Chapitre 32

Bonne année !

PDV Kanako

Tu n'avais pas parlé de rester dormir.

— Il faut croire que j'ai oublié de préciser. Allez, fais ton sac.

Charlotte ouvre grand mon placard avec un sourire pour m'indiquer de m'activer.

William est d'accord avec le fait que je dorme chez lui ?

— Il y a une bonne dizaine de chambres d'ami, elles sont faites pour ça.

Elle ne répond absolument pas à la question, et elle le sait, mais je n'ai pas envie d'argumenter plus que cela. Au fond, elle m'offre une nuit loin de cette solitude qui me pèse tant, dans cette maison qui ne devrait pas être aussi vide. Silencieusement, je l'en remercie, et je crois qu'elle le comprend. Je remplis en vitesse un sac avec le nécessaire pour la nuit et nous nous mettons en route tout aussi rapidement.

Sur le chemin, elle m'évoque ce à quoi elle a pensé pour moi, tandis que je doute encore d'avoir pris la bonne décision.

— Arrête de faire cette tête.

Quelle tête ?

— Celle qui hurle que tu meurs de trouille.

Je ne fais pas cette tête.

Son sourcil se lève dans une boutade silencieuse, du genre « mais oui cause toujours ». Elle attend de s'arrêter à un feu rouge pour se tourner vers moi.

— Première, il nous reste bien assez de temps pour t'apprendre à défiler, et à ne pas craindre le regard des autres. Deuxièmement, je vais te faire une tenue tellement incroyable que tu ne pourras pas douter de ta beauté. Et troisièmement. Sa main se pose sur ma joue. Tu es tout bonnement magnifique, Kana. Tu as un charme fou, rehaussé par ta pureté, et l'étincelle que l'on trouve au fond de ton regard. Je sais que tu doutes de toi, mais crois en moi. Je vais te montrer ce que moi je vois de toi. Ce qu'on voit tous de toi.

Je ne sais pas quoi lui répondre, totalement transportée par ses mots. Je profite du fait qu'elle reprenne la conduite pour détourner le visage un instant, et chasser la larme que je sens pointer. M'a-t-on un jour dit pareille chose ? Avec une sincérité si débordante. En dehors de Obaachan, je n'ai aucun souvenir de tel moment. Et je découvre comme cela transperce le cœur. C'est loin d'être douloureux. Au contraire, cela fait un bien fou.

— Du rouge.

Je sursaute, coupée dans mes pensées, et reporte mon attention sur elle, l'interrogeant dans un silence.

— Habillée en rouge, tu serai absolument divine. Ta peau pale, tes cheveux noirs, ça serait éblouissant.

J'aime le rouge. Mais l'idée d'en porter me tiraille de l'intérieur. C'est la couleur de ma mère. Jamais je n'ai réussi à envisager l'idée de me voir dans cette couleur. Je ne suis pas certaine d'en être capable, même pour celle que je considère véritablement comme une amie chère. L'idée que je me fais de ma personne portant une robe rouge est douloureuse. Cela ravive quelque chose en moi que je n'apprécie pas de ressentir.

Ma réticence doit se lire sur mon visage et dans l'atmosphère que je dégage, car la jeune femme fait machine arrière, tandis que nous entrons dans le garage.

— Ou une autre couleur. Il y a tellement de motifs qui t'iraient. On discutera de ça plus tard, d'abord, je dois déterminer la forme, la matière, et tout ce qui s'en suit.

Je sens qu'elle est déstabilisée par ma réaction, qu'elle n'imaginait pas. Pourtant, elle donne le change, et je sais qu'elle le fait pour moi. Cette façon de faire attention à ce que je peux ressentir me touche tout autant que les mots qu'elle a pu prononcer.

Charlotte, comme les personnes que j'ai rencontré depuis que j'ai repris les cours dans cette nouvelle section, m'apprend des aspects de la vie et de l'amitié que je n'avais encore jamais exploré. Et j'aime ça. Découvrir ce monde où l'affection fait tant de bien. C'est différent de ce que je partageais avec Tess. Je ne dénigre pas ma relation avec celle qui est ma plus vieille amie. Mais la façon qu'ont Charlotte, Natt, Lewis et Arwen de faire vivre leur amitié est nouvelle et tellement galvanisante.

Elle m'entraîne à l'intérieur de la maison après avoir récupéré tout un tas de rouleaux de tissus dans le coffre, et nous nous dirigeons directement vers l'étage.

— Fais attention dans l'escalier, Natt a laissé traîner des affaires partout.

