Chapitre 23

PDV William

Je suis loin d'être un enfant de cœur. Pour dire vrai, je suis plutôt un gros connard, et je ne m'en cache pas. L'empathie, la compassion et toutes ces conneries, je m'en passe, la plupart du temps. Mais là, je dois avouer que ce type a fait fort. Quitter la personne avec qui tu es depuis 4 ans parce que tu apprends qu'elle est malade, c'est plus qu'être un trou du cul. Je crois qu'il n'y a pas de mots assez forts ; et même moi, je n'aurais pas été capable d'une telle merde. Il ne l'a pas quittée parce qu'il avait peur de ne pas supporter de la voir à l'hôpital, de la perdre, ou tout autre excuse. Non, il l'a fait parce qu'elle ne lui permettrait plus de briller autant qu'il le souhaitait. Il risquait de perdre sa couronne de roi, sans sa reine. La preuve ultime qu'il n'était avec elle que pour une raison unique, la gloire, le paraître. S'il avait eu un tant soit peu d'attachement pour elle, il n'aurait pas eu ce comportement, et il aurait encore moins prononcé ces mots. Ce type est une ordure, et je lui souhaite de ne pas croiser ma route, où je lui expliquerai bien gentiment ce que je pense de lui.

L'être humain est capable d'être abject, et quand bien même cette réalité est bien ancrée en moi, elle me débecte toujours autant. Et je me retrouve encore parfois surpris de ce que sont capables de faire mes congénères.

Qu'aurait-il fait, si son opération s'était parfaitement déroulée, et qu'elle était revenue ? Serait-il revenu vers elle, en remarquant qu'elle était toujours capable de le mettre en lumière ? Sûrement. Parce que ce genre de type ne pense qu'à sa réputation, et qu'être là sans elle, pire, avec la possibilité qu'elle puisse emmener un autre partenaire au sommet aurait été insupportable.

Je ne peux m'empêcher de faire un parallèle entre lui et cette soi-disant amie. Ness, ou quelque chose comme ça, me paraît être tout à fait le genre de personne qui serait capable de revenir vers elle uniquement parce qu'elle semble pouvoir lui apporter quelque chose. Si ce type a feint de l'aimer pendant 4 ans, pourquoi serait-il inenvisageable qu'elle ait feint une amitié pendant 6 ? L'humain est définitivement capable de ce genre de chose. Se jouer des sentiments des autres pour son propre intérêt.

Je me fous peut-être de ce que les autres ressentent. Mais jamais je ne m'en suis servi pour mettre en œuvre mes projets, quitte à les piétiner.

Si ces personnes étaient réellement talentueuses, elles n'en auraient même pas l'idée.

Son sourire, le premier depuis un moment, ou plutôt, le premier qui ne renferme pas de la tristesse devant ses souvenirs du passé, me fait du bien, en quelques sortes. Il me prouve que ce point-ci n'est plus une blessure. Un mauvais souvenir, mais qui ne fait plus mal. Parce qu'elle ne semble plus accorder d'importance à cet homme. Et ça me plaît étrangement. Comme il me déplaît étrangement l'idée qu'elle ait passée la nuit avec un homme inconnu rencontré au détour d'une plage. Et pourtant, je n'ai pas à la juger. Et je ne le fais pas. Je ne suis pas forcément un exemple dans le domaine. Il m'est arrivé plus d'une fois d'amener une inconnue dans mes draps, le temps d'une nuit. C'est humain. Il n'y a pas de loi qui interdit de passer du bon temps avec une personne qui en a également envie.

Pourtant, elle semble, malgré son sourire, craindre mon avis sur cette question. Elle ne demande rien. Mais je capte dans ses iris ce désir inéluctable de savoir ce que j'en pense, tout en ayant cette peur de ce que je pourrais dire. Je déteste l'idée qu'elle ait peur qu'on la juge. Personne ne devrait avoir son mot à dire sur la question. Et alors qu'avec n'importe qui, je me serai foutu de ses états d'âmes, avec elle, je ressens ce besoin incompréhensible mais que je ne parviens à ignorer de la rassurer.

- J'ai eu un Marc. Plusieurs, en réalité. Au féminin. Pourquoi ça serait normal pour un homme et pas pour une femme ?

Parce que merde, un homme qui couche n'a pas à être un Casanova et une femme qui fait la même chose une dévergondée. Même action, même conséquence, indépendamment du sexe. Je n'ai pas souvent de considération pour les autres, mais tout de même. J'ai beau la rassurer, j'ai toujours au fond de moi cette espèce de sensation désagréable, quand mon esprit l'imagine dans les bras de cet homme. Et j'ai ressenti cette même sensation quand j'ai imaginé, l'espace d'une seconde, qu'elle ait pu aimer ce connard de Shaun. J'essaye de l'ignorer, parce qu'elle n'a rien de normal, ni rien de compréhensible. Pourquoi je ressentirais ce capharnaüm en moi en l'imaginant avec des hommes ? Un espèce d'instinct de protection envers elle qui me paraît parfois si fragile, peut-être.

