Chapitre 17
PDV William
Est-ce qu'elle s'est rendue compte des larmes qui coulent sur son visage ? Elles strient ses joues depuis de longues minutes déjà, tandis qu'elle laisse échapper tout ce qui lui fait du mal.
Moi, je les ai remarquées. Et pour une raison que j'ignore, je déteste les apercevoir. J'aimerais me dire que c'est parce que je ne sais pas agir face à une personne prise par la tristesse. Mais la vérité, c'est que ce sont ses larmes, qui me déplaisent. Pas celles d'une autre personne.
« Et toi, tu es aussi mon ami ? »
Sa question me revient en tête tandis que je la regarde recouvrir ce mur de peinture, et que je m'imagine malgré moi avancer pour cueillir ses larmes. Son ami. Est-ce que je le suis ? Je préfère me persuader que non. Qu'elle n'est que l'objet de mon évaluation, que le point essentiel pour obtenir mon diplôme.
Mais je dois reconnaître que sa présence de plus en plus importante dans ma vie ne me dérange pas. La voir interagir avec Natt et Cha'. La voir se réjouir de progresser chaque fois que qui que ce soit lui fait remarquer. La voir évoluer autour de moi, dans mon environnement, avec ma famille. Elle s'est intégrée bien facilement à mon paysage. C'est un point que je ne peux pas nier. Je ne suis pas capable d'admettre quoi que ce soit de plus aujourd'hui.
Petit à petit, ses lancers se font plus calmes. Les larmes cessent de couler et commencent à sécher. Et puis elle s'arrête, et observe simplement ce mur sans bouger. Pendant de longues minutes, elle risque fixée ainsi, et mes yeux ne la quittent pas, comme depuis que nous sommes entrés sur ce toit. Je me trouve un peu trop soucieux, mais je décide de ne pas y penser.
Elle finit par détourner son regard vers moi. Et si elle ne se saisit pas de son téléphone pour m'écrire ses pensées, je n'en ai pas besoin pour capter ce mot qu'elle souhaite me faire passer. « Merci ». Je ne dis rien, me contentant de prendre la direction de la sortie quand je sens que c'est ok pour elle.
Vu l'heure avancée, nous repassons seulement par l'atelier pour récupérer nos affaires avant de partir. Je ne suis pas surpris de trouver Natt et Charlotte campés devant la porte de celui-ci. Ils m'avaient dit nous attendre pour rentrer aujourd'hui, et mon cousin ne tarde pas à franchir les quelques mètres qui nous séparent en courant, comme si il la retrouvait après des mois sans la voir.
Il se met à déblatérer sur un sujet qui ne m'intéresse pas, comme d'habitude, lorsque Charlotte nous rejoint et fronce les sourcils. Elle passe son regard sur tout le visage de Kanako, en particulier ses joues rouges et ses yeux qui prouvent les larmes ayant coulées quelques minutes auparavant. Si ses lèvres affichent un sourire, le reste de ses traits trahie l'affliction qu'elle a pu ressentir il y a peu.
— Tout va bien Kana ?
Elle pose ses mains sur ses joues et inspecte plus en détail son visage, comme si elle pouvait y trouver quoi que ce soit de nouveau. Natt cesse de parler pour s'apercevoir lui aussi de ce qu'il se passe.
— Ma Kana ! Mon dieu, qu'est-ce qu'il t'est arrivé !
Elle n'a pas le temps de répondre à leurs questions qu'ils se tournent déjà vers moi avec un regard assassin.
— Qu'est-ce que tu lui as fait, homme des cavernes ?!
Je hausse un sourcil, un brin amusé.
— Qu'est-ce qu'il te dit que j'ai fait quoi que ce soit ?
— C'est forcément toi, être sans cœur !
— Je suis fortement déçu de l'opinion que vous pouvez avoir de moi.
Je n'en ai rien à foutre, en réalité, puisqu'ils n'ont pas tort sur le fond. Je ne m'embarrasse en général pas des émotions des autres. Dans ce cas, en revanche, c'est différent. Mais je n'ai pas l'intention de leurs dire. Ni de me l'admettre.
Le rire de Kanako leurs fait arrêter leurs brimades et ils se retournent vers elle. Ils continuent de me lancer de temps à autres des regards suspicieux, mais se calment suffisamment pour que nous puissions enfin prendre le retour de la maison.
Sur le chemin, leurs présences m'apparaissent presque dérangeantes. Ils parlent trop. Je me surprends à envier les moments où nous ne faisions ce trajet qu'à deux. Le silence, les quelques échanges, les piques encore timides entre nous, ce début de caractère qu'elle me dévoile de plus en plus chaque jour. Là, je dois supporter les jérémiades de Natt sur son cours de grec, puis son cours de mathématiques, puis son devoir à faire pour lundi – qu'il aurait dû commencer depuis deux semaines – sans oublier ses plaintes sur le fait qu'il n'a vu Kanako QUE 14 fois cette semaine, et que ce week-end, j'ai dis non : elle a du travail. Et lui aussi, mais c'est son problème.
— Tu te rends compte ? Une dissertation de dix pages ! C'est inhumain de nous demander cela !
