Chapitre 20

PDV Kanako

 — Donc, on est bien d'accord que x=34 ?

Lewis se gratte la tête avec son crayon, et devant notre absence de réponse, relève les yeux vers nous. Presque en panique, il attrape la feuille d'Arwen avant de nous regarder, dépité.

— 22 ? Mais comment diable tu as pu trouver 22 ? Et toi, Kana ?

Il se penche au dessus de la table et zieute ma copie.

— 13 ? Ah bah de mieux en mieux ! N'y en a-t-il pas un qui ait un peu de niveau en mathématiques ?

Tu t'inclues dans la question ?

— Évidemment que je m'inclus dans la question, Nala. Je n'ai pas un neurone qui parvienne à comprendre le charabia qu'on nous demande de résoudre. Pourtant, j'ai tout fait comme il faut. D'abord, on isole, puis, proposition subordonnée relative.

Je suis à peu près sûre que c'est du français, ça.

— A partir du moment où ils ont décidé d'inclure des lettres dans les mathématiques, c'est devenu du français.

Je laisse un rire m'échapper, en me mettant à l'exercice suivant de ce DM. Je n'ai jamais eu trop de difficultés dans les matières scientifiques, bien que je n'y trouve pas d'attrait particulier. Mais je suis consciente que si la NSA ne tolère pas les erreurs, dans mon cas, c'est bien plus que cela. J'ai plutôt intérêt à assurer à l'ensemble des devoirs, quels qu'ils soient, qu'on peut me proposer.

— Peut-être que l'un de nous a raison.

— Vois-tu Pumba, je ne parierai pas sur toi. Ni sur moi.

Arwen hausse les épaules et penche la tête sur le côté pour réfléchir.

— Nala a toujours été la plus intelligente de nous trois.

Mais non.

— Personne ne croit à cette tentative de nier l'évidence.

Très bien, j'avoue.

Nous éclatons d'un rire général, récoltant quelques regards mauvais des étudiants qui s'instruisent autour de nous, mais ça ne nous arrête pas. De toute façon, je ne suis pas la plus bruyante des trois. Pendant que j'essuie quelques larmes qui pointent au coin de mes yeux suite à ce fou rire, je les observe se chamailler encore un peu. Avec eux, je redécouvre l'amitié. Je retrouve ce sentiment qui me manque et que j'ai perdu en m'éloignant de Tess. Malgré tout, je dois admettre que l'intensité est différente. Je me sens couvée. Choyée, aimée. Et j'ai en face de moi deux personnes qui font tout pour me donner le sourire, sans se forcer. C'est si agréable. Et si ma vie me manque, celle que l'on m'a volée, je n'imagine pas y retourner sans eux. Ils sont devenus indispensables, en si peu de temps. Mais William avait raison. Dans les relations, ce n'est pas une question de temps. Mais des sentiments.

— Spoiler alerte, il n'y a que l'un d'entre vous qui a trouvé la bonne réponse.

Charlotte, que je n'avais pas entendue arriver, me surprend en apparaissant à côté de moi. Elle dépose un baiser sur ma joue et s'assoit sur la table en piochant dans les snacks qu'Arwen a apporté. D'après lui, on n'étudie jamais efficacement si on manque de nourriture.

— Et ce n'est pas l'un de vous deux, les gars.

Lewis lui tire la langue avant de se mettre à bouder. Il me rappelle Natt, dans ses mimiques, et Charlotte le remarque aussi, puisqu'elle rit.

— Tu n'as qu'à le faire, Baudelaire.

Elle fronce les sourcils.

— Tu voulais dire Einstein ?

— Oh ça va hein, ne ramène pas ta fraise.

Elle éclate d'un rire franc et nous la suivons, et même Lewis affiche un sourire. Il finit par serrer les mains devant lui en signe de prière.

— Oh sainte Charlotte, aurais-tu l'obligeance d'aider l'humble Timon dans son devoir de mathématiques.

— Et l'humble Pumba ?

— Si c'est demandé avec tant de supplications.

