Chapitre 3
PDV William
— Esta pintura es verdaderamente una obra maestra. Me encanta la forma en que el artista combina colores. Realmente sentimos lo que quería poner como emoción en su composición. (1)
Je retiens un rire amer, derrière cette coupe de champagne qu'on m'a pratiqué collée à la main. Dans son costume trois pièces, l'homme continue de vanter les mérites de cette toile et d'expliquer ce que l'artiste a bien pu ressentir en la créant. Comme si il en savait quoi que ce soit.
Je m'éloigne de lui et de son petit public pour me mettre à l'écart.
Personne ici n'est capable de comprendre les sentiments que met un artiste dans ses toiles. Surtout pas quand il s'agit des miennes.
Ils ne sont que de riches investisseurs, ici pour étaler leurs fortunes et repartir avec deux ou trois tableaux pour décorer leurs maisons de campagnes dans lesquelles ils ne foutent jamais les pieds.
Le m'as-tu vu prégnant de ce genre de soirée m'exaspère au plus haut point. Les amateurs d'art sont ailleurs, mais je suis bien conscient que ceux qui font vraiment tourner le marché, ce sont les gros portefeuilles qui se pressent ici.
C'est un monde que j'exècre, mais auquel j'appartiens. Depuis toujours.
Dans un coin de la salle, j'espère ne pas être repéré, pourtant, je sens bien vite un regard trop insistant sur moi. Il ne me faut que quelques secondes pour trouver la propriétaire de ces yeux mielleux et tout autant pour saisir ses intentions. Si il y a déjà peu de personnes vraiment intéressées par mon art dans cette pièce, celle-ci fait inévitablement partie de ceux qui s'intéressent à mon nom, et à celui par extension de mon père.
Je souffle, pestant contre l'alcool qui n'est pas assez fort pour rendre cette soirée un brin agréable. Un bon whisky, voilà ce que je voudrais avoir entre les mains.
La blonde, un peu trop apprêtée pour cet évènement, s'avance bien vite vers moi, avec une démarche qu'elle pense sûrement attirante. Pourtant, rien dans son être, que ce soit sa poitrine qu'elle met en avant ou bien sa jambe, qu'elle laisse exagérément apercevoir à chaque pas par la fente de sa robe, ne m'attire un tant soit peu.
La beauté est éphémère, chez ce genre de personne. Il suffit souvent qu'elles ouvrent la bouche pour briser la jolie apparence qu'elles se donnent. Je préfère m'éviter ce supplice. Ainsi, quand elle arrive à moi, avant qu'elle n'ait pu ouvrir la bouche, je lui pose mon verre vide dans les mains, la remerciant comme si elle était un membre du personnel et m'éloigne en vitesse vers le buffet, pour en saisir un nouveau. Peut-être que cette coupe-ci me permettra de m'ennuyer un peu moins.
— William ! Quel plaisir de te voir ! Une exposition très réussie une nouvelle fois.
Je tire un sourire faux et remercie cet homme dont je n'ai aucun souvenir. A en juger par le calepin qu'il tient, un journaliste, venu couvrir l'évènement. Son accent m'apprend qu'il est d'ici, au contraire de moi. J'apprécierais peut-être l'effort de parler dans ma langue si j'avais envie de me trouver dans cette pièce. J'aime peindre. Jouer les vendeurs de toile en revanche, ce n'est pas mon domaine.
— Peux-tu m'en dire un peu plus sur la création des chefs d'œuvre que nous pouvons admirer ce soir ?
— Je préfère laisser tout à chacun ressentir ce qu'il souhaite devant mes toiles.
Ou plutôt, je préfère garder pour moi ce qui m'appartient. Mon but est de faire ressentir. Pas qu'on me ressente. C'est tout à fait différent. Chaque artiste vit son art différemment. J'aime garder une part d'intime dans le mien.
— Oh, ¡Que buena idea! (2) En tout cas, le tout Madrid se presse pour venir découvrir ces merveilles. On m'a dit que tu quittais notre beau pays prochainement. Quel dommage de perdre un si grand artiste !
Quel dommage qu'il maîtrise un peu trop bien l'art des flatteries pour n'en paraître réellement sincère.
