Chapitre 13

PDV William

Je m'avance sans un regard de plus vers elle, conscient que si elle ne saisit pas, l'un des deux énergumènes finira bien par lui dire de me suivre. Autant économiser ma salive puisqu'ils sont si enclin à utiliser la leur. Je ne voudrais pas les priver de la joie de parler sans discontinuer au quotidien.

J'entends ses pas dans les escaliers, quelques mètres derrière moi, et me surprend à ralentir un peu le pas pour qu'elle me retrouve au milieu des couloirs qui composent cette maison bien trop grande pour le nombre de personne y habitant. Vu son essoufflement en arrivant dans la salle de classe hier, il semble que mon rythme naturel soit un poil trop rapide pour qu'elle ne suive. Je suppose que le fait que je ne l'attende pas au départ joue aussi un rôle.

Je fais coulisser la porte de mon atelier et m'y engouffre, attendant quelques secondes qu'elle en fasse de même. Elle écarquille les yeux, et si elle tente de retenir sa surprise, elle n'y parvient pas vraiment. Je suppose qu'il est surprenant de se retrouver au milieu de mon bazar. Des toiles, des bâches, des pots de peintures, des chevalets et des pinceaux à tout va. Sans compter les esquisses, autant celles ratées que réussies, qui trônent aussi bien sur les meubles que le sol. L'atelier typiquement désorganisé que l'on imagine pour un peintre. A la différence près que ce qui apparaît comme un véritable chantier aux yeux du monde est en réalité pensé au millimètre près, dans mon cas. Si ce tableau est ainsi tourné, c'est parce que la lumière ici est optimale. Si ces feuilles sont dispersées au sol de cette manière, c'est que c'est le seul point de vue qui me permet de les assembler d'un seul regard. Si ces pinceaux sont posés négligemment sur le rebord de ce meuble de fer, c'est parce qu'ils sont à la distance parfaite de mon bras lorsque je peins. Ne me demandez pas si tous les peintres sont aussi organisés, ou si je suis simplement un tantinet perfectionniste, je n'en sais rien. Et je m'en fous bien.

J'ouvre un placard et ne mets pas longtemps à trouver tout ce que je cherche. Crayons de dessin, livret sur les perspectives, papiers de différentes épaisseurs. Quelques toiles, les couleurs primaires et un chevalet. Des pinceaux aux différents poils et grandeurs, en bref, tout l'équipement nécessaire à une apprentie peintre. Elle me regarde entasser tout ce qu'elle va devoir ramener sans m'interrompre une seule fois. Pourtant, je suis certain qu'elle se demande comment elle va bien pouvoir emporter tout cela.

Pour finir, j'attrape un manuel que j'ai retrouvé hier soir et qui aura à mon sens son importance. Je lui indique avant de le poser sur la pile.

— Lis-le. Il devrait t'être utile.

Sous-entendu, indispensable. Elle ne peut lésiner sur aucun ouvrage qui pourrait lui donner quelconques outils.

Elle observe le tas formé par les objets avant de reposer son regard sur moi. Je la vois hésiter, comme dans la voiture, mais je crois avoir saisi qu'elle a bien plus de caractère qu'on pourrait l'imaginer au premier abord. Alors j'attends qu'elle se décide, certain qu'elle le fera. Et à peu près certain de savoir ce qu'elle va demander.

Et la philosophie ? On commence quand ?

Pas manqué. Si j'ai bien envie de lui répondre que ça peut attendre, je sais comment se finirai la conversation. Et je crois que nous n'avons ni le temps ni l'envie de revenir dessus. Je me contente de souffler – il faut bien que mon sale caractère puisse s'exprimer de temps en temps – avant de lui indiquer que j'accepte de jouer au jeu des questions réponses qu'elle sous-entend. Elle met quelques temps avant de choisir quel sujet lancer.

Que fait ta famille ?

Je suppose que vu la maison, la question se pose. Difficile de passer à côté, en tout cas.

— Mon père est chef d'entreprise dans les innovations scientifiques.

Rien qui ne se rapproche de mon domaine, mais qui rapporte suffisamment pour m'avoir éveillé à ce monde plutôt fermé. Un mal pour un bien, diraient certains.

Étrangement, elle ne pose pas de questions sur ma mère, ce qui aurait été le plus logique pour tout être humain. Je la remercierais presque de saisir que la non-citation de son existence signifiait que je ne souhaitais pas en parler. Sans grande inspiration, je me contente de lui retourner la question.

Je vis avec ma grand-mère. Elle était couturière, mais à présent, elle est à la retraite.