Je secoue la tête en riant, et elle se penche pour les aider. Je garde une oreille tendue, grattant quelques conseils au passage. Je ne suis pas mauvaise, mais je ne suis pas particulièrement bonne non plus. Alors tout est bon à prendre. Pourtant, je me déconcentre rapidement, et fixe mon regard sur la porte, comme si j'attendais que quelqu'un la franchisse. Et ce n'est pas tout à fait faux. L'arrivée de Charlotte est souvent suivie de celle de Natt, et de William. Mais cette fois-ci, aucun signe de l'un, comme de l'autre. Notre premier cours de la matinée, en demi-groupe, ne m'a pas permis de vérifier la présence de ce dernier. Et ça m'agace. Autant de ne pas savoir que d'attendre tant sa présence.

— Il ne va pas apparaître par magie si tu continues de fixer la porte.

Lewis me tire la langue et je rougis, attirant le regard joueur de Charlotte.

— Tu attends quelqu'un Kana ? Peut-être un type chiant, arrogant, associable, mais plutôt bien foutu qui te donne des cours particuliers ?

J'évite son regard en rougissant ce qui lui tire un rire, rapidement suivi de mes deux comparses. Donc ils se liguent contre moi, c'est bien ça ? Foutus amis.

— Ces deux derniers jours, elle était d'une de ces humeurs ! Alors si il ne revient pas aujourd'hui, elle risque de commettre un meurtre.

Je vais peut-être commencer par toi, Lewis.

— C'est qu'elle mord, notre lionne.

Il se passe une seconde de silence avant que tous n'éclatent de rire, moi y compris. Nous mettons un moment à nous calmer et après quelques aides supplémentaires, Charlotte nous laisse pour rejoindre son atelier. Avant de partir, elle se penche à mon oreille, et me chuchote suffisamment fort pour que les deux énergumènes n'en loupent rien, et me le rappellent sans cesse par la suite.

— Il est là, si tu veux tout savoir. Il faut croire que quelqu'un a réussi à le convaincre...

Elle disparaît rapidement, et le regard de Lewis me laisse deviner toutes les boutades qui m'attendent.

**

Le seul moyen que j'ai trouvé pour me débarrasser de leurs remarques au moins un instant, c'est de leurs proposer d'aller déjeuner. Miracle, ça a fonctionné. En route pour le lieu sacré de ma tranquillité, je les écoute bavasser d'une oreille en observant l'environnement autour de moi. Et mon regard croise le sien, quelques mètres plus loin. Pendant un moment, j'hésite à simplement passer mon chemin, à lui offrir un sourire, éventuellement.

J'ai déjà tenté de me rapprocher deux fois. Je ne vois pas trop pourquoi la troisième serait la bonne. Pourtant, c'est plus fort que moi, mes pieds m'emmènent devant elle, suivie de mes deux nouveaux acolytes. Je ne sais pas quoi lui écrire. Lui demander de déjeuner, encore ? Est-ce bien nécessaire ?

Tess me regarde avec un sourire contrit et me salut. Je la sens mal à l'aise, comme les deux premières fois. Et je me demande à quel point j'ai pu la blesser en m'éloignant, pour qu'elle ne parvienne toujours pas à passer au dessus.

Lewis et Arwen se sont tût. Je sens qu'ils observent, dans mon dos. Je sens qu'ils tentent de juger de la situation. Mais ils ne la connaissent pas, comment pourraient-ils ?

Tess...

Je cherche mes mots, de peur de la brusquer, encore. De peur qu'une nouvelle fois, elle choisisse de me fuir.

Est-ce qu'on pourrait poser une date, pour déjeuner ensemble, si tu n'es pas libre aujourd'hui ?

Je tente d'analyser les émotions qui passent sur son visage, mais je n'y parviens pas bien. Cette mine mal à l'aise, je n'en connais pas les raisons. Je tente de me raccrocher à la sincérité que j'ai ressenti chez elle pendant ces années. Cette sincérité qui me pousse à penser que c'est mon absence volontaire durant des mois, qui la touche au point de me repousser. Comme un mécanisme de défense.

