappe réellement : la détresse qui provient du corps de Kana. Et cette phrase, qui s'élève dans l'air.
— Allez jouer les muettes ailleurs.
Mon sang fait un tour, un seul. La seconde suivante, je suis devant ce type en blouse, maigrichon mais respirant l'arrogance, à deux doigts de lui foutre mon poing dans la gueule. Ce n'est franchement pas le jour à me mettre en rogne, en particulier après deux heures dans ce lieu qui pue le désinfectant.
Pas de respect, pour lui. Quand ma voix lui tonne de répéter, pleine d'une rage sourde que je contiens difficilement, je ne respecte ni le médecin ni l'homme qu'il est. Il fléchi un instant, bégaie une seconde, hésite deux.
Je le dépasse d'une tête, je dois faire vingts kilos de plus, et surtout, surtout, je fais peur, quand je suis en colère. Et si il ressent également cette émotion, elle n'est rien comparée à celle qui m'emporte. Je pourrais balayer cet homme d'un revers de main, là, maintenant, si je ne voulais pas épargner Kanako de cette violence.
— Écoutez, je suis médecin, et j'exige un certain respect.
— Carrez vous votre respect où je pense, et votre blouse avec. Comment osez-vous lui parler ainsi !
Je fais un pas en avant, vers lui, et c'est une main douce sur mon bras qui me retient d'avancer. Je glisse un regard sur elle, un instant. Un seul, qui me suffit pour déterminer qu'il a du lui crier dessus plus d'une fois, et que si j'avais entendu l'intégralité, je foutrai cet homme dans une tombe.
— Je ne vous permets pas !
— Je n'ai pas demandé votre permission. Et je ne vais pas demander des excuses non plus. Je vais ordonner.
— Mais pour qui vous prenez vous !
— Monsieur Wekfiels !
Et il blêmit. Un nom, le mien, qu'il balbutie à la nouvelle infirmière qui nous rejoint. Elle n'a rien vu de la scène, doit avoir eu vent du tapage, et ne s'attendait pas à me trouver ici. Je ne sais pas qui elle est, et je m'en fous bien. Elle se charge de lui répondre à ma place.
— Wekfiels comme...
— Wekfiels comme William Wekfiels, le fils du président de cet hôpital.
Son visage se décompose, et l'homme se métamorphose. Les excuses pleuvent, mais ne calment pas ma colère. Je me fiche qu'il s'excuse envers moi.
— Fermez là ! Donnez-moi une seule bonne raison d'avoir osé porter la voix sur elle.
— Et bien c'est qu'elle ne me répondait pas et qu'elle me manquait...
— Et vous êtes médecin ! Un incapable dans votre genre ?!
Je le vois se retenir de répliquer, quand un autre homme arrive, vêtu de la même blouse blanche significatif. Il pose un regard sur Kanako et pour une raison que je ne saisis pas, il semble la reconnaître.
— On vient de me rapporter ce qui est en train de se produire ici. Étiez-vous vraiment en train d'invectiver cette femme ?
Coincé entre son collègue et la menace de s'en prendre une de ma part encore bien présente, il tente de se justifier, rapidement coupé par le nouveau venu.
— Mademoiselle Kanako est muette. J'ose espérer que vous ne reproduirez pas une erreur de ce genre.
Comme un con, puisqu'il n'y a pas d'autres mots, il se tourne successivement vers elle, puis moi, à court de justifications, d'excuses, ou de tous autres mots. Cela tombe bien, je ne veux plus entendre une syllabe sortir de sa bouche. Je veux le détruire.
Le nouveau médecin indique à une infirmière de proposer un fauteuil à Kanako, pour l'emmener en salle d'examen. Cette dernière observe l'homme d'une façon que je ne saurai décrire, et si je n'étais pas fermement concentré sur l'abruti en face de moi, je voudrais probablement en savoir plus.
Il lui indique qu'il va l'ausculter, et après une minute de réflexion, elle accepte.
