Chapitre 25
PDV William
Son regard me suffit pour comprendre qu'elle a tout entendu. Il me suffit pour comprendre que je déteste cette idée. Non pas qu'elle ait eu accès à cette conversation, si l'on peut utiliser ce terme, mais plutôt qu'elle voit cette partie de ma personnalité. Pour une étrange raison, j'aimais l'idée qu'elle voit autre chose de moi que ce côté tyran que l'on me décrit. Qu'elle ait accès à une partie de mon être qui différait totalement de tout ce qu'on peut dire de ma personne. Ce n'est pas faux, pourtant. Je suis un tyran, un colérique, et toutes ces autres conneries. Mais avec elle, j'étais autre chose. J'étais cette partie de moi que je n'offre que peu, et j'aimais ça.
Elle reste à me regarder pendant un bon moment, son regard ancré dans le mien. Je suis encore en colère. J'expire à grandes bouffées, pour tenter de me calmer. Si Marcus était resté cinq minutes de plus, j'aurais perdu le contrôle, un peu plus.
Je ne le supporte pas. Je ne supporte pas qu'il soit tout ce que je me refuse : la parfaite copie, et le meilleur pion de notre géniteur.
Alors quand il débarque dans ma vie, dans ma maison, c'est toujours la même rengaine. Et lorsque comme aujourd'hui, il tente de me convaincre de faire quelque chose pour l'homme qui est à l'origine de notre vie de façon biologique, je ne peux pas me retenir d'exploser. Je me refuse à jouer les parfaits fils pour les paparazzis qu'il aime impressionner. Je me refuse de lui donner ce plaisir de passer pour un père modèle dans les magazines. La seule chose que cet homme fait pour moi, depuis ma naissance, c'est de m'assurer un compte en banque rempli, même si je gagne ma croûte depuis des années à présent. Et c'est plus que suffisant comme interactions entre nous. Je me refuse à lui donner plus que cela.
Kanako décide de briser la distance entre nous, et si c'était Natt qui faisait une chose pareil, il se prendrait ce que j'aurais sous la main pour le faire reculer et me foutre la paix. Mais sa présence me dérange moins que les autres. Comme son regard. Il est presque apaisant, même si je suis encore loin de retrouver mon calme. Sa main glisse sur mon poignet, l'accrochant entre ses doigts, et sans m'expliquer quoi que ce soit, elle m'entraîne à sa suite. Elle nous fait monter à l'étage, et aller dans l'atelier. Je n'oppose pas de résistance. Je me contente de la regarder s'affairer dans la pièce, bougeant mes affaires dans tous les sens.
Je voudrais râler. Je déteste qu'on touche à mon bazar, parce qu'il est organisé de manière bien précise. Elle est en train de tout retourner, et pourtant je n'ai aucune envie de l'arrêter. Pas la force, peut-être. Elle attrape une toile vierge, plutôt grande, et je la vois galérer à la ramener et la poser contre un mur, avant d'appliquer une grande bâche en dessous. Elle attrape des pots de peinture, et je commence à comprendre où elle veut en venir.
Elle en ouvre un, puis un deuxième, et un troisième. Et enfin, elle relève son visage vers moi. Elle attend. Comme si ses yeux me soufflaient ce qu'elle voulait me dire. D'avancer. De prendre ces pots et de les jeter sur la toile.
Là, devant mes yeux, elle a recréé notre toit, cet endroit où je lui ai appris à lâcher ses sentiments.
— Je n'ai pas besoin de ça.
Je n'en ai jamais eu besoin. Ce n'est ni la première ni dernière fois que je suis à deux doigts d'embrocher Marcus. C'est ainsi que nous fonctionnons. Dans la haine. Une haine dont l'origine ne vient que d'un seul homme.
— Tu es en colère.
— En effet. Alors je préférerais un verre.
Elle me lance un regard courroucé quand je m'approche d'une bouteille sur une étagère, et arrive à l'attraper avant moi.
— Ne me dis pas comment gérer mes émotions, petit zombie. Je suis assez grand pour ça.
— Tu m'as dit que c'est de cette façon, que vous criez.
— J'ai assez crié pour ce soir.
— Peut-être pas.
