Chapitre 11
PDV William
— La philosophie n'est pas ma priorité.
Loin de là, pour tout dire. Je me fous complètement de cet exposé. Je le ferai, oui. Mais je ne compte pas lui accorder un temps supérieur à ce qui nous amène à être dans cette voiture. Je suis peintre. Pas philosophe.
Je glisse mon regard de temps en temps sur son téléphone pour saisir ses réponses, jamais trop longtemps pour ne pas quitter la route des yeux.
— On doit faire ce devoir.
Si je ne peux pas entendre son ton, je lis dans son regard son incompréhension. Elle ne me comprend pas. Elle n'est pas d'accord avec moi, et je ne peux pas lui reprocher.
— Je ne dis pas le contraire. Mais je ne compte pas m'en préoccuper pour l'instant.
J'ai trop à faire. Trop à lui apprendre. Et encore trop de doutes sur le fait que ce soit possible. On part de presque rien. Et je ne saisis toujours pas ce qu'elle fout dans cette section. La NSA en possède suffisamment pour lui en trouver une plus adaptée. Elle n'était déjà pas à sa place. Je me demande comment elle va bien pouvoir se sentir à l'aise maintenant qu'elle va devoir me subir au quotidien, avec un tel poids sur les épaules. Pensent-ils vraiment qu'ils sont en train de l'aider ? J'ai plutôt l'impression que c'est tout le contraire. Ils lui foutent des bâtons dans les roues, et j'en suis un.
— Ce qu'il attend de nous ne pourra pas être fait au dernier moment.
— Ce n'est qu'un exposé de philosophie.
Elle active une voix qui lit ce qu'elle tape, quand elle se rend compte que je ne peux suivre des phrases trop longues en conduisant. Cette voix est affreusement horripilante, comme celle de mon GPS que je coupe systématiquement, mais je fais avec. Mieux vaut ça que nous foutre dans un mur.
— Pour lequel il nous donne des mois. Il n'attend pas de nous deux pauvres feuilles A4 avec quelques exemples et une jolie affiche.
Je ne sais pas trop ce qu'elle tente de faire, mais je lis dans les expressions de son visage qu'elle essaie ardemment de trouver des arguments pour me faire changer d'avis. A quoi bon ?
— C'est un travail colossal que nous allons devoir faire. Se connaître, la réflexion, l'étude, les exemples, réussir à saisir et mettre en œuvre ce qu'il attend par « travail personnel ».
Je la coupe, alors qu'elle se perd dans l'énumération de tout ce qui doit compenser la réalisation demandée par Monsieur Tanvoy, sans m'accorder un regard. Ses doigts arrêtent de taper et la voix se tait, enfin. Je sais pourtant qu'elle ne va pas tarder à reprendre, et il me tarde d'être arrivé pour qu'elle puisse seulement taper et désactiver cette fonctionnalité. Ou bien qu'elle cesse de chercher à me convaincre. Elle est plutôt tenace, je dois l'avouer.
— Je sais. Il n'empêche que ça ne deviendra pas ma priorité, comme j'ai déjà pu te l'indiquer.
— Pourquoi ?
— Je joue mon diplôme sur le fait de t'apprendre six putains d'années en huit mois, tu t'en souviens ? En prenant en compte le fait que tu devras suivre les enseignements de cette septième année également.
— Mon diplôme se joue sur les matières non artistiques comme la philosophie, tu t'en souviens ? Tu n'es quand même pas un connard au point de sacrifier mon diplôme pour le tien ?
Je reste silencieux un instant, désarçonné par ce répondant qu'elle m'expose de plus en plus depuis que nous sommes dans le véhicule. Un caractère bien tranché qu'elle ne laisse pas transparaître au premier abord, et qui est plutôt amusant, je dois l'avouer. Le genre de caractère que j'apprécie, en général.
Et elle marque un point. Je joue mon diplôme sur le travail que je dois faire avec elle en art. Elle joue son diplôme sur le travail qu'elle doit faire avec moi en philosophie.
Je suis un connard oui. Mais pas à ce point, comme elle le dit.
— Belle réplique.
Je la vois du coin de l'œil rougir et baisser un peu la tête, signe que sa témérité s'amenuise un peu. Le silence reprend place dans l'habitacle, tandis que nous arrivons au bout de sa rue.
