Chapitre 19 : Une descente mouvementée
Honnêtement, mes souvenirs de cette nuit étaient plutôt flous. Je veux dire, après... ce que Sett avait fait. Après l'avoir rassuré, qu'il ne me faisait pas peur. Néanmoins, j'étais soulagée d'avoir pu mettre les choses au clair dès mon réveil. Vraiment, le voir se mettre en retrait, être hésitant avec moi, je ne supportais pas ça. Je voulais qu'avec moi, il ne se retienne pas. Je voulais qu'il puisse être lui.
Et j'avais enfin pu lui avouer l'un de mes plus grands souhaits à ce jour : sa survie. Si je venais à le perdre, lui aussi... je crois que je ne m'en relèverai pas. Quand je lui disais qu'il était devenu important à mes yeux, ce n'était pas pour plaisanter, et j'espérai qu'il l'avait bien compris. Mais au vu de sa réponse, et cette nouvelle promesse que nous nous étions faits, le message avait dû passer.
Malheureusement, après cette attaque nocturne, nous ne pouvions plus rester à trainer nos états d'âme. Cette promesse m'avait remise d'aplomb et lui aussi semblait aller mieux. Le Sett habituel était revenu.
Nous étions donc passés par des ruelles plus discrètes dès le petit déjeuner pris, et à ces heures matinales, il n'y avait pas grand monde. Tout ce que nous entendions était des cliquetis mécaniques des différents engins de la ville.
Enfin, on pouvait quand même passer au marché pour acheter des vivres, même si Sett sembla s'attarder sur un stand que je n'avais pas remarqué durant mes achats. Il était revenu avec un paquet sous le bras, avant de me faire presser un peu le pas.
J'avais presque oublié que j'étais assez repérable ici, tant j'avais de choses en tête à ce moment. Alors je n'avais pas compris ce qu'il voulait faire. Ce n'est que lorsqu'un flash m'éblouît les rétines que j'en repris conscience.
Un jeune homme à la peau brune et à la tignasse étrangement blanche et coiffée en brosse tenait un cliché entre ses doigts, tout sourire. Il avait tout un attirail technologique autour de lui, et d'étranges marques colorées sur le visage. Qu'est-ce qu'il faisait là ?
Je n'eus pas le temps de réagir que Sett laissa tomber son achat pour empoigner le haut du jeune homme et le soulever en l'air. Si on n'était pas repéré à cause moi, là, ça devait être fait.
- C'était quoi ça, hein ?!
- Hey mon vieux, calmos ! C'est vrai que de voir passer deux vastayas c'est pas commun, mais c'était pas méchant ! Regarde, vous êtes bien dessus !
« Dessus » ? Nous nous étions regardés, ne comprenant pas. La technologie photographique nous était complètement inconnue jusque-là. Ce n'est que lorsqu'il nous montra le cliché qu'avait sorti son drôle d'appareil avec nous deux que nous réalisions. Comme un arrêt du temps. Sett et moi, côte à côte, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.
Mais nous savions tous les deux que c'était une mauvaise idée. Il valait mieux rester discret, on ne pouvait pas risquer de se faire courir après par des braconniers ou des marchands d'esclaves. C'est pour ça que Sett avait malgré tout exploser son appareil.
- Désolé mon pote, mais on peut pas prendre le moindre risque.
Il marmonna aussi quelque chose que je n'entendis pas, et revint vers moi après quelques secondes avec un sourire étrange sur les lèvres. Je lui redonnais alors son paquet que j'avais ramassé après son élan impulsif.
- Tu lui as donné de l'argent ? Demandais-je en le constatant après m'être retournée.
- Oui pour euh... compenser pour sa machine. Il avait pas l'air méchant du coup, voilà.
- Le boss est trop aimable !
- Je sais, je sais, ri-t-il.
Il avait touché sa poche de veste, mais je n'y avais pas vraiment prêté attention. Cependant, Sett changea de ton lorsque nous étions sur le point de descendre pour Zaun, comme nous l'avait indiqué cet étrange rat fan de fromage.
