Chapitre 1

PDV Kanako

D'abord, j'ai retrouvé l'ouïe.

Le sifflement aiguë de l'humidificateur d'air.

Le grondement en fond de la pelleteuse à travers les vitres.

Le Bip régulier mais si agaçant du cardiographe. Mon rythme.

La voix de ma grand-mère. Celle du médecin et de l'infirmière.

Ensuite, j'ai retrouvé la vue.

Les murs blancs immaculés de la chambre d'hôpital.

La plante verte à moitié morte au coin de la pièce.

La blouse blanche qui se penche sur moi, passant une main encore floue devant mon visage.

Et le visage à la fois soulagé et inquiet de Obaachan.

Inquiet ?

J'ai voulu parler.

Mais aucun son ne m'est venu.

Je n'ai pas retrouvé la parole.

Alors j'ai attendu. Écouté. J'ai vu les visages défaits, honteux.

La peine dans les yeux d'Obaachan.

Mes yeux se sont posés sur le réveil. Puis le calendrier. Je n'ai pas compris au début. Et puis j'ai associé les sons aux images.

3 semaines. J'ai été inconsciente 3 semaines. Comment ? Pourquoi ? Des questions que je me suis posées. Que je ne suis pas parvenue à formuler.

— Mademoiselle, vous m'entendez ?

J'ai hoché la tête. J'ai ouvert la bouche, pour demander, pour comprendre. Mais les mots sont restés bloqués.

— Suivez mon doigt, s'il vous plaît.

Je me suis exécutée. J'ai cherché à croiser le regard de cet homme que je n'avais jamais vu. Pas le bon médecin. Mais il a dévié ses yeux.

J'ai froncé les sourcils. J'ai encore voulu parler. J'ai encore échoué.

Le moniteur s'est affolé, en même temps que les battements de mon cœur. Je n'ai pas pu contrôler cette angoisse de monter en moi, en constatant que les pensées pourtant claires de mon esprit ne savaient pas être formulées. Ma grand-mère s'est approchée de moi. Sa main s'est glissée dans la mienne et sa voix douce s'est faufilée à mes oreilles.

— Calme-toi, Kana-chan.

Son autre main s'est calée dans mes cheveux, qu'elle a doucement caressés. Bercé par ses doigts, mon cœur s'est apaisé. Pour juste un temps.

— Mademoiselle, j'ai besoin que vous m'écoutiez attentivement, vous le voulez bien ?

Que faire si ce n'est hocher la tête ? Ma voix n'a pas voulu se manifester, une nouvelle fois. Mais les caresses de ma grand-mère sur ma peau ont retenu mon cœur d'exploser d'angoisse et mes questions de me vriller l'esprit.

— Tout d'abord, sachez que le chirurgien en charge de votre opération a pu retirer l'entièreté de la tumeur présente.

J'ai pensé que c'était une bonne nouvelle. Que rien ne pouvait venir entacher le bonheur d'un tel succès. Mais son regard a empêché mon cœur de se réjouir.

— Cependant...

Sans que je n'ai pu retenir mon geste, mes doigts se sont refermés un peu plus fort sur ceux de Obaachan. Mon âme entière semblait déjà me hurler la dure vérité que ce médecin s'apprêtait à me révéler. Mais je ne l'entendais pas. Je la craignais seulement.

— Une grave erreur chirurgicale a été commise. Nous avons dû vous placer dans le coma durant presque 3 semaines. Les conséquences... l'aire de Broca a été endommagée, de manière irréversible.

Mes sourcils se sont froncés, encore. Je n'ai pas compris ce qu'il voulait dire. Cependant j'ai saisi toute l'étendue de ce qu'il m'expliquait. La gravité de la situation. Et quand il a utilisé des mots simples pour me décrire ce qui jusqu'à là me paraissait être un autre langage, j'ai senti mon souffle se couper. Et j'ai presque entendu mon être se briser.

— De telles lésions... il est malheureusement presque assuré que vous n'aurez plus la capacité de communiquer oralement.

Je n'ai même pas entendu les BIP de mon cœur s'accélérer. Je n'ai pas saisi les quelques mots qu'il a ensuite prononcé. Ne plus avoir la possibilité de communiquer oralement.

Mon cerveau a traduit l'information.

Ne plus pouvoir parler.

Être muette.

Et surtout, ne plus pouvoir chanter.