Elle sursaute presque quand je le brise.
— Bien, je te propose un marché. Je me donne à fond pour l'exposé de philosophie. A condition que tu fasses de même pour l'art.
Successivement, elle écarquille les yeux, surprise de ma proposition, sourit, heureuse d'avoir su me convaincre, avant de reprendre une expression stoïque, se souvenant que je la vois. Trop tard.
Elle se contente de hocher la tête pendant que je m'arrête sur le bord du trottoir.
Je tends la main devant elle, et elle me regarde sans comprendre.
— Ton téléphone.
Malgré son interrogation, elle le dépose dans ma main et me regarde parcourir et taper sur l'écran. Quand je lui redonne, elle ne semble toujours pas comprendre de quoi il retourne. Ainsi, elle paraît presque enfantine. Loin de l'assurance qu'elle affichait il y a quelques instants, me traitant allégrement de connard entre ses mots.
— Mon numéro. Tu as la moindre question sur les exercices, tu me contactes directement. On n'a pas de temps à perdre parce que tu ne parviens pas à tout saisir et n'ose pas demander.
— Compris, tyran.
Je cache difficilement un sourire pendant qu'elle sort de la voiture. Son caractère revient par relents qu'elle ne semble elle-même pas savoir contrôler. Comme lorsqu'on parle sans y réfléchir. Elle, tape ses pensées sans toujours parvenir à les retenir. C'est intéressant, comment ce trait s'est transformé chez elle pour en parvenir au même résultat. L'énigme de l'humain.
Elle tape contre la vitre et je l'ouvre, avant qu'elle ne me tende son écran.
— Merci. De m'avoir ramenée.
— Je me doute que tu ne me remercies pas d'être un connard.
Elle lève discrètement les yeux au ciel, mais je parviens à le capter.
— A partir de maintenant, on bosse tous les soirs.
Cette fois, c'est sans discrétion qu'elle laisse son incrédulité s'afficher sur son visage. Elle veut me répondre, mais je ne lui en laisse pas le temps, que déjà, la voiture a démarré et je suis parti. Je ne compte pas la laisser refuser. Maintenant, on a deux devoirs à faire. Et toujours moins de temps.
Tandis que je prends la route pour rentrer, un sourire monte sur mes lèvres en l'imaginant sur le trottoir, en laissant son exaspération s'exprimer. Est-elle en train de faire crier cette voix automatique pour me traiter de tyran et de con ? J'en retiens un rire.
Et malgré moi, je ne parviens pas à me défaire pendant de longues minutes de mon sourire, tout en me demandant quelle étendue peut bien avoir son caractère. Je m'agace. On dirait que mon esprit se transforme en Natt. L'horreur.
**
— C'est à cette heure-ci que tu rentres ?
Natt m'attend, mains sur les hanches, dans l'entrée dans la maison. J'entends le rire de Charlotte plus loin, signe qu'elle se trouve quelque part entre le salon et la cuisine, suffisamment proche pour se foutre de la gueule de son petit-ami.
— Tu te prends pour mon père ?
Je le contourne pour entrer et lâche un signe de main à Cha' avant de me diriger vers la cuisine, pour me servir de quoi dîner. Bien évidemment, il me suit.
— On vit ensemble, comment tu veux que je ne m'inquiète pas quand tu rentres si tard ? Surtout que tu étais censé partir de la fac deux heures avant moi.
— Jusqu'à preuve du contraire, je n'ai pas de compte à te rendre, ni à t'indiquer à quels horaires je sors ou rentre, Natt. Je ne te demande pas où tu es chaque fois que tu n'es pas à la maison.
— Et bien tu devrais. Imagine si je me faisais kidnapper.
— Vu comme tu es chiant, ils te relâcheraient.
— Je plussoie.
Il se tourne outré, vers sa petite-amie qui s'installe à l'îlot pendant que je me fais réchauffer les restes qui traînent dans le frigo. Elle se sert un verre d'eau et tire la langue au blond, avant d'échanger un sourire avec moi.
— Je déteste quand vous vous liguez contre moi.
— Et moi j'adore te rendre fou comme ça.
