Si je n'avais pas été très loquace une fois rentrée dans cette maison, c'est parce que Sett et sa mère me rappelaient des souvenirs. Ma famille... Ma mère. Nous n'étions jamais d'accord et elle me reprochait souvent mon caractère trop belliqueux. Mais je ne supportais plus ces humains de plus en plus envahissants, et notre chef qui refusait de faire face à la situation. Nous, des descendants de fiers guerriers vastayas, se laisser faire par des bipèdes imberbes ?! Je refusais cette idée, et j'avais préféré partir seule, que de voir ma tribu mourir à petit feu. Mourir au combat était une fierté pour nous autres vastayas, après tout.
Voir sa mère le reprendre, le gronder, mais malgré tout bien s'entendre avec son fils, ça me rendait quand même nostalgique. Tristement nostalgique.
C'est pour ça aussi que je ne savais pas comment réagir face à la gentillesse de cette femme. Moi qui avais été élevée à la dure, je n'avais que rarement connu un tel comportement à mon égard.
C'était peut-être le moment d'apprendre. Mais est-ce que je pouvais changer ? Rien n'était moins sûr.
On discutait donc du passé de la tribu, je leur expliquai que Zed avait voulu voler notre magie et que lorsque j'avais enfin réussi à le battre, et à la rétablir, la tribu avait disparu.
C'est à ce moment que la question qui me brûlait les lèvres les dépassa enfin :
- Mais dites-moi, pourquoi ne pas être revenus dans la tribu ? J'ignore pourquoi vous en êtes partis, mais... vous auriez été bien mieux qu'ici ! Même s'il n'en reste plus rien... On pourrait la reconstruire !
Un silence gênant s'installa, alors qu'ils se regardèrent, grimaçant un peu.
- C'est impossible, parce que—
- On parlera de ça plus tard ! Coupa Sett. Il est tard, tu dois te reposer maman. Je vais emmener Xayah en lieu sûr pour la nuit, alors ne t'inquiète pas d'accord ? Bonne nuit maman !
Alors que je les regardais tour à tour, ne comprenant rien à la situation, Sett embrassa sa mère et me saisit gentiment les épaules de dos pour me pousser vers la sortie.
Qu'est-ce qu'il tenait tant à me cacher ? Je n'aimais pas beaucoup ça. D'ailleurs, dès la porte franchie, je m'étais défait de sa prise pour lui reporter un regard méfiant et agacé.
- Les vastayas ont pour principe de ne jamais mentir. Je pensais qu'en tant que rescapés de notre race, nous serions honnêtes. Mais visiblement, je me suis trompée.
Moi qui avais fini par entrevoir un chemin à plusieurs, moi qui pensais que finalement, le destin ne m'avait pas complétement laissé tomber, le retour à la réalité était un peu douloureux. Je n'avais plus qu'une envie, disparaître dans la nuit et reprendre cette vie de fugitive qu'était la mienne.
Sett passa une main sur sa nuque, visiblement peiné de ce que je venais de dire. Il avait l'air ailleurs, semblant presque tiraillé. Bon sang, qu'est-ce qu'il cachait pour que ce soit si difficile à avouer ?!
Et pourquoi ça m'énervait à ce point ? Au final, on ne se connaissait que depuis peu, il n'avait aucune raison de tout me dire. Je ne l'avais pas fait non plus.
Soupirant d'agacement devant son silence, j'avais fini par lui tourner le dos. Alors que j'allais lui dire un dernier « adieu », il m'avait attrapé par le poignet. Peut-être savait-il que cette fois-ci, on ne se reverrait pas.
- Oh non, pas une seconde fois. Je t'ai pas menti. Il y a une très bonne raison pour laquelle ma mère n'est pas revenue dans la tribu avec moi. C'est... C'est compliqué ok ?
« Compliqué » ? Les vastayas n'étaient pas du genre à se prendre la tête pour des broutilles.
- Les humains t'ont beaucoup trop influencé, au point de changer ta nature.
Il baissa ses iris félines, même ses oreilles s'étaient un peu aplaties. Il me faisait presque de la peine. Je sentis alors ses doigts desserrer un peu leur prise. J'aurais pu m'en défaire. Mais plus que de la colère, je ne pouvais pas laisser un vastaya dans cet état. Surtout par ma faute.