Je la regarde, et au lieu de me tendre la bouteille, elle me tend un pot de peinture bleue. Je hausse un sourcil dans sa direction, en me demandant si elle pense vraiment que je vais simplement faire ce qu'elle me dit. Je suis têtu, et plutôt con, quand je m'y mets. Surtout dans ce genre de situation. J'attrape le pot et le repose sur le côté, pour lui laisser une main libre afin de me répondre.
— C'est la bouteille, que je veux.
— Si tu tentes de la prendre, je l'éclate au sol.
— Quelle assurance. J'en ai d'autres, tu sais.
— Et je peux très bien toutes les briser, tu sais.
J'aime ça. Ces brides de caractère qu'elle me dévoile de plus en plus souvent. Au milieu de toute la rage accumulée ce soir, elle me tire un sourire, ceux que j'aime lui donner, parce que j'aime l'effet qu'ils ont. Son rougissement. Mais cette fois, elle ne rougit pas, trop sérieuse.
— Prends la, si tu la veux vraiment.
Elle avance d'un pas, et place la bouteille entre nous. Son regard se plonge dans le mien, plein d'assurance, mais aussi d'autre chose. Et c'est cet autre chose, qui me fait craquer. Je lâche un grognement, et au lieu d'attraper la bouteille, je chope le pot à côté de moi, la contourne, et en balance le contenu contre la toile vierge.
Je glisse un coup d'œil vers elle, rapide, avant de me saisir d'un autre pot.
— Remballe-moi ce sourire satisfait zombie, ou je reprends la bouteille.
Mais elle n'arrête pas de sourire. Et je ne reprends pas la bouteille.
**
Après ce que je ne sais être des minutes ou des heures, ma colère a été balayée par une certaine forme de fatigue. Kanako m'a laissé me servir un verre de whisky, et pourtant, malgré mon envie, je n'ai pas encore apporté le liquide à mes lèvres. Mon regard oscille entre l'extérieur à la fenêtre, à présent sombre, et le liquide ambré que je fais tournoyer dans le verre de cristal. Assisse sur un tabouret à côté de moi, la jeune femme attend. Je ne sais pas exactement quoi. Peut-être ne le sait-elle pas non plus. Mais j'ai la certitude qu'elle obtiendra ce qu'elle veut de moi.
— Il n'a jamais été là.
Et je n'ai jamais parlé de cela. Mais je sais que c'est ça, qu'elle attendait. Je sais que je suis incapable de lui refuser. Je ne saisis pas pourquoi. Et dans cette résignation qui m'habite, je m'en fous bien, en réalité.
— Pas un anniversaire. Pas un Noël, rien. Je dirai qu'il n'y a que deux choses pour lesquelles mon géniteur a été ou ait présent dans ma vie. Ma conception. Et chaque fois que notre affiliation peut faire du bien à son image.
Elle remue sur son tabouret, mais ne tente pas de poser de questions. A l'instar de moi, lorsque je l'ai emmenée dans l'aile musicale. Comme si chaque interrogation pouvait faire taire l'autre, nous préférons ne rien dire, et simplement écouter.
— Il est l'homme riche que l'on imagine tout en cliché. Celui qui demande à sa secrétaire de nous acheter des cadeaux et écrire des cartes, celui qui n'est pas fichu de nous envoyer lui-même un message, celui qui compense sa présence et tout ce que devrait faire un père par des liasses de billets. Parce que c'est plus simple de signer un chèque que de changer une couche.
Je ne me plains pas de la vie que j'ai eu, grâce à lui. Je n'ai jamais manqué de rien. Sauf d'un père. Et d'une mère qu'il m'a prise par son incompétence, par sa façon d'être, par son égoïsme. A la place, j'ai eu des nourrices, un énorme compte en banque, une villa trop grande pour moi seul, et tout ce que j'ai toujours voulu. Je suppose que c'est mieux que rien. Et qu'il pense que cela compense.
— Je ne supporte pas Marcus pour deux raisons. La première, celle que tu connais déjà. La seconde, qu'il lui ait pardonné. Qu'il fasse tout ce qu'il peut pour le satisfaire. Et surtout, qu'il tente de me faire faire pareil. Je refuse de répondre aux caprices d'un homme qui n'a de père que la fonction biologique.
Pour rester poli. Dans mon esprit, la formulation était bien plus crûe.
Kana m'observe, et je vois qu'elle hésite.
— Pose ta question allez.