J'ai tourné le regard vers Obaachan. Cherché des réponses. La moindre lueur qui m'indiquerait que rien de ce que je venais d'entendre n'était vrai. Je n'y ai trouvé qu'une effroyable vérité qui a continué de peser fortement sur mon cœur.

J'ai senti mon âme se fendre, et les larmes perler au coin de mes yeux.

J'ai fermé les yeux, fort, à m'en faire mal. J'ai hurlé silencieusement, au fond de moi. J'ai serré fermement les poings, à m'en ouvrir les paumes de mes ongles.

Mais je n'ai pas senti la douleur. Seulement ce vain espoir d'ouvrir les yeux pour découvrir une autre date. Un autre médecin. Un sourire sur le visage de cette femme qui compte tant. Pour entendre que tout s'est bien passé et que je vais pouvoir revivre normalement. Chanter encore.

Mais quand j'ai ouvert les yeux, rien n'avait changé. Le tableau était toujours le même. La pitié dans leurs iris, leurs inconforts dû à l'annonce qu'ils venaient de me faire. La douleur dans ceux de ma grand-mère.

Et cette sombre vérité qui a martelé mon cœur.

Là, j'ai eu mal. J'ai eu mal à mon cœur, mal à mon esprit, mal à mon âme.

J'ai eu mal pour ma vie, que j'ai vu se briser devant moi.

Je n'ai pas écouté le médecin qui m'a dit qu'avec une bonne rééducation et un peu de chance, je pourrais peut-être prononcer quelques mots. Cette lueur d'espoir qu'il a tenté de me donner aurait de toute façon été si tôt éteinte par son interne, qui a grimacé à côté, plus conscient que lui de la réalité. Ou moins apte à se montrer optimiste pour me préserver.

Je ne voulais pas quelques mots. Je voulais ma seule façon de m'exprimer : en chantant. Je voulais qu'on me rende ma vie. Mon futur, mes rêves. Qu'on cesse de les piétiner. Qu'on cesse de les éteindre.

Mais on les a éteint. Définitivement.

Une erreur, d'un homme qui n'aurait pas dû faillir.

Je n'ai eu aucun soulagement à apprendre sa radiation. Aucune réaction quand on m'a proposé de porter plainte. Pourquoi ? Cela aurait-il fait revenir ma voix ? Pour quelques billets de dédommagement ? On ne pouvait me dédommager.

Plus rien ne pouvait me réparer. Cet homme m'a tout volé. Et jamais il ne pourra me le restituer.

J'ai serré une nouvelle fois la main d'Obaachan. J'ai encore fermé les yeux.

Et quand je les rouvre, chaque matin, je me réveille avec la même vérité. La même fatalité. En vie. Sans voix. Est-ce vraiment vivre, pour moi ?

Comme chaque jour, je me regarde dans le miroir. Je ne me vois pas. Je vois un pantin à qui on a retiré tout ce qui le rendait vivant.

Mes doigts passent sur ma gorge, qui ne vibre plus. Mes oreilles l'entendent encore chanter, comme autrefois. J'aurais voulu être sourde, ou même aveugle.

Je voudrais cesser de revivre ce jour, celui où mon monde s'est effondré. Mais les mots sont encore clairs, les sensations aussi. Mon cœur est toujours brisé, mon âme en morceaux, complètement effondrée.

Comme moi.

Je donnerais tout, pour retrouver ma voix. Pour redevenir moi. Je ne suis plus que l'ombre de moi-même, une âme en peine. Je vogue sans but, quand mes rêves se sont éteints. Je me sens incomplète, un puzzle auquel il manque une pièce. La plus importante de toute, celle qui gonfle le cœur de joie, d'un bonheur sans foi ni loi. Je suis cassée, incapable de me souvenir comment fonctionner. Et l'on ne saurait me réparer.

C'est ma réalité. Celle qui me fout en pleine gueule à chaque fois que j'essaie de parler que j'en suis incapable. Qui toutes les nuits me rappellent ce jour où j'ai perdu ma vie. Qui me blesse à travers mon regard comme dans celui d'Obaachan.

Je ressens une immense tristesse, et un sentiment d'injustice. Pourquoi moi ? Je ne le méritais pas. Je ne le mérite pas.

Je veux retrouver ma vie, et ma voix.

Parce que je suis vivante. Mais je ne vis pas.  

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Nouvelle héroïne, nouvelle histoire. Est-ce que ce début vous donne envie ? 

Le prochain chapitre sortira dans 2 semaines, le dimanche 30 janvier. Ensuite, on reprend les publications toutes les semaines.

A très bientôt, 

Kiss :*

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