Mais je n'en ai pas fini ici. Pourtant, quand ses doigts s'enroulent autour de mon poignet, j'accepte de la suivre, non sans me retourner une dernière fois vers le médecin, et le pointer du doigt.
— Je peux vous assurer que c'est votre dernier jour dans cet hôpital.
Nous entrons dans une salle d'examen, mais je suis incapable de me calmer. Le docteur nous regarde tour à tour, avant de scander qu'il nous laisse quelques minutes. Je fais les cents pas dans la pièce, à deux doigts d'y retourner, lorsque la main de Kanako se pointe devant mon visage. Je lui fourre mon téléphone entre les doigts, conscient de ce qu'elle veut.
— Arrête d'être en colère.
— Tu te fiches de moi ?
— Tu devrais avoir ta dose de colère pour la journée, là.
— Je n'ai pas envie de rire. Je n'aurais pas seulement dû le virer, j'aurais dû lui péter le nez.
— Je ne te connaissais pas violent.
Moi non plus.
— Je suis un tyran, tu te souviens ?
— Pas avec moi.
Et c'est bien le problème. Ou peut-être pas. Je plonge dans ses yeux un moment. Je ne sais pas ce que j'y trouve. Une inquiétude. Un remerciement. Une gratitude. Peut-être un peu de tout. Mais surtout, j'y trouve cette lueur. Cette lueur particulière qui parvient à calmer mon cœur. Je ne sais pas comment elle fait ça, mais là, plongé dans son regard, je m'apaise. Parce que je sens qu'elle en a besoin. Je baisse la voix, je détends mes épaules. Même si je n'oublie pas de faire virer ce connard.
Elle comprend que j'ai changé d'état d'esprit et dissimule à peine un petit sourire, fière d'elle.
— Alors comme ça, ton père est le président ?
— Je t'avais dit qu'il dirigeait une grosse boîte dans la recherche scientifique. Il possède des hôpitaux, aussi.
Elle ne pose pas plus de questions sur lui, consciente que mon géniteur n'est pas un sujet que j'apprécie particulièrement d'évoquer. En revanche, utiliser son nom aujourd'hui ne va pas me déranger.
— Tu vas vraiment le faire virer ? Il était peut-être simplement à cran.
Je me contente de hausser un sourcil, mettant dans ce simple geste toutes mes pensées. Elle ne cherche pas à me contredire. Pourtant, au fond de moi, j'ai l'impression que si elle le voulait vraiment, je renoncerai. Mais elle ne demande pas. Elle m'observe simplement, partant dans ses pensées. Je me demande ce qu'elles contiennent, et étrangement, j'ai la sensation de le comprendre, quand elle balaye la salle des yeux. Elle n'aime pas être là. Et je n'ai pas envie de la laisser se plonger dans ses souvenirs, qui je sais n'ont rien d'heureux.
— Tu connais ce médecin ?
J'aurais pensé qu'elle aurait demandé à faire demi-tour après la scène qui vient de se jouer. Pourtant, elle a accepté de suivre cet homme, avec un regard dont je veux comprendre le sens. Elle plante ses yeux dans les miens, avant de rougir. Pour la première fois de la journée, cette colère me plaît à nouveau, mais je veux trop des réponses pour forcer afin de rendre cette teinte plus vivace.
— C'est lui qui m'a annoncé ma condition, lors de mon réveil.
— Tu étais dans cet hôpital ?
Elle secoue ma tête, et c'est l'homme en question qui me répond en entrant dans la pièce.
— J'ai été muté ici il y a un mois. Bien, Mademoiselle, pouvez-vous m'expliquer ce qui vous est arrivé ?
Calmement, il attend qu'elle lui tape l'entièreté de la situation, sans faire mine d'être impatient. Adossé au mur dans un coin de la pièce, je les observe successivement. De temps en temps, l'homme relève son regard vers moi, et sourit avant de se concentrer de nouveau sur Kanako. Elle se laisse ausculter, grimaçant régulièrement, et je dois retenir un espèce d'instant animal de grogner chaque fois qu'il lui fait mal.
