Chapitre 24
Une petite journée de retard, désolée !
PDV Kanako
— Kana !
Je ne sursaute pas quand Charlotte entoure mon cou de ses bras, l'ayant entendue entrer dans la pièce sans aucune discrétion la seconde d'avant. Elle dépose un baiser sur ma joue avant de porter son regard devant elle, et donc devant nous, sur la toile que je suis en train de réaliser. Un autoportrait, pour changer. Sûrement le millième de cette semaine, et encore, c'est peut-être parce que j'ai cessé de compter.
— C'est fou comme tu t'améliores.
Je grimace, peu en accord avec elle, et attrape mon téléphone sur le chevalet pour lui notifier.
— Foutaise. Tu as juste du mal à voir tes progrès, mais nous d'un œil extérieur, ils nous sautent aux yeux. Tu parviens à monter de niveau en quelques semaines alors que les étudiants d'ici mettent 7 ans.
— Je suis encore loin du niveau des dernières années.
— Peut-être, mais tu es loin devant les premières années. Alors que tu as commencé il y a quelques semaines !
Je m'apprête à répliquer quand elle reprend.
— Non, cesses de nier, je n'accepte aucune négation de ta part. Je ferme les yeux, si tu essayes.
Je vois son visage dans le reflet de mon écran, ses yeux fermement clos et sa bouche pincée. Je vois le mien, aussi. Mon sourire, si vite monté sur mes lèvres, grâce à elle. Et je vois notre étreinte. Ses bras encore autour de moi, son visage à côté du mien. Comme deux amies. Ce que nous sommes. Une proximité que je redécouvre. Que j'aime. Et qui agrandit mon sourire.
J'actionne la voix automatique de mon logiciel pour lui répondre, contournant ainsi son regard clos, et me moquant d'elle.
— Et pour cette voix enregistrée, tu fais comment ?
— Je te dirais bien que je vais me boucher les oreilles, mais une telle action me rapprocherait un peu trop de l'âge mental de Natt, ce qui me désespère.
Elle ouvre les yeux en riant et je la rejoins dans son hilarité, avant qu'elle ne se décolle de moi.
— Bon, à part ça, je ne suis pas ici pour admirer tes progrès. J'ai besoin de ton aide.
— Pourquoi ?
— Je t'en dirai plus à la maison. Enfin à la maison des garçons. Allez hop, range tes affaires, je t'embarques.
— William doit finir un cours d'ici une heure et me rejoindre pour notre séance.
Elle m'offre un sourire presque diabolique, ce qui m'amuse beaucoup.
— Et bien William devra faire avec et nous rejoindre à la maison. Je m'occupe de lui.
— Je te laisse lui dire ça toi-même.
— J'enverrai Natt en première ligne, c'est lui qui se prendra la bombe.
Un fou rire de plus, quelques minutes et un trajet en voiture plus tard, nous revoilà dans cet immense salon. Nous sommes seules, les garçons encore en cours à la NSA – l'un en tant qu'assistant professeur, l'autre en soutien obligatoire pour avoir raté un devoir – et la maison paraît bien trop grande pour nous.
Elle jette son manteau sur le canapé et sort un flyer de son sac, avant de me le tendre. J'ai à peine le temps de le lire qu'elle est en train de m'expliquer son contenu.
— Chaque année, les dernières années de la section stylisme doivent organiser un défilé. C'est notre évaluation terminale à nous. Tu sais comme la NSA aime faire les choses de façon minimaliste.
Évidemment. Organiser un défilé, une exposition de peinture, ou un concert dans la plus grande salle du pays, c'est tout à fait minimaliste. Aucune folie des grandeurs, chez nous.
— Je ne suis pas en dernière année, mais pour chaque défilé, 3 étudiants d'années inférieures sont choisis pour présenter un modèle. Et j'ai été sélectionnée !
— C'est génial Charlotte ! Je suis contente pour toi.
— Attends que j'ai terminé pour déterminer si tu es contente ou non.
Je fronce les sourcils, intriguée, et la laisse poursuivre.
— On doit s'occuper de tout, de A à Z. Et ça passe... par recruter des mannequins.
J'ai étrangement la sensation de comprendre où elle veut en venir, et le sentiment que je préférerais me tromper. Elle ne va pas dire ce que je pense, n'est-ce-pas ?
— Je voudrais que tu sois mon mannequin, Kana.
— Moi, ton mannequin ?
Éberluée devant sa proposition, je ne sais pas comment réagir. Je me contente de la regarder avec de grands yeux, comme si elle délirait complètement.
— Oui, toi.