- Attends deux secondes. Là, on va moins rigoler qu'en ville, où c'est encore un peu près sécurisé. Là, c'est le marché noir, un truc encore moins légal que mon arène. Alors il vaudrait mieux qu'on soit discrets.
- D'accord, mais tu proposes quoi ?
- J'ai acheté ça tout à l'heure, ça nous cachera un minimum.
J'avais un peu fait la moue, l'idée de me « cacher » ne me plaisait pas. Mais je ne pouvais pas lui reprocher de penser ça, c'était pour notre bien. J'avais à contre-cœur pris le manteau à capuche sans rien ajouter, alors que Sett enfilait le sien. Mais moi, mes oreilles ne rentreraient jamais là-dessous, alors j'avais naturellement fait deux entailles avec une de mes plumes.
Ce n'est que lorsque Sett se tourna vers moi et vit son air dubitatif que je compris que ce n'était pas ce à quoi il s'attendait.
- Quoi ! Tu ne voulais quand même pas que je passe ma journée les oreilles aplaties ? C'est trop désagréable.
- J'ai rien dit, j'ai rien dit !
En effet, mais j'avais bien vu qu'il s'était couvert les yeux pendant une fraction de seconde, ce qui m'avait fait arquer un sourcil.
Enfin, il n'épilogua pas là-dessus. De toute façon, je ne voyais pas ce qu'on pouvait bien craindre à nous deux. Ensemble, on pouvait tout faire. C'était une sensation que je n'avais pas ressentie depuis longtemps... et pas à ce point.
Nous avions donc passé un grand portique métallique, avant d'atterrir sur un rectangle d'acier gigantesque. D'autres personnes plus louches les unes que les autres y étaient aussi. Un décompte était annoncé, et nous étions arrivés juste avant le départ. Nous nous étions regardés, ne sachant pas à quoi nous attendre. Une téléportation peut-être ? En tout cas, personne ne semblait perturbé.
Une rangée de barrière se dressa tout autour de la plateforme, avant qu'elle ne vibre. J'avais froncé les sourcils, me rapprochant instinctivement de Sett. Je ne le sentais pas, ce coup-là.
C'est lorsqu'elle s'enfonça dans le sol que je ne pus m'empêcher de bondir dans les airs, au cas où, tendant ma main vers mon partenaire, même si je ne savais pas ce que je cherchais à accomplir. Je ne pouvais plus voler. Je l'avais oublié, et ce fut une rude piqûre de rappel.
Mais lui avait voulu se précipiter vers moi, ce qui, au final, avait donné une scène plutôt gênante. Il ne m'avait attrapé que les pattes, me portant de façon surélevée, et il ne semblait pas franchement rassuré non plus.
On voulait jouer la discrétion, c'était plutôt raté sur ce coup-là. On s'était même tapé la honte je dirais, à crier nos noms respectifs comme ça dans la panique. Un écran affichait à combien de mètres nous descendions, toujours plus profondément en dessous de Piltover. C'était, ce que les humains appelaient, un « ascenseur ».
Je comprenais maintenant mieux l'expression « ascenseur émotionnel ». Et je dirais même que je l'avais déjà vécu.
Sett m'avait fait redescendre après mon accord, même si je n'aimais pas cette sensation sous mes pattes. Restant toujours proches jusqu'au terminus, il avait gardé une main sur mon épaule. Pour me rassurer, pour lui aussi ? Sûrement un peu des deux.
Une fois en bas, on se serait cru dans un autre monde. Assez sombre, seule de la lumière artificielle éclairait les lieux. Et si en haut, j'avais pu croire qu'il n'y avait que des machines et des tours de métal, ce n'était rien comparé à là. Pas l'ombre d'une plante, rien que du fer, l'odeur de la rouille et du sang.
- Ionia me manque, avais-je lâché à mi-voix.
- En rentrant, tu auras toutes les pommes que tu veux, tenta Sett.
- Tu m'as prise pour un poney ?!
- Poney, oiseau, ya pas une grande différence, si ?
Je voyais bien qu'il plaisantait, qu'il tentait de me détendre, même si c'était un peu peine perdue. Mais j'avais quand même esquissé un sourire, c'était au moins une petite victoire pour lui.