Il l'envoie faire une radiographie pour écarter la possibilité d'une fracture, et je me retrouve seul avec lui pendant un moment. J'aurais voulu profiter du silence qui me manque depuis un bon moment, mais il finit par le briser.
— Elle m'apparaît différente de la dernière fois où je l'ai rencontrée.
Je n'ai pas envie de parler avec cet homme que je connais pas, peu avare de discussion en général. Mais le sujet m'intéresse.
— C'est-à-dire ?
— Elle est moins craintive. Elle accepte qu'on l'ausculte avec moins de réticence, malgré l'entrée en matière quelque peu particulière qu'elle a vécu tout à l'heure.
— Comment était-elle ?
— Elle était brisée. Un état plutôt attendu suite à ce qu'elle a vécu. Aujourd'hui pourtant, j'ai l'impression que des morceaux ont été recollés.
Je ne dis rien sur ce qu'il sous-entend, et m'intéresse à ce qu'il est en train de préparer.
— C'est le matériel nécessaire à la création d'un plâtre en résine, afin de traiter l'entorse.
— Pourquoi l'avoir envoyé faire une radio si vous avez posé un diagnostic.
— Parce que je fais bien mon travail. Et que je ne voudrais pas recevoir votre courroux.
Il accompagne ses paroles d'un clin d'œil, dont je ne me préoccupe pas de la familiarité. Je reporte mon attention sur Kanako qui revient dans la pièce, et surtout sur le changement d'attitude que je perçois en elle. Elle évite mon regard, celui du médecin, et semble se refermer sur elle-même tandis qu'il observe les images obtenues.
Quand il s'avance vers elle et s'apprête à lui révéler ce qu'elle a, il s'arrête en entendant sa respiration saccadée.
— Mademoiselle Kanako ?
Il se penche vers elle, tandis qu'elle commence à avoir du mal à respirer, et cette fois-ci, cherche nos regards, avec un appel au secours dans le regard.
— Que se passe-t-il ?
La possibilité que la chute ait eu des dommages internes s'insinue en moi, vicieuse.
— Elle fait une crise de panique.
Si d'un côté, je suis rassuré, d'un autre, je déteste la voir dans cet état. Je déteste comprendre pourquoi, elle est dans cet état : parce que la dernière fois qu'on lui a posé un diagnostic, on lui a pris une part extrêmement importante de sa vie.
— Mademoiselle Kanako, calez-vous sur ma respiration.
Mais elle n'y parvient pas. Et la seconde suivante, je suis assis sur le lit, en face d'elle. Ma main vient se poser dans sa nuque, attirant son visage à moi. Son front se pose en douceur contre le mien, nos yeux s'ancrent, et ma voix la ramène à moi. Comme des aimants, encore.
— Kana.
Je sens son attention, et je n'ai pas besoin de lui dire quoi faire. C'est presque naturel, trop peut-être. Elle calque sa respiration sur la mienne, et reprend pieds doucement. Là, contre elle, je ne pense qu'à la ramener parmi nous. Auprès de moi. Ses doigts glissent doucement contre ma peau. L'une de ses mains entoure mon poignet, l'autre s'accroche à mon avant-bras. Elle me retient, comme si j'avais eu l'intention un instant de m'éloigner. Son regard voilé s'éclaircit peu à peu. La lueur revient, reflétant la propre toile de mes iris.
Elle m'entend, elle m'écoute, elle s'apaise, elle revient à la surface. Son rythme cardiaque cesse de s'affoler, tout comme sa respiration. Elle est de retour, enfin. Mais nos corps ne s'éloignent pas. Nos regards ne se décrochent pas.
L'un dans l'autre. L'un avec l'autre.
Je suis son ancre. Elle est la mienne à bien des égards.
Et j'aime ça.
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Vous préférez quoi, William qui devient vénère pour elle, ou William qui l'apaise quand elle va mal ? Dur de choisir non ? x)
A bientôt pour la suite,
Kiss :*
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