— Gracias. (3)
D'un geste de la main, suffisamment guindé pour n'être compris que dans ce genre de milieu, je m'excuse et m'écarte de lui. Après plus d'une heure parmi ces requins qui ne cherchent qu'à dominer l'océan, l'air commence à sérieusement me manquer. La tranquillité, aussi. Je dépose ma coupe vide sur le plateau d'un de ces hommes qu'on a habillé comme des pingouins pour l'occasion, avant de me diriger vers la porte arrière. J'y trouve un autre pingouins, en train de fumer.
Quand il m'aperçoit, il s'excuse et jette précipitamment son mégot au sol, pour entrer à l'intérieur. Je l'arrête d'un geste, et lui fais signe de me passer du feu. Il s'exécute, et je lui tends une autre cigarette.
Je le vois hésiter un instant, mais mon regard le fait céder. On résiste rarement à mes demandes, et je suppose que l'aura noire que je dégage la plupart du temps y est pour quelque chose.
— Pourquoi es-tu ici ?
— Je dois payer mes études.
Son accent est bien moins discernable que celui du journaliste dont je ne me souviens toujours pas du nom. Et puisqu'il n'a pas l'air de vouloir me couvrir de compliments pour se faire bien voir, je l'apprécie déjà un peu plus.
— Et tu aimes l'art, au moins ?
— C'est ce que j'étudie. Je préférerais admirer les tableaux que de servir des petits fours.
Il me tire un sourire en coin, tandis que j'expire la fumée de mon tabac.
— Crois-moi, servir ces gens est sûrement moins ennuyant que de les écouter parler. Ce n'est pas dans ce genre de soirée, qu'on admire quoi que ce soit, si ce n'est le compte en banque des autres invités.
— Je ne comprends pas l'intérêt dans ce cas.
Parce qu'il est encore trop jeune. Pourtant, je lui donne mon âge. Mais son expérience dans le milieu n'est pas encore suffisante pour qu'il comprenne. Les belles illusions qu'on se fait au début de sa carrière se brisent rapidement quand on découvre l'envers du décor.
— Le fric. C'est ce qui régit tout dans ce monde. Alors il faut laisser penser ces gros benêts qu'ils y comprennent quelque chose à l'art, pour pouvoir continuer d'en offrir aux vrais amateurs.
— N'y a-t-il pas parmi eux de vrais amateurs ?
— Je te défis de m'en trouver plus de cinq sur la totalité des personnes présentes ce soir.
Il ne me répond rien, et je n'ai pas besoin de le regarder pour sentir sa désillusion. Il s'y fera. Si ce milieu est ce pour quoi il est destiné, il apprendra à se servir des codes prédéfinis pour écrire les siens. C'est comme cela qu'on survit, ici.
Je finis ma clope et l' écrase, avant de la jeter dans la poubelle non loin. Avant de retourner à l'intérieur, je m'arrête une nouvelle fois devant lui.
— Ton nom ?
— Javier.
Je lui glisse ma main dans l'intérieur de ma veste, et en sors mon portefeuille. Je glisse ensuite dans sa main une coupure assez grosse pour lui éviter d'avoir à jouer les pingouins pendant quelques semaines.
— Ravi d'avoir discuté, Javier. Maintenant, pose ton plateau, et profite des tableaux. Ainsi, vous serez peut-être 6.
Je lui tends une invitation, afin qu'il puisse profiter de la soirée, et j'entends à peine ses remerciements, que la porte s'est déjà refermée sur lui.
J'ignore les quelques regards qui se déposent sur moi et me dirige bien vite vers l'extérieur.
Les flashs des photographes qui attendent depuis une bonne heure que je sorte alors qu'ils ont eu des milliers de photos de moi à mon arrivée m'éblouissent un instant. Je m'y réhabitue bien vite, pour trouver sans difficulté mon chemin jusqu'à la voiture qui m'attend. Elle est au bout du tapis rouge, en même temps. Difficile de la louper.
Je laisse tomber ma tête contre le siège et fixe mon regard sur la toiture du véhicule, m'enveloppant dans une bulle qui se brise si tôt que le chauffeur m'annonce que l'on est arrivé.
J'aurais aimé profiter de ce moment pour penser, mais j'en suis bien incapable. Trop de bruit, trop de lumières. Et pourtant, je n'aime pas plus le silence et l'obscurité.