Elle louche sur mon verre, comme si je risquais de le descendre d'une traître plutôt que de lui répondre. Je soupire, avant de lui foutre entre les mains, et lui lance un regard qui veut tout dire. Elle pose le verre derrière elle avant de mettre des mots sur ses pensées.
— Est-ce que tu le détestes?
Oui. Non. Peut-être bien. Je n'ai pas envie de répondre, mais mon corps le fait à ma place. Je n'ai plus de contrôle sur lui, parce qu'à partir du moment où elle me pose une question, à partir du moment où elle pose ce type de regard sur moi, j'ai la foutue impression d'être incapable de lui résister.
— Pas vraiment. Je lui en veux. Mais je suis incapable de le détester. Et ça me bute.
Je voudrais le haïr. Ou bien ne pas lui faire l'honneur de ressentir quoi que ce soit. Je suis dans un putain d'entre deux qui m'emmerde au plus haut point.
Je suppose que c'est difficile à appréhender, pour elle. Une famille qui se déchire, même si ce terme ne me semble pas approprié dans notre cas. Elle qui a perdu ceux qu'elle aimait tant, qui a une relation si fusionnelle avec sa grand-mère, les liens inexistants ou très distendus de mon entourage n'ont rien de logique, dans son monde. Pourtant, ils sont ce qui définit le mien.
— Est-ce qu'il te manque ?
— Peut-on ressentir le manque de quelque chose que l'on a jamais connu ?
Elle n'a pas la réponse à cette question. Et moi non plus. Je suis en incapacité de lui répondre, parce que je n'ai jamais réfléchi à cette éventualité. Je suppose qu'enfant, la présence d'un père me manquait, oui. Mais maintenant ? Au milieu de la rancœur et de la colère, y a-t-il de la place pour un autre sentiment ?
Un rire ironique me prend, et elle m'interroge d'un regard.
— Tu ne trouves pas que je ressemble de plus en plus au personnage d'un film bien cliché ?
L'artiste riche au père absent qui dilapide fortune au lieu d'amour, aux problèmes de familles, qui devient exigeant et tyrannique. Quoi de plus déjà vu ?
— Ce genre de personnage a toujours son happy end.
— Si nous étions dans une comédie romantique, peut-être.
Avant qu'elle ne me réponde, j'ignore pourquoi je me penche vers elle, pour voir ses mots s'écrire sans attendre. Je pourrais rester à ma place, et patienter le temps qu'elle ne me tende l'écran, mais c'est plus fort que moi, je rapproche mon corps du sien pour guetter ses pensées par dessus son épaule.
Mais elle relève la tête. Et son regard s'accroche au mien. Ses pupilles aux reflets ambrés me détaillent, m'interrogent, me sondent. Elles plongent en moi, et j'ai la sensation qu'elles voient. Qu'elles voient vraiment. Son souffle sur mes lèvres me laisse comprendre à quel point nos corps sont proches. Je sentirais presque un frisson la traverser et venir entourer mon corps à sa suite. Le parfum aux senteurs exotiques qu'elle porte me monte aux narines, mais je ne fais attention à rien d'autre qu'à son regard. Je m'imagine le figer sur une toile, en ayant toutefois la certitude d'être incapable d'en rendre toute la beauté. Il y a tellement de lumières, dans ses yeux. Tellement de nuances, d'éclats, de beauté.
Une palette de couleur à elle seule. Une palette qui se trouve relevée par la rougeur de ses joues, qui dénote sur sa peau pâle, et me ramène à la réalité, me forçant à faire un pas en arrière.
Reprendre une conversation normale. Voilà ce dont nous avons besoin tous les deux.
— Pourquoi Charlotte prenait-elle tes mesures ?
Mais ce n'était pas la bonne question pour une conversation normale. Parce que l'image passe sous mes yeux, et je sais qu'elle revient dans son esprit au même moment, quand son visage devient un peu plus rouge encore. La vision de son corps à moitié dénudé s'imprime sous mes paupières, et je ne parvient pas à l'en chasser.
Finalement, j'aurais dû garder mon verre. Parce que j'en aurais bien besoin d'une gorgée.
-------------------------------------------------------------
Certains ont-ils cru qu'ils allaient s'embrasser ? Ahah il va falloir attendre pour ça #auteuresadique
Mais promis j'ai plein de scènes adorables en réserve en attendant x)
A dimanche prochain pour la suite,
Kiss :*
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top