Elle lui envoie un baiser tandis qu'il boude, mais il fait tout de même mine de l'attraper et de le mettre dans sa poche. Si je déteste ce genre de niaiseries, j'y suis habitué. Et j'en viendrai presque à trouver cela amusant, signe qu'il est grand temps que j'aille me coucher. Non pas qu'il soit tard, mais mon esprit se met à divaguer sérieusement.
— Pourquoi je suis le seul à trouver cela normal de prévenir les autres quand nous nous absentons ?
— Parce que tu adores en faire des caisses pour rien, Natt. Il n'est pas tard, je suis grand, et légalement responsable de moi-même.
Il râle, mais n'insiste pas plus. Sur ce point, en tout cas.
— Où étais-tu alors ?
Pendant un instant, j'hésite à me saisir de mon assiette et à m'enfermer dans ma chambre. Mais il ne lâchera pas l'affaire, et est capable de me tenir pendant des jours jusqu'à ce que je lui dise. D'un autre côté, lui dire où, et surtout avec qui j'étais, le rendra tout aussi agaçant. Aucune option ne me paraît satisfaisante. Et si je partais en voyage ? Il me suivrait pour sûr.
— A la NSA.
J'opte finalement pour la deuxième option, en espérant qu'il n'en demandera pas plus, ce qui me paraît dans tous les cas mal parti.
— Je t'ai vu en partir.
— Non, tu m'as vu être appelé par Monsieur Perret dans son bureau alors que j'allais partir. D'ailleurs, as-tu dit à Charlotte ce que tu as fait aujourd'hui, juste avant ça ?
Tentative de diversion assez basse, et qui ne fonctionne pas, puisqu'il me réplique qu'elle l'a déjà réprimandé à ce sujet et revient à ce qui l'intéresse. Elle me lance un regard désolé, et un brin malicieux, témoin du fait qu'elle aime autant l'emmerder lui, que moi. Et donc qu'elle apprécie quand il le fait à sa place. Cette femme est un petit diable.
— Je doute que Monsieur Perret t'ai demandé de rester trois heures avec lui. Qu'as-tu fait pendant tout ce temps à l'école, alors ?
Je souffle, et me lance dans une explication que je regretterais pour sûr. La plus courte possible, histoire de ne pas m'éterniser dans cette cuisine. Suffisamment de contact humain pour moi aujourd'hui.
L'instant de silence qui s'en suit n'annonce rien de bon, et j'en lâche la fourchette quand il hurle un bon coup. Charlotte se bouche les oreilles avant de lui foutre une tape derrière la tête.
— Bon sang mais quel imbécile !
Il se plaint un instant mais sa joie est bien trop présente pour qu'il ne s'attarde sur le coup qu'il vient de recevoir.
— Tu veux dire que tu vas devoir passer les prochains mois en tête à tête avec elle ! Mais c'est incroyable ! Sûrement un signe du destin.
La jeune femme à ses côtés pouffe, et me lance un regard entendu. Il ne va plus me lâcher, avec ça. Il est tombé accro de Kanako, espèce de coup de cœur amical pour une personne qu'il ne connaît pas, et qu'il idolâtre à présent.
— Au fait chaton, je t'ai dit qu'elle était belle ? Elle l'est ! Et super assortie à Will' en plus. C'est fou qu'il n'ait pas voulu me répondre, la dernière fois. Même lui a dû le remarquer, qu'elle était magnifique.
Pas un brin jalouse, elle ne fait que le reprendre sur le surnom dont il l'affuble encore une fois avant de me jeter un regard entendu. Sur ce coup, elle ne va pas m'aider. Peste.
— Il ne voulait peut-être pas partager l'information.
Et voilà qu'elle lui donne des arguments supplémentaires à sa bêtise.
Je râle, en tentant d'ignorer Natt qui déblatère un tas de conneries pendant que je tente de manger mes pâtes. Le rire de Charlotte emplit la pièce, et malgré tout ce que je peux dire sur eux, je dois bien avouer que je n'imagine pas cette maison autrement.
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Un chapitre en ligne sans retard, incroyable ! Si demain il neige, c'est de ma faute x)
Qu'en avez-vous pensez, alors ?
A dimanche prochain,
Kiss :*
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