J'évite un ustensile dont j'ignore l'utilité pendant qu'elle parle.

— Les garçons me laissent utiliser une des chambres comme mon atelier. On va éviter de faire ça dans le salon.

Le souvenir de la dernière fois où cela a été le cas me fait rougir, alors que je m'imagine une nouvelle fois sans haut devant William. Le sourire de Charlotte m'apprend qu'elle n'a pas choisi ses mots au hasard, et que ma réaction était celle escomptée. Sur bien des aspects, elle me fait penser à lui. Cette tendance à taquiner ceux qui les entourent les rapproche, et c'est aussi cela qui rend leurs interactions si attrayantes à mes yeux. C'est toujours vivant, avec eux. Sans compter sur la vivacité de Natt qui empêche toute forme d'ennui de percer. Un combo plus que gagnant quand il s'agit de lutter contre la solitude.

Sur le palier, baigné de lumière grâce à de grandes baies, je m'arrête un instant et observe une grande statue, qui semble encore en cours. Elle n'était pas là la dernière fois que je suis venue.

C'est Natt qui l'a faite ?

Elle hoche la tête, et admire avec moi le travail de son petit-ami.

— Ça lui arrive d'être sérieux, quand il s'agit de sculpture. Normalement, il a un atelier comme Will, lui aussi, mais il a décrété que la lumière était parfaite ici pour ce qu'il souhaite faire. Résultat, c'est le bazar de partout.

Je laisse couler un sourire en entendant celui qui se cache dans sa voix. J'y entends aussi une véritable admiration pour le travail de celui qu'elle aime.

Il est doué.

— Je ne vais pas te dire le contraire. Il est capable de faire des merveilles. Même si il n'est pas habité par l'art comme peut l'être William, il est passionné, vraiment.

Et si il est à la NSA, ce n'est pas pour rien, et on ne peut pas lui retirer ça. Il mérite sa place, à juste titre. Quand bien même il n'est pas le plus sérieux et assidu des élèves.

Elle m'emmène d'un côté du couloir que je n'avais pas encore franchi, et me fait poser mes affaires dans une chambre avant de m'entraîner plus loin.

Elle étale ses tissus partout et se mets à en couper, tandis que je profite de ce moment pour en découvrir plus sur elle. Je ressens comme une sorte de besoin de me rapprocher d'elle, de développer cette relation que nous créons depuis quelques semaines.

Pourquoi as-tu choisi le stylisme ?

— Et bien... en dehors du fait que rien n'est impossible dans cet art, j'aime l'idée de pouvoir faire quelque chose. Comme avec toi. Montrer aux gens la beauté qu'ils ne pensent pas avoir grâce à ce que je peux créer.

Je lui offre un sourire, qu'elle me rend.

— C'est un peu comme ça que j'ai rencontré Natt.

Elle doit lire sur mon visage l'intérêt qu'elle fait naître en moi, car elle rit avant de m'en dire plus.

— Il a beau avoir l'air sûr de lui, c'est une carapace. Il fanfaronnait partout à la NSA, et pourtant, chaque fois que je le voyais, j'avais l'impression qu'il se cachait des autres et de lui-même avec ses sourires et ses blagues. Et puis il avait un style déplorable.

Je laisse un rire m'échapper, en me rappelant de cette chemise verte qu'il portait la semaine dernière. Elle comprend sans difficulté mon hilarité et me rejoint.

— Je t'accorde que c'est encore parfois bancal. Mais auparavant, il se contentait d'être ce qu'on attendait de lui : le garçon riche, toujours de bonne humeur. Alors, il portait un assemblage de vêtements de marque qu'il n'aimait pas vraiment, et préservait les autres de toutes les émotions négatives qu'il pouvait ressentir. Au moins maintenant, il s'est ouvert à lui-même. Il porte ce qui lui ressemble, ce qu'il aime. Et il ne se fixe pas de limite sur ce qu'il doit laisser transparaître de ses émotions.

Et elle n'a pas besoin de le dire pour que je comprenne que c'est grâce à une chose. L'amour. Ce sentiment si particulier qui les lie eux, si différents et si complémentaires à la fois.

Parler d'amour, de relation. Avoir une amie à qui l'on peut tout confier. Ses doutes, ses peurs, ses questionnements. Tess et moi nous contentions de parler ragots et beaux garçons. Mais ce genre de conversation, pleine de sérieux, et en même temps si tranquille, j'ai l'impression de le découvrir. Peut-être parce que nous étions trop jeunes, auparavant.

