Chapitre 33

PDV William

Pour la première fois depuis le début de la soirée, la maison est enfin calme. Je retrouve le silence, loin des éclats de voix de mon cousin. Seule la télévision tourne en fond sonore, brisant cet instant de paix.

Le cadran rouge du four m'indique deux heures du matin. Je me décide à quitter l'îlot où j'étais assis pour rejoindre la partie salon, et dépose mes yeux sur eux. Natt est allongé à plein ventre sur le tapis, ronflant en rythme avec la musique du film. Charlotte est affalée dans un fauteuil, dans une position qui m'apparaît douloureuse à vue d'œil. Et Kanako est roulée en boule sur le canapé. Cette position et la taille du meuble la font paraître incroyablement minuscule et fragile. Mon regard reste happé par son visage détendu, qui semble loin de tous cauchemars. Rien que pour ce petit sourire endormi, j'admets que l'idée de Cha' de la laisser rester ici cette nuit n'était pas si mauvaise. Peut-être cela suffira-t-il à ce qu'elle ne détruise pas le monde sur son passage demain.

J'attrape les télécommandes pour éteindre la télévision et plonger tout le petit monde dans le noir, savourant pendant une seconde l'apparent silence de la pièce. Debout au milieu d'eux, je m'accorde une minute pour moi. Les yeux fermés, je reste là, avec pour seule compagnie, le bruit de leurs respirations. C'est bien plus calme et reposant que leurs voix. Et en même temps, j'aime ça. Quel psychopathe cela fait de moi, de rester là à les écouter respirer ? Je ne sais pas trop. Ne dit-on pas que les artistes sont fous ? Il faut croire que c'est le cas.

D'une certaine manière, la solitude est un refuge. D'une autre, leur présence est une évidence. Pendant ce court moment, j'allie les deux.

Seul, mais avec eux.

Lorsque mes paupières s'ouvrent de nouveaux, mes prunelles tombent sur elle, comme deux aimants qui se retrouvent. Allongée là, éclairée à présent seulement de la lune qui perce par la baie, son visage m'apparaît à peine. Et pourtant, cette vision me subjugue.

Comment je me retrouve un carnet et un crayon à la main, je ne sais pas. Je sais seulement que je suis là, assis en face d'elle, ses traits figés sur ma feuille par la pointe de mon crayon. Je n'arrive pas à m'en empêcher, une nouvelle fois. Je grave tout. Cette petite mèche de cheveux qui lui tombe sur la joue, la chatouillant de temps en temps. Sa lèvre inférieure qu'elle mord régulièrement. Ses doigts qui serrent le coussin calé entre ses bras. Son nez qui se rehausse parfois, comme ses sourcils qui se froncent, avant de se détendre. Toutes ses petites mimiques calées sur les songes qui l'habitent, je les détaille avec ma mine. Pendant un instant, j'aimerais connaître ses rêves, pour représenter son image avec plus de fidélité. Mais je me contente de ce à quoi j'ai accès, et une petite voix me souffle, que c'est déjà plus que beaucoup de monde.

Je range mon cahier une fois satisfait, et je me retrouve à la regarder encore. Son petit corps grelotte un instant, tandis qu'elle se referme un peu plus sur elle-même comme pour empêcher le froid de l'atteindre. Je réfléchis un instant, avant d'attraper un plaid qui traîne là et de le glisser sur elle, doucement. Un sourire satisfait prend place sur ses lèvres endormies, et je me surprends un instant à sourire aussi, en particulier quand elle se blottit un peu plus dans le tissu. Un petit zombie qui joue les petits chats.

— Elle a le droit à un plaid, et moi à un torticolis ?

Je glisse mes yeux vers Charlotte qui chuchote en me regardant. Elle semble me sonder, et chercher à me faire avouer mille et unes pensées.

— De quoi te plains-tu, tu es réveillée, et en un seul morceau.

— Pas grâce à toi.

— Ce n'est pas à moi de prendre soin de toi, mais à l'idiot qui ronfle sur le tapis.

C'est faux. Je n'ai peut-être pas été élevé dans l'amour, mais il y a une valeur que l'on a pas eu besoin de m'enseigner. Il faut prendre soin de ceux qui comptent. Je le fais. A ma façon, mais je le fais.

— Donc, c'est à toi de prendre soin de Kana ?

Son petit sourire m'indique qu'elle est fière de sa réplique, et je me retiens de grogner comme le ferait un ours mal léché.

— Plus sérieusement Will, tu ne veux pas en parler ?

— De quoi ?

— De ton comportement avec elle.

— La couvrir d'un plaid quand elle grelotte de froid ne me semble pas nécessiter une longue conversation.

Je parviens à la distinguer lever les yeux au ciel malgré la pénombre.

— Je ne parle pas de cela. Pas seulement. Et tu le sais très bien.

Et encore, si elle savait que je viens de passer une heure à la dessiner endormie, et que ce n'est pas la première fois que je la grave sur une toile. C'est une information que je ne compte certainement pas lui donner.

— Tu ne laisses jamais personne entrer dans ton monde, sauf Natt, et moi. Pourquoi c'est différent, cette fois ?