— Mais tu n'as pas d'amies de ta section qui s'y connaissent et peuvent t'aider ?
— Si, évidemment. Mais dès l'instant où j'ai été sélectionnée, j'ai pensé à toi. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne parviens à imaginer personne d'autre que toi.
Je ne sais pas comment lui dire non. Je sais juste que je n'arrive pas à lui dire oui. Je me laisse tomber dans le canapé, les yeux perdus dans le vague. C'est un rêve ? Je me suis endormie sur mon chevalet et mon esprit délire ? Comment Charlotte peut-elle m'envisager moi, alors que je suis certaine qu'elle connaît des femmes magnifiques, grandes, élancées, et surtout, qui connaissent le monde des défilés et de la mode.
Elle s'assoit à côté de moi, et pose une main dans mon dos.
— Ça va ? Tu n'es pas en train de me faire une crise cardiaque hein ?
Je secoue la tête, avant d'avaler ma salive, comme si j'allais pouvoir lui répondre de vive voix.
— C'est juste que... Je ne vois pas comment je pourrais être ta mannequin.
— C'est assez simple, tu me laisses prendre tes mesures, te fabriquer une tenue superbe, te maquiller et te pomponner. Et à la fin, tu marches sur un podium. Juste marcher.
— Je ne crois pas que ça se résume à juste marcher.
Non, c'est marcher devant des milliers – je connais l'attrait de la NSA pour les grandes représentations – de personnes que je ne connais pas, avec grâce, sans me péter la gueule à cause de talons trop haut, le tout entre deux mannequins professionnelles tirées à quatre épingles.
— Est-ce que tu refuses parce que tu ne t'en sens pas capable, ou parce que tu as peur ?
— Les deux.
Autant être honnête. Elle m'offre un sourire. Et je sais que je ne vais pas gagner.
— Ça tombe bien. Parce que tu en es capable, et que je vais t'apprendre à ne plus avoir peur.
— Pourquoi moi ?
— Va savoir. Pourquoi William a mis du bleu sur sa dernière toile ? Il l'a juste senti. Et bien moi, c'est pareil. J'ai senti que ça devait être toi. Une évidence s'est insinuée en moi, et ne m'a pas lâchée.
Elle a l'air si sincère que je ne peux pas douter. A part de ma propre capacité à remplir ce rôle qui compte tant pour elle.
— Je ne sais pas faire. Si je rate ?
— Et alors ? Ce n'est pas ma dernière année, je ne risque rien. Et puis, t'apprendre à défiler, crois-moi, ça ne sera pas le plus dur.
— Qu'est-ce qui sera le plus dur ?
— Convaincre William que je vais devoir être casée dans ton emploi du temps, moi aussi. Et qu'il va devoir me laisser de la place.
Entre la philosophie et la peinture, je doute d'être capable d'assurer une tâche de plus. Sans compter les autres cours.
— Je ne peux pas me dédoubler.
— Mais moi, je peux me caler sur tes horaires. Et puis, tant que je couds, dessines et tout le reste, je n'ai pas besoin que tu sois là en permanence.
Ses arguments sont imparables, comme si elle avait prévu à l'avance toutes les remarques que je pourrais lui opposer. Et étrangement, ça ne m'étonnerait pas plus que cela que ce soit le cas. Lorsque j'ai terminé d'épuiser toute mon inspiration sur des possibles moyens d'éviter ça, je me retrouve les bras étendus, en soutien-gorge, un mètre autour de la poitrine.
Charlotte, un crayon dans la bouche, me baragouine des mots incompréhensibles, me faisant partir en fou rire.
Elle le retire, un rire aux yeux, et répète avec plus d'aisance.
— Une robe asymétrique t'irait à merveille. J'imagine déjà quel type de tissus siérait le plus à la couleur de ta peau. On t'a déjà dit que tu avais un teint magnifique ?
Je me contente de rougir, lorsque la porte s'ouvre à la volée, et que deux silhouettes débarquent dans le salon. Je croise instantanément le regard de William, qui écarquille les yeux, avant d'attraper Natt et de le faire retourner dans l'entrée. Sa voix tonne alors, agacée.
— Bordel de merde Charlotte, il n'y a pas assez de pièces dans cette maison pour éviter de faire ça en plein milieu du salon !
Elle maugrée que c'est simplement un râleur, trop concentrée sur ses idées qui fusent et qu'elle gribouille sur une feuille. Elle attrape ensuite mon poignet pour m'entraîner plus loin, dans un bureau. Elle n'a pas l'air de se soucier de ce qu'il vient de se passer, alors que j'ai encore bien en tête le regard de William sur moi. Est-ce qu'il m'a vue ? Évidemment que oui. Et pourquoi est-ce que cette idée ne provoque pas du tout les mêmes chose en moi que d'imaginer que Natt ait pu voir la même chose ?