Une simple phrase, et pourtant, elle semble lui faire un bien fou. Toute l'angoisse que l'on pouvait apercevoir dans son regard disparaît, et elle me fixe en souriant. Pas un grand bavard, mais visiblement pas si nul avec les mots. Tant mieux, ça m'évite un long débat sur le sujet. Sur n'importe quel sujet, d'ailleurs. Moins j'ai à dire, mieux je me porte.

Elle doit prendre conscience qu'elle me fixe depuis un moment car elle finit par baisser les yeux, rougir, et avancer dans le couloir pour échapper à mon regard. Trop tard, cependant. Je ne dis rien, me contentant de profiter d'être dans son dos pour sourire en coin, amusé par la situation. Nous avançons quelques minutes avant que nous ne passions devant une salle dont la porte est ouverte. Elle y glisse un coup d'œil, et semble hésiter à m'y faire entrer, alors je fais le pas à sa place, et attend qu'elle se décide à entrer à son tour et m'expliquer. Les murs sont recouvert de cassettes, et au centre, un grand écran. A tous les angles de la pièce, on trouve des enceintes énormes. Elle finit par me rejoindre, et met quelques instants de plus avant de déverrouiller son téléphone. J'ai l'impression qu'elle réfléchit à quoi me dire. A trier certaines informations. Pourtant, je lis en elle qu'elle a décidé d'être tout à fait transparente quand elle finit par me tendre l'écran.

- C'est la salle vidéo. Ici sont conservés tous les passages des élèves. Parfois, on y vient, pour analyser les performances des autres, qu'ils soient encore étudiants ou diplômés depuis longtemps.

Je ne dis rien pendant un instant, mais une idée s'éveille en moi, et je comprends pourquoi elle hésitait à entrer. Elle savait ce que je risquais de demander. Je tente d'y résister, conscient qu'elle n'a pas envie que je pose la question. Parce qu'elle sait qu'elle va céder, et qu'elle a peur de ce que cela peut donner. Pourtant, et malgré le fait que je suis conscient de ce que cela risque de donner, je suis aussi persuadé qu'elle en a besoin, au fond. Et moi aussi. C'est très étrange, comme sensation. Et en même temps, je commence à trouver habituel d'avoir des certitudes, lorsqu'il s'agit d'elle. Je résiste un moment, tout aussi conscient qu'elle que je vais finir par demander, de toute façon. J'ai l'impression d'être simplement incapable de sortir de la pièce sans cela. Alors je cède.

- Fais-moi voir.

Elle hésite, un bon moment. Son regard accroche le mien, et elle semble y chercher quelque chose. Je la laisse faire, je la laisse prendre le temps qu'il lui faut, certain qu'elle va me donner ce que j'attends.

Elle finit par bouger et s'avance vers une étagère. Elle semble savoir exactement où chercher, comme si mille fois déjà, elle avait regardé cet enregistrement. C'est peut-être le cas. Si elle était vraiment la reine de cette section, je suppose que ses enregistrements devaient servir d'exemple de nombreuses fois.

Elle attrape une cassette - ils sont de la vieille école, visiblement - et la glisse dans un lecteur. Quelques secondes après, l'écran s'allume, et elle apparaît, trônant sur une scène. Je ne vois pas le public en face d'elle, mais je l'entends chuchoter, me laissant comprendre comme ils peuvent être nombreux. Elle se tient devant le micro, observe la foule, et règle une oreillette en même temps.

Puis sa main se dépose sur le micro. La première note de musique retentit. Et tout se tait. Les chuchotements se taisent instantanément, comme si la foule cessait même de respirer. Pour écouter. Je crois la voir afficher un sourire, l'un des mêmes que je me plais à lui faire en la taquinant. Son regard se dépose sur plusieurs parties de la salle. Elle capte l'attention, elle la ramène entièrement à elle. Alors qu'elle n'a même pas commencé à chanter. Et je ne suis pas dans cette salle. Pas en face d'elle, à ce moment précis, simplement posté devant une image. Pourtant, j'ai l'impression de me sentir exactement comme le public, à cet instant précis. Subjugué. Dans une attente grisante d'entendre ses premières notes.

Et quand elles viennent...

