Chapitre 34

PDV Kanako

 Sa colère me déstabilise autant qu'elle me touche. Depuis que nous sommes entrés dans la voiture, il n'a pas dit un mot. Il se contente de rouler, et du coin de l'œil, j'observe ses phalanges devenir blanches tant il serre volant.

Lorsqu'il est dans cet état, j'ai l'impression de me retrouver face au William de notre première rencontre. Si je n'en garde pas un souvenir agréable, cette fois-ci, je ne crains pas sa rage. Parce qu'elle n'est pas dirigée contre moi, mais pour moi, et c'est tout à fait différent. Il est impressionnant. L'aura qu'il dégage autour de lui le fait paraître comme un véritable danger pour quiconque viendrait le chercher, et pourtant je me sens en sécurité. Comme si cette aura noire changeait de couleur au contact de la mienne seulement.

J'imagine sûrement des choses, ou bien c'est la douleur qui me fait délirer.

Je n'aurais pas dû descendre les escaliers à moitié réveillée. Au moins, j'ai l'esprit bien vif, à présent. J'aurais aussi dû faire plus attention, ce n'est pas comme si j'ignorais qu'il s'y trouvait un nombre incalculable d'obstacles. J'avais pourtant réussi à tous les éviter, hier soir.

Je n'en veux pas forcément à Natt, et j'ai comme l'impression que c'est William qui nourrit cette rancœur à ma place. Si, égoïstement, j'aime le voir ressentir de telles émotions liées à mon état, je déteste en même temps être à l'origine d'une brouille entre eux.

Je m'estime heureuse de ne pas avoir chuté du haut des escaliers, et de n'avoir dévalée que quelques marches, bien que ma cheville me rappelle que c'était déjà haut.

— Tu as mal ?

Je sursaute presque, en étant pourtant soulagée de l'entendre. Elle est tendue, mais bien moins qu'il y a quelques minutes. Je vois qu'il la retient, qu'il se retient.

Je fouille dans ma poche à la recherche de mon téléphone pour lui répondre, mais je ne rencontre que le tissus du mon bas de jogging. Lorsque je relève le regard vers lui alors qu'il s'arrête à un feu non loin de l'hôpital, il comprend que je n'ai pas l'appareil avec moi. Nous sommes parti bien trop précipitamment pour que je n'y pense. Et je préfère d'ailleurs éviter de me souvenir dans quelle position exactement nous avons quitté la maison.

Il me tend le sien déverrouillé et je le remercie avant de lui répondre.

C'est supportable.

Mais je suis une mauviette concernant la douleur, et en réalité, j'ai envie de pleurer à chaque mouvement que je fais involontairement. Il hoche la tête, semblant comprendre les non-dits derrière mes mots, et redémarre. J'hésite un moment, avant d'appuyer mon doigt sur le mode lecture vocale pour reprendre une conversation avec lui. Mais je finis par le faire, persuadée qu'il aurait fini par m'y enjoindre en voyant mon trouble. Il n'aime pas que je retienne mes mots avec lui, et j'ai bien intégré ce fait.

N'en veux pas trop à Natt.

— Ce n'était pas la première fois qu'on lui demandait de ranger.

C'est un accident.

— Un accident qui aurait pu être bien plus grave si il avait eu lieu quelques marches plus haut !

Je n'aime pas les vibrations de sa voix. Je n'ai pas peur de sa colère, mais alors qu'elle l'habite si sourdement, j'aimerais la faire glisser hors de son corps, parce qu'elle a l'air de le blesser, au fond.

Ce n'est pas arrivé. Avec des si, on peut refaire le monde.

— Pourquoi chercher à le défendre alors que tu te retiens de pleurer depuis vingt minutes ?

Parce qu'il s'en veut vraiment, je le sais. Et je ne me retiens pas de pleurer.

— A d'autres, petit zombie. Je sais lire l'étincelle qui brille dans tes yeux.

Oui, il sait. Et pour une étrange raison, j'aime qu'il y parvienne. Qu'il arrive à détecter mes émotions dans mon regard. Peut-être est-ce lui donner trop de pouvoir sur moi. Mais la réalité, c'est que je n'ai rien donné. Et qu'il n'a rien cherché à prendre. C'est juste ainsi, tel que cela semble devoir être. Le destin ? Je ne sais pas si j'y crois, mais dans l'explication, cela semble y ressembler.

Il se gare sur le parking des urgences avant que je n'ai l'occasion de me poser plus de questions sur ce que cela peut impliquer, et m'aide à avancer jusqu'à la porte. Il s'occupe à ma place des démarches pendant que je le regarde faire, assisse au milieu de personnes qui ont l'air de souffrir bien plus que moi. Je me demande si je suis vraiment légitime à être là.

— Quelles pensées saugrenues te viennent, encore ?

Je rougis quelque peu, avant d'oser mettre des mots sur de dernières. Il hausse un sourcil avant de planter son regard dans le mien.

Ta cheville gauche fait trois fois la taille de la droite. Tu penses franchement qu'on n'a pas besoin d'être là ?

Je ne réplique pas, consciente qu'il a raison. Il s'assoit à côté de moi en râlant que cela va sûrement prendre des heures, et sans m'en rendre compte, je le fixe, intriguée.

— On peut savoir pourquoi tu me détailles de cette façon ? Tu comptes peindre mon portrait ?