— Et bien...

Elle n'a pas besoin de dire quoi que ce soit, à ce moment là. Je le sais, je le sens, elle s'apprête à refuser. Encore. Mais avant qu'elle ne dise ces mots, une voix s'élève, dans mon dos. Une voix que je connais bien. Je dois retenir un frisson, et un sourire de monter sur mes lèvres, en l'entendant.

— Kanako.

Mon regard se pose sur William, un peu plus loin dans le couloir extérieur. Mon regard s'accroche au sien, et il reste silencieux une minute. J'ai envie de sourire. J'ai envie de le piquer sur sa présence, pour retrouver ce jeu auquel nous jouons de plus en plus. J'ai envie de m'assurer qu'il va mieux. Mais à la place, je reste là, à le regarder, sans faire le moindre mouvement, le moindre pas dans sa direction.

— Monsieur Perret veut te voir.

Je me contente de hocher la tête. Je dois m'avouer un peu déçue. Qu'il ne me parle que pour cette raison. Et en même temps, j'ai cette boule de joie qui surpasse le reste, de le voir ici.

— Kana !

Je me retourne vers Tess, qui m'affiche un grand sourire et dépose une main sur mon bras, dans une caresse amicale. Un sourire comme je n'en ai pas vu sur son visage depuis que je suis revenue. Il me fait du bien. Il me paraît presque étranger, depuis le temps que je n'ai pas pu l'apercevoir, mais il me rassure aussi.

— Je pense qu'on ne devrait pas déjeuner ensemble, c'est ce que je voulais te dire. On a trop à se raconter, depuis le temps. Une soirée filles, comme avant, ça te tente ?

Je lui réponds d'un sourire, heureuse qu'elle ne me rejette pas, cette fois. Heureuse que ce refus que je sentais arriver cachait en réalité une autre proposition. Encore plus heureuse qu'elle me propose de revenir à cette période où tout allait pour le mieux. C'est comme si elle me disait que nous reprenons là où nous nous sommes arrêtées, sans tenir compte des mois de distance. Et ça me fait chaud au cœur.

Elle s'éloigne après quelques paroles supplémentaires, et je reste un instant à la regarder partir, sourire aux lèvres, sans faire attention à Lewis et Arwen, et William un peu plus loin. C'est la tête d'un Timon ronchon qui apparaît devant moi qui me fait revenir à la réalité.

— Elle est bizarre ton amie.

Bizarre ? Pourquoi ?

— Elle refuse toujours de te voir. Elle allait refuser. Et là, William débarque, et d'un coup, elle redevient ta meilleure pote et te propose une soirée. C'est louche.

Je lève les yeux au ciel et tente de ne pas trop faire attention à ses paroles.

Tu surinterprètes.

— Ou tu sous-interprètes. Elle est devenue hyper amicale d'un coup.

Elle est simplement comme ça. Avenante et enjouée.

— Ce n'est pas plutôt connasse et profiteuse ?

Je dois aller voir Monsieur Perret.

Je préfère couper court à cette conversation qui ne me plaît pas. Car malgré tout, les paroles de Lewis me restent en mémoire, et je m'en veux. Je m'en veux de douter de cette amie que je connais depuis tant d'années à cause des mots de ce dernier. Lewis ne la connaît pas. Il ne me connaissait pas non plus il y a quelques temps. Il ne peut pas interpréter son comportement ou notre relation. C'est ce que je cherche à me convaincre.

Je ne dois pas douter d'elle. Pas à cause de paroles. Pas à cause de suppositions. Ce n'est pas ce que font les amis. Alors j'efface cette conversation de ma mémoire, et je pars. 

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Qu'en pensez-vous, vous, de Tess ? 

Est-ce que Lewis a raison de s'en méfier ? 

Ou est-ce que Kanako a raison sur le fait qu'il ne peut pas interpréter ? 

Il faudra attendre pour avoir la réponse. 

A la semaine prochaine pour la suite, 

Kiss :*

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