Cette ambiance... je ne l'aimais pas. Partout où j'allais, je suscitais plutôt curiosité ou peur. Ici, c'était clairement... de la convoitise. Et je sentais que Sett se forçait à passer son chemin, il était encore plus tendu que moi. Et l'aura qu'il dégageait devait dissuader ces trafiquants de tenter quoi que ce soit.
Heureusement, nous n'avions pas eu beaucoup de mal à trouver l'arène de Zaun. Un énorme édifice d'acier de forme circulaire. Finalement, même dans la cité de la technologie, une arène restait une arène. Au moins, c'était une chose que l'on pouvait qualifier de « familière ».
C'était ici que nous trouverions des réponses, je le sentais. Ce rat ne nous avait pas menti.
A peine étions nous entrés que les regards furent braqués sur nous. Cette ambiance... ça, on connaissait. Je pensais toujours que j'étais dévisagée pour mes oreilles voyantes, mais j'ignorai encore que la situation était clairement à notre avantage. Il ne fallut pas plus de quelques pas pour qu'un organisateur nous adresse la parole.
- Hey, qu'est-ce que des semi-bêtes viennent faire ici ? Vous vous êtes perdus ? C'est pas un endroit pour les touristes ici.
D'une main, je stoppais Sett qui aurait bien voulu lui répondre d'un coup de poing dans la tronche. Mais son défouloir serait les combats d'arène, pas une vulgaire bagarre de bar.
- « Vastayas »
- Hein ?
- Nous sommes des vastayas, et nous venons défier cette arène.
Un rictus avait commencé à apparaître sur les lèvres de ce type visiblement amoché par les combats, mais mon regard perçant le fit se reprendre, toussant pour essayer de cacher sa satisfaction.
Sett me regarda, un tantinet surpris. Oui, nous étions censés être là pour trouver des informations sur Rakan et Zoé. Mais c'était une trop belle opportunité de faire connaître la puissance des vastayas, de se faire respecter, et de me vider la tête par la même occasion.
- Très bien, il nous manquait des candidats. Sous quels noms je vous inscris ?
- La Rebelle et Le Patron, souriais-je en coin, dirigeant mon regard vers mon partenaire.
Nous ne nous étions pas consultés, et il aurait pu clairement refuser mon caprice. Mais au contraire, un regard avait suffi pour lui faire arborer le même sourire que moi, pour qu'il me comprenne.
Néanmoins, alors que nous attendions l'heure du combat dans une pièce à part, où des distributeurs automatiques et des canapés étaient disposés, je préférais mettre les choses au clair avec des mots.
- Désolée de t'avoir pris au dépourvu, même si je savais que tu serais d'accord.
- Tu plaisantes ? Si tu n'avais pas eu une telle répartie, c'est lui qui aurait été mis K.O. par le « touriste ».
J'avais émis un léger rire. Oui, moi, j'avais l'habitude d'être regardée de travers, ou même dénigrée. Et puisque je n'avais pas que ça à faire, je laissais couler la plupart du temps. C'était la réalité de mon quotidien parmi les humains.
Mais lui, il ignorait tout ça. Lui, il avait pu se faire respecter très vite, vu sa force colossale... En tout cas, c'est ce que je croyais.
C'est en pensant ça que je m'affairais à faire marcher cette étrange machine. Visiblement, il fallait mettre de l'argent, mais nos pièces ioniennes étaient bien trop grosses pour y rentrer.
J'avais donc fini par entailler le verre pour y faire un trou assez large pour y passer ma main, et attrapais cette boîte de métal semblant contenir le lait que Sett aimait tant.
Mon silence involontaire avait également fait parler Sett, sur un sujet que je n'aurais jamais pensé aborder. Alors que j'étais en train de réfléchir à quoi boire, entre tout ces noms étranges, j'avais du mal à y trouver de l'eau normale, j'entendis un lourd soupir émanant de mon partenaire assis sur l'un des sofas.
- Je sais que mon impulsivité doit te paraître lourde, mais tu sais, je ne supporte vraiment plus ça. Je sais pas comment tu fais...
- Tu ne... « supporte plus ça » ? fis-je étonnée.