— Et elle ne vous laisse qu'un week-end ?
La voix automatique qui lit les paroles de Kanako ne me plaît pas. Elle est trop froide, trop robotique. Je préfère lire ses mots et imaginer à quoi peut ressembler son timbre. Mais je comprends que cela lui permet, dans cette situation, de faire participer Charlotte qui est à l'avant du véhicule.
— Mais oui !
La jeune femme ne répond rien, mais je me doute qu'elle n'en pense pas moins : deux jours, c'est largement suffisant, et plus que généreux, pour le niveau de la NSA. En particulier quand la petite amie de l'énergumène intervient.
— Et la vérité Natt ?
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
— Peut-être du fait que ce devoir t'a été donné il y a deux semaines, et que tu n'as juste rien foutu.
Ce dernier boude et râle dans son coin, provoquant un rire silencieux chez Kanako, qui l'observe faire. Charlotte se tourne un peu vers elle.
— Ne jamais croire du premier coup tout ce que cet idiot dit. Il adore se plaindre et exagérer.
— Tu n'es pas gentille pour une petite-amie.
— C'est parce que je t'aime que je te connais si bien.
L'idiot en question lui tire la langue et lui envoie un baiser, incapable de décider si il la boude ou l'aime. Je glisse le regard dans mon rétroviseur vers celle à ses côtés, et remarque qu'elle me regarde elle aussi à travers le miroir. Elle m'offre un sourire timide, et je finis par me détourner pour me concentrer sur la route. Si je ne conduisais pas, est-ce que j'aurai tourné les yeux ?
**
Mon pinceau glisse sur ma feuille, libre de ses propres mouvements. Je ne réfléchis pas à ce que je représente, je laisse simplement mon corps décider pour moi. Sous mes pupilles, je tente d'ignorer certains souvenirs. Du rouge, des larmes, un sourire. Je secoue la tête et laisse de côté tout ce qui me passe par la tête pour me concentrer sur une seule chose, la peinture. Les lignes se croisent, se décroisent et se retrouvent, les formes se créent, singulières et uniques sous mes traits.
C'est aussi naturel que de respirer. Peut-être même plus en réalité. Être habité à ce point par quelque chose, c'est bien au-delà d'une passion. Une raison de vivre, un besoin viscéral. Le perdre, c'est voir son monde s'écrouler. Peut-être que c'est pour cela, que j'ai si peu de mal à accepter Kanako dans ma vie. Parce que d'une certaine manière, je me sens lié à cette jeune femme qui reste debout face à une perte que moi-même je ne m'affirme pas capable de surmonter.
Chaque battement de mon cœur se répercute dans mon pinceau et me permet de tracer un nouveau trait. Je peux fermer les yeux et continuer de peindre sans jamais m'arrêter. Pas de technique, pas de logique, simplement l'instinct. La certitude que mon âme saura transcrire ce qui la fait vibrer sur la toile.
Pourtant, au fil des traits qui se tissent, je reconnais la forme créée, et lorsque j'en ai la certitude, je secoue la tête, blasé. Aussitôt, j'arrache la feuille du pupitre, cachant à ma vue cette silhouette devant un mur couvert de tâche de peinture. L'arrivée d'un message sur mon téléphone me permet d'éviter de penser à ce que mon pinceau a pris la liberté de dessiner. Au final, j'aurais peut-être préféré me creuser les méninges sur ce point.
« Monsieur William,
Votre père vous souhaite une bonne fête. Si vous souhaitez un cadeau en particulier, veuillez me le notifier.
Cordialement,
Sylvia »
Je ris jaune devant ce message. Une bonne fête. Non seulement je suis à peu près certain qu'il n'a jamais demandé à Sylvia d'envoyer ce texte, mais je suis qui plus est quasiment sûr qu'il ne connaît pas la date de ma fête. Pas plus que celle de mon anniversaire. Mais encore une fois, j'ai la démonstration de ce qu'est mon père. Le cliché même de cet homme riche qui ne s'occupe pas de ses enfants. Il a déjà participé à leur création, il ne faut pas trop lui en demander.
Comme chaque fois que j'ai des nouvelles de lui, ou que je reçois un message de sa secrétaire pour me rappeler que ma famille ne ressemble à rien, ça me fout en rogne. Alors je garde mon rituel, et j'attrape une bouteille de whisky pour m'en servir un verre. Je le lève au niveau de mes yeux pour regarder le liquide ambré tourner dans ce dernier.
Si il y a bien une chose dont je suis heureux, c'est de ne pas avoir hérité des traits de visage de cet homme. Au moins, je n'ai pas besoin de me souvenir de lui chaque fois que je croise mon reflet dans un miroir.
Mais tandis que je décale le verre, ce n'est pas mon reflet que j'y trouve. C'est un autre visage, derrière moi.
Je sens la colère monter en moi à une vitesse fulgurante, et de rage, ce verre dont j'avais tant besoin, je le brise.
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Un visage... mais à qui appartient-il pour mettre William dans une telle colère ?
Il va falloir attendre quelques jours pour le découvrir,
A dimanche prochain,
Kiss :*
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