— On devrait partir sur un décolleté léger.
— Ils viennent de me voir en soutien-gorge.
— Ce n'est pas la première paire de seins qu'ils aperçoivent. Et puis ma belle, tes dessous ressemblent davantage à un maillot de bain qu'à de la lingerie.
Elle relève la tête de mon écran pour observer mon visage, et j'ai l'impression qu'elle lit en moi comme dans un livre ouvert. Est-ce que je suis si facile que cela à déchiffrer ?
— Pourquoi j'ai la sensation que toi et moi on va aller faire du shopping pour remédier à cette situation ?
— Est-ce important d'y remédier ? Ce n'est pas comme si j'avais quelqu'un à qui les montrer.
— Alors déjà ma belle, ça viendra. Et ensuite, on ne s'achète pas forcément de la lingerie pour plaire à un partenaire. Tu dois avant tout te plaire à toi-même. Et c'est exactement pour cette raison qu'on va devoir sortir. Parce que tu ne sais pas encore te plaire, et que je vais t'aider.
Est-ce vrai ? Que l'on doit se plaire à soi-même ? Je suppose que oui. Ce n'est pas une question que je me suis un jour posée. A vrai dire, je n'ai jamais vraiment fait attention à ce que je pensais de mon corps. Et peut-être qu'elle n'a pas tort. Peut-être que je crains d'être sa mannequin parce que je ne parviens pas à me plaire.
Elle prend quelques mesures supplémentaires en réfléchissant à mille à l'heure à ses idées, avant que je ne puisse me rhabiller, quand une voix tonne à travers les murs. La colère est un sentiment bien insuffisant pour décrire ce que je capte dans son ton, et pour une étrange raison, ça me vrille le cœur de l'entendre.
— Combien de temps tu vas me faire chier avec ça ! Ce n'est pas difficile à comprendre, je ne veux rien avoir à faire avec lui ou bien avec toi ! Fous-toi ça dans le crâne !
La réponse ne nous parvient pas, signe qu'au contraire de William, l'interlocuteur ne crie pas, et reste relativement calme. Je n'ai pas besoin de le voir pour comprendre de qui il s'agit.
— Écoute-moi bien. Si tu as décidé de passer presque la moitié de ta vie à lui lécher les bottes, c'est ton problème. Ne viens pas m'emmerder pour que je m'abaisse à ton niveau !
Charlotte évite mon regard, gênée, et je comprends que ce n'est pas la première fois qu'elle assiste à une scène de ce genre.
— Vous êtes les mêmes. Deux sombres connards qui pensent que le monde va se plier à leurs pieds. Plie toi aux siens, vas-y, mais n'espère pas me voir rentrer dans votre merde.
J'ai presque l'impression de l'entendre rire, un rire ironique, mauvais, qui n'augure rien de bon.
— Et si on discutait de la couleur ?
Mais je n'écoute pas Charlotte, qui tente de happer mon attention. Je suis incapable de me détourner de lui, dont je n'entends que la voix et les sentiments.
— Une famille ? Laisse-moi rire. Ni lui ni toi n'êtes ma famille. Pas plus qu'il n'est la tienne. Tu devrais l'intégrer. Tu es juste un des éléments desquels il peut se vanter, parce que tu es un putain de toutou dont il tient bien la laisse.
Là, au milieu de la colère, j'ai l'impression de percevoir autre chose. Un sentiment bien plus impactant, un sentiment que je n'imagine pas un jour le voir admettre. Une pointe de tristesse. Suis-je la seule à la capter ? Pourtant, elle m'apparaît bien plus vibrante que la rage qu'il déverse sur Marcus.
— Dégage de ma putain de maison !
Natt finit par entrer dans la pièce et renfermer la porte aussi sec, en faisant mine de rien. Il tente d'engager la conversation sur ce que compte faire Charlotte de ma tenue, mais j'écoute à peine.
Le silence est retombé, et je sens que c'est terminé. Que Marcus est parti. Mais je sens aussi que je ne peux pas rester ici. Alors je sors. J'ignore Natt qui tente de m'en dissuader, arguant que ce n'est pas le moment de le déranger.
Parce que j'ai besoin de le voir. Et cette partie folle de ma conscience me souffle qu'il a besoin de moi.
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Aaaaah William, Marcus, son père... est-ce que cela s'arrangera un jour ?
Kanako s'apprête-t-elle à subir les foudres du peintre ?
A dimanche,
Kiss :*
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