Comme dans mon cas, je remarque qu'elle évite de parler de ses parents, et je n'en demande pas plus. Je ne vais pas lui livrer mes secrets. Et je ne veux pas connaître les siens. Le strict minimum pour faire ce devoir, voilà tout ce dont nous avons besoin de savoir.

Tu as des frères et sœurs ?

— Je suis fils unique.

Je me tends, et elle semble le remarquer, car elle fait mine de ne pas entendre de réponse en se saisissant d'un croquis pour l'observer. Avant que je n'ai le temps de lui poser une question – quoi que je ne comptais pas le faire, passablement tendu – elle en repose pour changer son interrogation, comme si rien ne s'était dit auparavant.

Sujet sensible, et elle le comprend. Curieusement, cela me détend.

Pourquoi la peinture ?

— C'était une évidence.

Et elle semble saisir sans que je n'ai besoin de mettre plus de mots. Le chant était-ce une évidence pour elle aussi ? Quand je remarque ses pupilles brillantes qu'elle me cache en se retournant, je sais que oui. Pendant un moment, alors qu'elle ne dit rien, je me demande comment je me sentirais, si un jour on m'enlevait tout ce qui me permet d'exercer mon art. La douleur qui me serre le cœur m'empêche d'y penser plus, et l'espace d'un instant, je décèle toute la force qu'elle a en elle. Là, alors qu'elle me tourne le dos, elle est debout. Je ne suis pas certain que j'en aurai été capable, à sa place.

C'est important, pour toi ?

Mon téléphone vibre avec cette question sur l'écran, et je saisis qu'elle me tourne délibérément le dos, utilisant ce biais pour ne pas croiser mon regard. Le connard que je suis respecte ce besoin d'intimité.

— C'est comme l'oxygène qui me permet de respirer.

Je sais qu'elle connaissait la réponse. Je sais qu'elle retient les soubresauts de son corps et les larmes de couler. Pourtant, elle ne cesse de demander. De relancer. Parce qu'au fond, c'est douloureux, mais c'est nécessaire de parler d'art pour elle.

Alors tu ne supporte pas qu'on le dénature.

Ce n'est pas vraiment une question, pourtant je ne peux m'empêcher de lui offrir une réponse. Une réponse qu'elle connaît, qu'elle partage. Qu'elle a sûrement saisi la première fois qu'elle m'a vu d'ailleurs. Mon engueulade était plutôt révélatrice sur ce point.

— Personne ne devrait pouvoir réduire à moins que rien la raison de vivre des autres.

Et alors même que je ne la vois pas, je sens un sourire pondre sur ses lèvres. Elle se reprend et se tourne vers moi. L'émotion de tristesse, ou bien de nostalgie, est encore là, mais supplantée par cette volonté de la contenir.

Tu parles presque comme un philosophe.

— Je sais utiliser les mots autrement que pour jouer les tyrans.

Je fronce un peu les sourcils, surpris d'apprécier lui tirer un sourire. Je mets ça sur le compte que je n'aime pas la compagnie des autres et que de la voir pleurer m'aurait mis mal à l'aise. C'est préférable à tout autre explication que je n'ai pas envie de rechercher.

Tu m'en vois ravie.

Le sous-entendu parvient à me tirer un mince sourire en coin. Ravie que je ne lui crie pas dessus une nouvelle fois, je peux le comprendre.

Ce semblant de discussion est écourtée par l'habitante non autorisée des lieux qui passe sa tête par la porte.

— Il est plus de midi, on devrait déjeuner.

Je n'avais pas vraiment prévue d'inviter qui que ce soit, mais d'une part, vu l'heure, je me vois mal la mettre dans un bus sans avoir mangé, et d'autre part, j'en connais deux qui m'éviscéreraient si j'essayais. Kanako paraît gênée et s'apprête, je m'en doute, à refuser, mais la jeune femme ne lui en laisse pas le loisir et la saisit par la main. La minute suivante, elle est assise au plan de travail, une assiette devant elle, et se retrouve assaillie par un Natt toujours aussi en forme. Charlotte finit par lui envoyer un coup de torchon pour réussir à en placer une, pendant qu'il râle.

— J'espère que le menu te plaît. Je ne suis pas une très grande cuisinière.

— C'est peu de le dire.

— Si tu te propose de faire mieux William, je t'en prie.

Je lui offre un sourire sarcastique, comme elle et moi aimons échanger. Si il y a bien une chose sur laquelle repose notre relation, c'est ce genre de piques entre nous. L'amour vache, comme disent certains.