Tu vas rester ici ?

Nouveau haussement de sourcil, nouveau regard désabusé.

— Où veux-tu que j'aille ?

Tu n'as pas mieux à faire ?

— Tu essayes de me virer, là ?

Nouveau rougissement, et pour la première fois, je retrouve de la malice dans son regard. Alors j'accepte volontiers de rougir, pour voir la colère disparaître.

Non, c'est juste que... que je suppose que tu as sûrement des projets plus intéressants que de rester dans la salle d'attente des urgences. Avec moi.

— C'est ce que font les amis, non ?

Et je n'arrive pas à répondre. Parce que les souvenirs tournent en boucle dans ma tête. « Et toi, tu es aussi mon ami ? ». Cette question lancée au détour d'une conversation, la fatigue prenant le pas sur la raison. La gêne me faisant fuir avant d'entendre son retour.

Et aujourd'hui, sa réponse.

**

Je tends son téléphone à William quand le prénom de Natt s'affiche sur l'écran. Il râle, mais décroche tout de même en sortant à l'extérieur, afin de ne pas gêner les autres. Nous sommes là depuis deux bonnes heures, et je le sens tendu. Autant que moi. Les hôpitaux ne sont pas un lieu où j'apprécie me trouver, ma dernière visite n'étant pas synonyme de bon souvenir. Pourtant, je ne ressens pas de crainte. La présence du peintre à mes côtés a un côté apaisant que j'apprécie.

— Mademoiselle Kanako.

La voix est froide, empressée, presque agacée, même. Je mets un petit moment à capter qu'elle provient de l'homme en blouse blanche à l'entrée de la pièce. Il répète mon nom, impatient, et je me manifeste rapidement. Son agacement est lisible jusque sur les traits de son visage, et devant cet homme, pourtant plutôt petit et fin, je ne me sens pas à l'aise. Devrais-je dire en insécurité ?

Je glisse un coup d'œil vers l'extérieur, mais William est dos tourné aux baies vitrés, et ne m'aperçoit pas.

— Qu'est-ce qui vous amène ici ?

Sans le téléphone du jeune homme, je bloque un instant sur la manière de communiquer. Je me décide à simplement lui indiquer ma cheville, n'ayant pas le temps de réfléchir à une autre solution, devant la mine impatiente du médecin.

— J'apprécierais que vous ayez la décence de vous adresser à moi, plutôt que de me pointer du doigt votre cheville. Depuis quand est-ce ainsi ?

J'ouvre la bouche, oubliant sous la surprise de son ton mon handicap. Je la referme aussitôt, mais avant que je ne puisse tenter de m'expliquer autrement, il interprète mon geste et m'invective.

— Vous êtes sacrément culottée de m'ignorer de cette façon !

Et je suis surtout sacrément éberluée qu'un homme dont la vocation première se situe dans le social se permette de passer ses nerfs sur moi ainsi. J'aimerais pouvoir répliquer, mais je reste scotchée devant ce qui est en train de se produire. C'est presque comme si je sortais de mon corps pour me placer au milieu de la foule, et observer cet homme, me dominant de toute sa posture, me crier dessus.

— Pensez-vous que nous sommes obligés de supporter votre irrespect simplement car nous sommes dans le domaine médical ?

Si je n'étais pas celle sur qui il crie sans aucune raison, je serai d'accord avec lui. Chacun a le droit au respect. Mais la question n'est pas là, en ce moment précis.

— Répondez-moi, bon sang !

L'attention portée sur nous ne me déstabilise pas, tant je suis statufiée devant cet homme. Je sens pourtant que son attitude interroge, et une infirmière se rapproche de nous, visiblement dépassée par la situation. Elle a pris ma déposition, et sait pertinemment que je ne suis pas en mesure de parler. Si il avait attendu une seconde avant de me prendre à partie, il l'aurait su également. Sa tentative d'apaisement se solde par une remise en place de son collègue, qui sonne comme une remontrance : un rappel de sa place. Je voudrais lui répondre que j'ai une bien plus grande confiance en les infirmières qu'en son corps de métier, et qu'il ne lui est en rien supérieur, mais même si j'avais la parole, mon état de sidération m'empêcherait d'agir.

— Si vous n'avez pas prévu de répondre, vous pouvez partir, comme vous le constatez, nous avons des patients à traiter, et pas le temps à perdre avec des gens comme vous.

Je ne sais pas comment me sortir de cette situation. J'ai besoin de voir un médecin. Certainement pas celui-ci, mais la douleur lancinante que je ressens à chaque mouvement de cheville me rappelle que je n'ai pas les nerfs pour attendre encore. De plus, j'ai fait attendre William deux heures ici, et je ne me vois pas lui expliquer pour quelle raison nous devrions aller dans l'hôpital de la ville d'à côté, en espérant tomber sur un médecin plus sympathique. Tétanisée à l'idée qu'il puisse me mettre dehors et refuser qu'on m'ausculte, je commence à paniquer.

— Allez jouer les muettes ailleurs.

Je me sens retenir mon souffle, incapable de me souvenir comment reprendre une gorgée d'air. Jusqu'à cette voix.

Jusqu'à cette colère.

Jusqu'à cette promesse, cachée par une menace plus apparente, que moi, j'y perçois.

— Répétez ça.

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Vous avez envie de tuer ce médecin hein ? x)

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