Ma colère, son dilemme. Je crois qu'en tant que derniers de notre espèce, et peut-être à cause de notre instinct sauvage, l'attachement était plus facile ? Je ne voyais pas d'autres explications à la situation en tout cas.
Je soupirais donc une dernière fois, levant les yeux au ciel avant de reprendre mon calme.
- Ou bien, tu as réellement une bonne raison de ne pas tout me dire.
Il redressa soudainement la tête, les oreilles en avant.
- Et tu te doutes bien que moi aussi, je ne t'ai pas tout dit. Alors... le jour où ce sera le cas, tu t'expliqueras.
Il avait souri légèrement en coin, descendant sa main sur la mienne pour serrer son petit doigt autour du mien. J'étais restée surprise de ce geste que je ne connaissais pas.
- C'est promis. Mais ça veut dire que tu vas devoir me supporter un moment !
- Bah, je m'y ferai, à avoir un stupide chat dans les pattes. Et puis tu comptes tenir mon petit doigt longtemps comme ça ? C'est quoi ce geste bizarre ?
- Un scellage de promesse ! Et puis tu sais ce qu'il te dit le « stupide chat » ?!
Et c'était reparti. On entendait que nos brimades dans la rue, mais je crois que finalement, ça allait bien à chacun de nous. Je le suivais donc, reconnaissant les ruelles menant à l'arène. Une fois devant, il me dépassa et m'ouvrit la porte. J'arquais encore une fois un sourcil, c'était quoi cette coutume bizarre encore ?
- Bienvenue chez moi, Xayah.
- Chez toi... ?
La lumière de la pièce éclairait la ruelle, faisant se rétracter mes iris aquilines. On était entré, et à cette heure, ça ressemblait plus à un repère d'ivrognes se fracassant la tronche qu'à une arène. La rentabilité qu'il disait. D'ailleurs, son entrée ne tarda pas à se faire remarquer, puisque tout le monde s'écarta pour le laisser passer. Avançant derrière lui, regardant tous ces types le respecter assez pour se préoccuper d'autre chose que de leurs verres, aucun ne s'attarda beaucoup sur moi. Ils devaient avoir eu vent de mon combat, peut-être qu'ils savaient qu'ils ne devaient pas me chercher des noises. Si c'était le cas, ces humains étaient peut-être moins idiots que je le croyais.
Puis il s'arrêta soudainement, j'avais failli lui rentrer dedans !
- Qu'est-ce que... ?
- Sett, je te défie en duel ! Je vais récupérer cette arène, et prouver à tout le monde que tu n'es qu'un gros chat paresseux qui se prélasse sur son trône. Tu sais encore ce que ça veut dire « cogner » ?
Le silence qu'avait provoquer son entrée s'était finalement transformé en murmures agaçants. Mais Sett y coupa court.
- Pas maintenant Draven. Je te règlerai ton compte plus tard si tu y tiens tant que ça. T'as de la chance, je te laisse encore un peu de temps pour t'entraîner, ou fuir. Mais crois-moi, le jour où on s'affrontera, ce n'est pas à un chat à qui tu auras à faire, mais à un lion.
J'aurai aimé intervenir, dire qu'on n'insulte pas un vastaya impunément. Surtout pas devant moi. Mais après tout, sa tirade était parfaite. Le silence était revenu, et il était clair que personne n'avait envie de se frotter à lui ici. Mis à part peut-être ce type qui bouillonnait de rage sur place.
- Viens Xayah, déclara-t-il sur un tout autre ton, passant même un bras derrière mes épaules pour me faire passer devant.
Je jetais un regard noir à ce type, que je voyais enfin. Il était plus petit que Sett, tout aussi musclé par contre, avec des cheveux noirs en piques. Mais il avait surtout deux gigantesques dagues dans le dos. Qui a besoin d'armes aussi stupidement grosses franchement ?
Une chose était sûre, je n'avais franchement pas envie de mettre réellement en colère Sett. Je me doutais qu'il n'était pas du genre à se prétendre fort, s'il ne l'était pas. Mais un petit combat amical me tentait malgré tout, histoire de comparer nos techniques...