Il avait connu de telles situations ? Je m'étais avancée après avoir pris une boîte métallique au hasard, avant de tendre le lait à Sett.
Il arqua un sourcil, avant de soupirer en souriant à moitié, et prendre la boisson. Je m'étais ensuite assise, prête à écouter ce qu'il avait à dire.
- Tu sembles croire que je suis né invincible, c'était pourtant loin d'être le cas quand j'étais gamin.
Lui, naître invincible ? En y pensant, ce n'était pas une idée qui me semblait si farfelue. Mais je me retenais d'émettre cette hypothèse, puisqu'il affirmait le contraire.
- Quand mon daron s'est barré... Swain... Notre petite vie de famille paisible s'est vite effondrée. Ça me tue de le dire, mais c'était lui qui faisait en sorte qu'on soit tranquilles. Les humains, comme les vastayas, ne nous ont pas loupé. Traités comme les pires des criminels... Je revenais souvent couvert de blessures. Jusqu'au jour où ils ont insulté maman. Ce jour-là signa le début d'une longue série de remises en place, et les seules égratignures que j'avais se situaient sur mes poings que j'avais du mal à arrêtés une fois lancés.
Je l'écoutais vider son sac en silence, entre deux gorgées. Je ne m'attendais pas à ça. Jamais je n'aurai imaginé Sett se laissé malmener par des enfants... Mais justement, il n'était qu'un enfant qui n'avait jamais connu la violence avant le départ de Swain.
- Et les vastayas... ont été cruels avec ta mère, c'est ça ?
- Ce serait te mentir que te dire qu'ils ont été sympas en découvrant qu'elle avait mis au monde un bâtard, avoua-t-il lourdement.
- Non. Elle a mis au monde... quelqu'un de fort et de courageux, de gentil et de juste. Alors n'utilise plus ce mot, d'accord ?
J'avais saisi sa main, me sentant idiotement coupable. Et si ma tribu avait aussi contribué à son enfance difficile ? Cette idée me rendait malade, au point d'en baisser le regard.
C'est alors je le sentis relever ma tête du bout des doigts, m'adressant un regard et un sourire si tendre que je sentis mon cœur se serrer.
- Seulement si tu enlèves cette idée idiote de ta tête, petite pioute.
Comment faisait-il pour toujours lire en moi comme ça ? Et que ce serait-il passé si on ne nous avait pas appelé à ce moment-là ? Moi-même, je n'osais pas l'imaginer.
Cet appel nous avait surpris, pourtant, nous nous y attendions. Il venait de briser ce moment, mais au moins, j'étais heureuse d'avoir vu Sett s'ouvrir à moi. Je savais que rares étaient les personnes à qui il se confiait, et, je me le jurai, je chérirai ça.
Il retira ses doigts de mon menton, fermant les yeux dans un léger soupir avant de se relever. Puis, il me tendit la main pour me relever. Je n'en avais pas besoin, et pour autant, il me semblait impossible de refuser cette main tendue. Cette main qui, la première fois, m'avait semblé si insignifiante.
Un léger rictus étira à mon tour mes lèvres, devant ce radical changement qu'il y avait eu entre nous. J'avais saisi cette main, qui me tira doucement vers lui.
- Merci, Sett, prononçais-je sans réfléchir, sur un ton trop sérieux pour un remerciement d'un geste aussi anodin.
- Merci de m'avoir écouté, Xayah.
J'eus du mal à lâcher sa main. Ou plutôt... Je ne voulais pas le faire. Et alors que nous regardions la porte métallique qui allait bientôt s'ouvrir sur cette arène où nous devrions nous battre à mort, alors que ma main fut sur le point de quitter la sienne, il serra ses doigts, sans détourner les yeux.
Surprise, mais faisant de même, je pressais un peu plus ma paume contre la sienne, marchant vers notre lieu de combat.
- Venus tout droit de Ionia, deux vastayas nous font l'honneur de leur visite ! Repartiront-ils avec quelques cicatrices en guise de souvenirs, ou leur voyage s'achèvera-t-il ici ? Les paris sont lancés ! Faites du bruit pour le Patron et la Rebelle !
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