Il n'y a qu'un moment, où je me sens réellement bien. Dans mon atelier, un pinceau entre les mains. Lorsque mon esprit divague pour n'être que couleurs sur une toile. Je n'ai d'intérêt pour rien d'autre, incluant ce genre de soirée mondaine.
L'art. C'est presque comme mon oxygène. Absolument essentiel à ma survie.
Je peux peut-être inclure les moments que je passe avec mon cousin, dans ceux qui ont un intérêt à mes yeux, quoi que cela dépend du nombre de conneries qu'il raconte dans ces instants là.
Mais le reste n'est que du superflu.
La porte de ma chambre d'hôtel claque derrière moi, et mon premier réflexe est d'attraper une bouteille de whisky qui trône sur une commode. L'avantage de l'argent, c'est qu'on s'assure toujours que j'ai ce dont j'ai besoin, à tout instant. Et là, j'ai bien besoin d'un verre.
L'alcool à la main, je mets un bain à couler et m'enfonce dans celui-ci.
L'eau chaude me détend le corps, mais mon esprit reste emplit de pensées qui parfois deviennent difficiles à supporter. D'autant plus quand mon téléphone, sur le rebord de la baignoire, vibre, et qu'un prénom que je ne connais que trop bien s'affiche.
« Monsieur William, veuillez vous souvenir de votre vol à 9h35 demain matin, pour votre rentrée de ce mercredi.
Cordialement, Sylvia. »
Je ris sans entrain, avant de finir d'un seul coup mon verre. Comme d'habitude, mon père préfère envoyer sa secrétaire que de m'appeler lui-même. Un effort qui semble lui être de trop, dans son emploi du temps si chargé. Je ne suis même pas certain qu'il connaisse mon anniversaire. C'est Sylvia, ou n'importe quelle autre secrétaire disponible qui se charge de m'envoyer un cadeau livré sur le pas de ma porte. Heureusement, elle a plutôt bon goût. Mais elle ne peut remplacer un père, quand son seul intérêt, c'est de bien faire son travail. Un enfant ne devrait pas être un travail. Il faudrait le dire à celui qui l'emploie. Le parfait représentant du chef d'entreprise scotché à son bureau, chargeant ses employés de s'occuper de ses gosses. Plus facile de les faire que de les élever.
Il est le personnage typique de ces séries adorés par les foules. Celui que l'on se plaît à détester parce qu'il ne prend pas soin du héros depuis son enfance. Sauf que je n'en suis pas un, de héros.
Il ne manquerait plus qu'il baise Sylvia, et on aurait le combo gagnant.
Je m'enfonce un peu plus dans l'eau et tente de calmer mon esprit. Je voudrais dire que je n'en veux pas à mon géniteur. Autant pour ne pas paraître impacté par cet homme qui n'a pas fait grand-chose à part me donner la vie, que pour ne pas m'enfoncer un peu plus de cette histoire préfabriquée du fils riche sans amour. Mais je ne peux pas le nier. Je ne le hais pas. Je lui en veux seulement. Pour tout un tas de raisons. Et quand bien même je souhaiterais paraître détaché, je n'y parviens pas.
Mes yeux se ferment, juste un instant. Je ne suis pas capable de rester dans l'obscurité plus longtemps. Je n'ai jamais aimé le noir. Peut-être à cause de ces nuits remplies de cauchemar pendant lesquelles j'appelais un père qui ne venait pas.
J'en ris presque une nouvelle fois. Un artiste torturé ? Peut-on trouver plus cliché ?
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1 : en espagnol, dans le texte : « Cette toile est vraiment un chef d'œuvre. J'adore la façon qu'a l'artiste d'associer les couleurs. On ressent vraiment ce qu'il a voulu mettre comme émotion dans sa composition. ».
2 : en espagnol, dans le texte : « Quelle bonne idée ! »
3 : en espagnol, dans le texte : « Merci »
Ah les personnages qui paraissent si cliché ! Comme j'aime, avec cette série, m'en servir pour les rendre plus profond que ce qu'on penserait (ai-je réussi avec Lester ? J'espère que oui, et que j'y parviendrai aussi avec William). Kanako a peut-être besoin qu'on lui redonne le goût de vivre... mais elle n'est pas la seule. Vont-ils réussir à s'aider mutuellement ?
On se retrouve dans une semaine pour la suite !
Kiss :*
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