Il n'y a plus rien d'autre que sa voix. Et je comprends. Je comprends qu'elle était l'étoile de cette section. A quel point elle brillait. Je comprends ses sentiments. Ceux qu'elle fait passer dans sa voix, qu'elle veut et parvient à faire ressentir à son public. Mais aussi ceux qu'elle ressent, elle. Elle est transportée, autant qu'elle emmène avec elle ceux qui l'écoutent. Elle les fait voyager dans son monde, dans sa voix, et en même temps, elle garde pour elle une partie de tout ça. Quelque chose qui n'est qu'à elle. Lorsque je peins, il y a ce que je fais partager aux autres. Et il y a ce qui n'est que pour moi. C'est la même chose, ici. Et pourtant, ce qu'elle garde précieusement, j'ai l'impression d'y avoir accès.

Elle est subjuguante. Elle n'est pas simplement douée. Elle est de l'essence même d'un artiste. Je n'en doutais pas. Je le sentais dans son aura. Mais c'est tout autre chose que de le voir. La façon dont elle accroche le regard de son public. La façon dont elle laisse sa voix s'insinuer en eux, et choisir à quel rythme doit battre leur cœur. Elle est celle qui les autorise à respirer, ou décide lorsqu'ils doivent cesser. Presque comme une sirène qui vous envoûte, même si dans un autre contexte, j'aurais trouvé la comparaison enfantine et ridicule.

Kanako. Enfant de la musique. Bordel, jamais cela n'aurait pu être plus vrai.

Et je n'arrive même pas à penser à quel point cela a dû être douloureux, de perdre sa voix, comme je l'ai souvent fait ces derniers temps, malgré l'évidence qui s'étend sous mes yeux. Je n'arrive qu'à penser à ce que je vois. Ce que j'aurais aimé découvrir bien avant. Une personne aussi habitée par son art que moi.

Je vois le temps défiler et je sais que la vidéo est encore longue. Je voudrais la finir. En mettre une autre. Me laisser emporter encore une fois, découvrir un peu plus ce qu'elle offrait, lorsqu'elle chantait. Analyser ses petites mimiques, ce jeu avec sa bouche, ce clin d'œil, ces lueurs qu'elle fait passer dans son regard, cette main qu'elle fait danser en même temps que ses notes. Je pourrais y passer des heures, à découvrir ce tableau vivant, à décortiquer toutes les couleurs et les nuances qu'elle est.

Mais je sens que je dois arrêter. Qu'elle a besoin que cette vidéo s'arrête là. Qu'elle a besoin de sortir d'ici. Sans même la regarder, je le sais, je le sens. Alors je m'avance vers le lecteur et en retire la cassette, avant de plonger dans ses yeux. D'y trouver l'émotion. Le souvenir, qui la fait balancer entre la joie, la fierté, la mélancolie et la tristesse. Sans oublier la douleur. Il est temps de la laisser sortir de cet endroit.

Il y a eu suffisamment de souvenirs et d'émotions. Je n'en ai loupé aucun. Je ne compte en oublier aucun. Mais c'est assez pour aujourd'hui. Assez pour la comprendre. Assez pour sentir au fond de moi que je la connais plus que n'importe qui. Parce que je n'ai pas entendu que sa voix. J'ai écouté son cœur, également.

- On rentre.

Deux mots qui semblent la libérer. C'est presque si elle ne trottine pas, pour sortir. Le trajet jusqu'à chez elle est silencieux. Je ne brise pas le silence, et je sais que cela lui fait du bien, que c'est nécessaire, pour elle. Pour se ressourcer. Ce moment lui a fait du bien autant qu'il l'a blessé. C'était nécessaire, mais elle doit parvenir à y faire face, à remonter à la surface après avoir plongé dans son passé. Il n'est jamais simple de retrouver le présent quand celui-ci est si différent de ce que l'on a connu auparavant.

Mais lorsque l'on arrive devant chez elle, je ressens la nécessité de l'arrêter avant qu'elle ne sorte de la voiture. Je dépose ma main sur la sienne, et son attention se porte sur moi. J'ai besoin d'avoir accès à son regard, à ses sentiments, devant ce que je veux lui transmettre.

- Je t'apprendrais à peindre de la même voix avec laquelle tu chantais.

Des larmes aux yeux et un sourire. L'expression d'un sentiment pur. Si je pouvais entendre son cœur, je sens qu'il chanterait, comme elle auparavant.

Je ne peux m'empêcher de me faire une promesse.

Oui, je vais lui apprendre à chanter sur une toile.

Parce que je ne peux pas laisser sa voix s'éteindre.

Je ne peux pas la laisser se persuader qu'elle n'est plus ce pourquoi elle est destinée. Une artiste. Une chanteuse. Peu importe l'expression que prendra sa voix. Elle chantera avec un pinceau, avec de la peinture, avec des nuances et des couleurs.

Elle n'est pas muette. Son cœur et son âme chantent encore. Je les entends. Et je ferai en sortes que le monde les entende aussi.

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Est-ce que votre petit cœur a fondu devant la promesse de William ? Le mien oui x)

Et promis, il va vous faire fondre encore et encore x)

A la semaine prochaine,

Kiss :*

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