Avec Charlotte, j'ai le sentiment de pouvoir tout aborder, sans gêne, sans peur ou sans honte. C'est exaltant. C'est, je crois, exactement ce dont j'ai besoin en ce moment.

Comment as-tu su que Natt était le bon ?

Elle hausse un sourcil joueur, et je sais que je vais rougir avant même qu'elle n'ouvre la bouche.

— Tu veux savoir si Will est le bon ?

Sans me retenir, je lui lance un coussin qu'elle évite en riant, avant de reprendre son sérieux.

Je demande juste... pour mon exposé.

— Tu sais ma douce, tu as le droit de t'y intéresser autrement que pour une note dans ton bulletin. Personne ne te jugera. Surtout pas moi.

Est-ce que je peux me pencher sur l'amour ? Je ne sais pas. C'est une question que je ne me suis posée. Mais à présent qu'elle est devant mes yeux, je ne peux pas feindre de l'ignorer. Aimer. Être aimée. J'ai l'impression néfaste d'avoir loupé ma chance. Elle s'insinue en moi, mauvaise, jusqu'à ce que la voix de Charlotte me fasse sortir de mes pensées.

— Je n'aime pas du tout le visage que tu affiches Kana.

Je ne lui réponds rien, et sérieuse, elle dépose le ciseau qu'elle tenait dans les mains pour s'avancer vers moi.

— Je t'interdis de penser que le fait d'être muette t'empêcher d'aimer ou de recevoir de l'amour. L'amour ne se résume pas aux mots prononcés.

Alors à quoi se résume-t-il ?

— Mais justement, il ne se résume pas ! On n'explique pas l'amour. On le vit. C'est là sa première définition.

Ça m'a l'air bien compliqué.

Elle m'offre un sourire rassurant et à la fois extrêmement doux, comme celui que l'on offre à un enfant. Dans ce domaine, j'accepte volontiers d'être considérée comme tel. Mes connaissances en la matière sont loin d'égaler les siennes.

— Oh, mais ça l'est. Rien n'est plus complexe qu'aimer. Mais bon sang, crois-moi, ça en vaut la peine.

Je reste silencieuse, si l'on peut dire, me plongeant dans mes réflexions sur le sujet, avant qu'elle ne décide que l'on en a pas fini avec les discussions gênantes.

— Que ressens-tu pour Will ?

Je reste pantoise un instant, imaginant une stratégie pour m'enfuir de la pièce, rapidement mise à mal par son regard.

Je n'ai jamais réfléchi à la question.

— N'as-tu pas envie d'y songer ?

Non. Oui. Je n'en sais rien. Je pense que je ne veux pas m'y plonger. Parce que j'ai peur que la réponse, quelle qu'elle soit, ne complique tout. Et je ne veux rien de compliqué, entre nous.

— L'idée qu'il puisse être le bon, ne t'es jamais venue ? Alors que tu te poses des questions sur l'amour depuis que tu l'as rencontré ? Et ne me sors pas l'excuse de l'exposé, s'il-te-plaît. Peut-être que tu parviens à te persuader que le sujet t'intéresse pour cette unique raison, mais moi je ne marche pas.

C'est... c'est une hypothèse à laquelle je n'ai jamais pensé.

Je voudrais lui dire de cesser d'en parler, car ses paroles embrouillent mes pensées d'une manière que je n'arrive pas à démêler. Elle insinue en moi un certain nombre de questions que je préférerais éviter, comme si réfléchir à cette idée était déplacé.

— Et bien, je pense que tu devrais laisser une place dans ton esprit pour cette hypothèse.

— Quelle hypothèse ?

Je sursaute autant qu'elle et déplace mon regard vers la porte où se tient le peintre. Accoudé contre la chambranle, les bras croisés, il nous regarde. Il me regarde.

A l'idée qu'il ait pu entendre quoi que soit, mes joues rougissent fortement, tandis que ma comparse détourne la conversation.

— On ne t'a jamais appris à frapper ?

— Je suis chez moi.

— Et si j'avais été en train de prendre de nouvelles mesures ?

— Touché.

— Tu me feras donc le plaisir de sortir, William.

Il hausse un sourcil dans sa direction, et tandis qu'ils se lancent dans une joute verbal, je cesse d'écouter pour ne le regarder que lui. L'hypothèse formulée par mon amie s'insinue alors plus profondément en moi, et ne me laisse pas un instant de répit.

Mon regard sur lui doit le chauffer, car il fini par replonger ses yeux dans les miens, et découvrir que je le fixe depuis un moment déjà.

Et inévitablement, je rougis.  

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