— Je doute de faire pire. Tu as tout de même fait brûler les pâtes, la dernière fois.

Elle me tire la langue – je vois qu'elle retient un doigt de se lever devant notre invitée – avant de glisser un regard vers son petit ami. Je comprends ce qu'elle a en tête avant même qu'elle ne parle.

— De toute façon, Natt est pire. Il a attendu 4 heures que sa pizza cuise sans allumer le four.

Un moment mémorable en effet, autant que ce dernier qui lève la tête en ronchonnant.

— Arrêtez avec ça ! Ça ne m'est arrivé qu'une seule fois !

Je hausse un sourcil dans sa direction, et il tourne la tête vers Kanako comme si il lui devait des explications.

— Bon d'accord deux fois. Mais ce n'était pas de ma faute ! Il est compliqué en même temps, il y a trop de bouton. J'ai toujours dis qu'on devrait engager un chef, comme avant, mais Charlotte râle que ça fait trop gosses de riches.

Et elle n'a pas tort sur ce point. Je jette un œil vers l'invité du jour qui passe son regard entre nous trois, au fil de nos surenchères. Je remarque surtout ce sourire qu'elle aborde, en nous voyant interagir, mais je décide de ne pas chercher ce qu'il signifie. Je me contente d'écouter les quelques réponses qu'elles donnent aux questions des deux autres, quand Natt lui laisse en placer une. J'apprends donc qu'elle vit avec sa grand-mère depuis qu'elle a 6 ans, qu'elle l'appelle Obaachan, qui signifie grand-mère en japonais, pays d'origine de la famille. Qu'elle n'a jamais été là-bas mais qu'elle aimerait le découvrir un jour. Presque étrangement, mon cousin évite toutes les questions indiscrètes, sur son mutisme, ou sur le chant. Pourtant, avec son tact, j'aurais parié qu'il finirait par mettre les pieds dans le plat.

Pendant leurs échanges, je ne dis rien, me contentant d'écouter et de trier les informations qui pourront éventuellement avoir de l'importance pour ce putain d'exposé. Je m'étonne tout de même à m'intéresser à certaines parties de son discours, notamment sur sa culture d'origine, et la façon dont elle parle de sa grand-mère. De sa famille. C'est particulier, quand la mienne ne ressemble en rien à ce qu'elle peut vivre. Elle ne confie rien avec trop de profondeur, ce que je peux comprendre sans difficulté. Outre le fait que ce sont deux inconnus – certes très avenants –, j'ai comme l'impression qu'elle n'a jamais été du genre à s'épancher sur sa vie et ses sentiments. Rien de bien différent de moi, sur ce point.

Je les abandonne une minute pour descendre tout le matériel qu'elle va devoir ramener chez elle, quand Charlotte s'exclame en regardant par la baie vitrée.

— Merde, il pleut !

Elle se tourne vers Kanako, qui observe défaite le temps qui tourne à l'orage sévère. Je suppose qu'elle s'imagine déjà trempée, les bras chargés. Pendant un instant, j'envisage très sérieusement de la laisser rentrer sous l'eau, rien que parce qu'elle ose nous – me – penser assez connards pour la laisser attendre le bus sous ce déluge.

— Je te ramène !

Je ne veux pas déranger.

— Comme si j'allais te laisser rentrer sous ce temps.

Charlotte jette un coup d'œil à ma personne quand elle remarque la pile à côté de moi.

— Et vu le package que t'as réservé William, je ne vois pas comment tu ferais.

Elle n'ose rien répondre, mais elle n'en pense pas moins, si vous voulez mon avis. Consciente qu'elle n'aura pas le dernier mot – ce serait mal connaître Charlotte que de penser le contraire – elle suit la tornade sur patte jusqu'à l'entrée du garage.

Quand le moteur démarre, ma voix s'élève avant qu'elles ne quittent les lieux, en ignorant Natt qui propose pléthore d'activités pour faire rester sa nouvelle obsession plus longtemps.

— Tu la ramènes juste, Charlotte ! Elle a du travail, pas de balades inutiles !

Mais il n'y a qu'un haussement de sourcils amusé pour me répondre, et sitôt, la voiture démarre. Je peste contre cette agaçante jeune femme en me dirigeant vers l'intérieur.

— J'aurai tellement voulu qu'elle reste ! Pas toi, Will ?

Tiens, je l'avais presque oublié, celui-là. Pourquoi je sens qu'il va encore me rendre fou, avec cette question ?

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Chapitre en temps et en heures deux semaines de suite ! Wahou, je me félicite mdr x)

A dimanche prochain, 

Kiss :*  

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