Il n'avait pas manqué de donner un bon coup d'épaule à cet homme pour le faire s'écarter du chemin, avant qu'on ne monte un escalier menant à une zone bien plus calme, une sorte de couloir avec plusieurs portes. On l'avait traversé tout du long, avant qu'il ne refasse ce geste et me laisse entrer la première.
- Désolé, c'est pas super bien ranger mais bon... et puis fais pas attention à Draven, il pense qu'à piquer ma place, mais il y arrivera jamais, ahah !
- Tu... es le chef de cette arène, c'est ça ?
Il semblait surpris que je déclare ça de but en blanc. Les bras qu'il venait de croiser se défirent pour encore témoigner de sa légère gêne.
- Ouais... Donc les gens qui m'appellent par mon prénom se comptent sur les doigts d'une main, t'es une privilégiée tu vois ? Ahah !
- N'essaye pas de me duper ! Tu fais comme si de rien n'était, mais c'est de ça que tu ne voulais pas parler devant ta mère n'est-ce pas ? Elle ne voudrait jamais que tu sois à la tête de... de ça !
Je l'avais pointé du doigt sur son pectoral gauche. L'idée qu'il mente à sa mère ne me plaisait pas du tout...
Mais il prit encore une fois ma main pour la baisser doucement.
- Ecoute, j'ai bien retenu ce que tu as dit sur les vastayas, leur code d'honneur etc. Mais je le fais pour ma mère, pour subvenir à ses besoins. Tu sais mieux que quiconque à quel point c'est dur de s'intégrer en tant que vastaya. Toi aussi tu combats pour vivre n'est-ce pas ?
- C'est... différent, déclarais-je en détournant les yeux, reculant un peu.
Mes motivations... oui, elles étaient différentes. Bien moins nobles que les siennes.
- Non, c'est pareil. J'ai grandi ici Xayah. J'ai dû vivre par les poings. Et si ça me permet de rendre ma mère heureuse, je continuerai, même si elle me renie.
- Elle ne sera jamais heureuse comme ça, et tu le sais très bien...
Nous soupirâmes à l'unisson. Cette conversation était vaine. Il décida donc de changer de sujet sciemment, et m'invita à m'asseoir sur le bord de son lit à moitié fait, alors qu'il cherchait de quoi boire.
J'observais cette pièce... c'était pas mal aménagé, un coin chambre séparé de l'endroit cuisine et salle de bain. Le sol et le plafond revêtaient des lattes de bois clair, contrastant avec les pierres sombres qui constituaient les murs. Mais finalement, c'était une chambre bien sobre pour le « patron » de l'arène. Comme déco, il n'y avait qu'un cadre avec un portrait de sa mère sur la table de chevet et les quelques prix qu'il avait dû gagner lors de combats acharnés.
Sans que le sente venir, la fatigue me rattrapa d'un coup. Je n'avais pas franchement dormi avant d'intervenir pour aider sa mère. Je passais mon temps à m'entraîner si je ne combattais pas... pour ne pas penser ou réfléchir. Il me parlait pourtant, tout en étant dos à moi en farfouillant dans ses placards. Mais je ne l'écoutais pas, je n'y arrivais pas. C'était comme un simple bourdonnement qui tournait avant que ma zone de vision ne s'obscurcisse.
C'est peut-être pour ça que, me retrouver dans un environnement étrangement rassurant provoqua ma chute.
Sett, ayant enfin trouvé la bouteille qu'il cherchait, s'exclama qu'on fêterait ma victoire dernière avec. C'est à ce moment qu'il pu découvrir que je m'étais littéralement écroulée de fatigue, dormant profondément sur son lit.
D'abord inquiet, il soupira en ricanant doucement quand il comprit que je m'étais assoupie.
- Elle m'aura tout fait celle-là... déclara-t-il avant de me couvrir.
Il ne se priva néanmoins pas, et se servit un verre de bière avant d'aller contempler les étoiles, se disant que ce serait une nuit bien longue.
De mon côté, j'espérai juste ne pas revivre ce cauchemar. Ce souvenir si douloureux. Malheureusement, la haine, la peur, le désespoir de ce jour s'étaient encrés trop profondément en moi pour disparaître, même après une année entière d'escapade.
Et je sus, lorsque j'entendis le rire de cette perfide Zoé résonner encore dans ma tête, que cette nuit ne serait pas de tout repos.
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