— Je n'ai pas le choix.

— Arrête. Tu aurais pu agiter le nom de ton père devant le directeur pour qu'il fasse annuler le devoir de Monsieur Perret. Et pourtant, elle est là, endormie dans ton canapé.

— Tu l'as invitée.

— Tu ne vas pas me répondre, n'est-ce pas ?

En effet. Je n'en ai jamais eu l'intention. Les questions qu'on me pose ne trouvent de réponses que si je le décide, et je suis loin de le vouloir pour l'instant. Parce que je refuse de réfléchir à ces interrogations là. C'est plus simple de ne pas y penser que de chercher à analyser mes actions.

— Réveille-les et allez vous coucher dans vos chambres.

Je ne dis rien de plus et me dirige vers l'étage, n'écoutant pas la jeune femme qui me souffle ne pas être à mes ordres, accédant quand même à ma requête.

Je râle en me prenant les pieds dans une bassine de Natt, qui traîne dans l'escalier.

— Bon sang Natt, je t'avais dit de me ranger ce bordel !

Sa voix à peine réveillée me répond des mots incompréhensibles, tandis que je m'engouffre dans ma chambre.

**

— Je dis seulement qu'il suffit d'ouvrir les yeux et que le soucis est réglé.

J'attrape le toast dans le grille-pain pendant que Charlotte se charge de répondre à mon imbécile de cousin.

— Le soucis n'est pas là. C'est tout simplement dangereux, Natt. Cette maison est suffisamment grande pour que tu exposes ton bazar ailleurs que dans les escaliers.

— Je peux avoir un œuf sur le plat ?

— Est-ce que tu écoutes au moins ce qu'on te dit ?

Devant l'absence de réponse de ce dernier, concentré à beurrer sa tartine, Charlotte souffle et décide de passer à une autre cible. Ce qui ne m'arrange pas.

— Tu as été très attentionné de nous envoyer dans nos chambres cette nuit.

— Vous encombriez le salon.

— Ou bien tu avais remarqué que Kana avait froid ?

— Tu as déjà choisi une réponse à cette question, pourquoi la poser ?

— Parce que nous, tu aurais laissé geler.

Je lève les yeux au ciel en attrapant mon café.

— A t'entendre je suis un ogre avec vous.

— Ce n'est pas loin de la vérité.

— L'ogre ne te fera pas d'omelette, la prochaine fois.

Elle me tire la langue avant de tirer à elle son assiette pour éviter que je ne lui reprenne. Elle n'a pas le temps de partir sur une discussion que je n'aurai probablement pas appréciée qu'un bruit sourd retenti, suivi d'un cri peu assuré. Une voix que j'ai peu entendue, mais que je saurai reconnaître les yeux fermés.

La seconde suivante, je suis devant l'escalier, et je trouve Kanako au sol, une main sur la cheville, et des larmes plein les yeux.

— Bon sang Natt, je t'avais dit de ranger tes affaires !

Ma voix est si profonde et pleine de colère qu'il n'ose pas répondre, et que la jeune fille au sol sursaute. Charlotte s'accroupit près d'elle et observe sa cheville en douceur. Je me retiens d'étriper mon cousin lorsqu'elle ne peut retenir une grimace de douleur. Cha' se tourne vers moi avec une mine contrite.

— Je pense qu'il y a une bonne entorse au minimum.

— Je ne voulais pas que...

Mon regard noir arrête toute tentative de justifications ou d'excuses provenant du propriétaire du seau à l'origine de la chute. Qu'il tente d'ouvrir la bouche et je lui arrache la langue. Il me connaît suffisamment pour ne pas s'y risquer et part chercher de la glace la queue entre les jambes quand sa petite amie lui demande.

Cette dernière est à peine posée sur la blessure que je sais déjà qu'elle ne sera pas suffisante. Les traits de la blessée sont suffisamment tirés pour que je comprenne à quel point elle se retient de laisser son mal s'exprimer. Je déteste voir ses yeux briller de cette façon. La lueur de douleur m'apparaît insupportable comparée aux teintes si incroyables que je lui ai déjà vu prendre.

Son regard se fixe dans le mien une minute, et ce que j'y lis me fait ressentir quelque chose que je ne saurai pas définir. Ce sentiment parvient presque à prendre le pas sur la colère, et une espèce d'inquiétude dont je ne saurai indiquer l'intensité.

Elle détourne son attention vers Charlotte qui l'interroge sur la douleur qu'elle peut ressentir. Cette dernière n'a pas le temps de finir de me dire qu'il faudrait aller aux urgences que Kanako est déjà dans mes bras, et que je me dirige vers le garage. Je suis trop en colère pour me soucier et apprécier la rougeur de ses joues, et je me contente de m'arrêter un instant devant le blond.

— Vire moi tout ça.

Pas de demande, cette fois-ci. Il baisse la tête et se dirige vers l'escalier, tandis que je n'en vois pas plus.

Je vois sa cheville gonfler et virer rouge. Et cette fois-ci, je n'apprécie pas cette couleur associée à Kanako.

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Aïe, une blessure... elle va bien nous arranger, croyez-moi x)

A la semaine prochaine, 

Kiss :*

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