Episode 5 : De l'amour et du gâteau

J'ai un frère jumeau. Cette petite phrase suffit à me résumer. J'ai un frère jumeau. Il s'appelle Hélios. Moi c'est Hector. Encore aujourd'hui, je n'arrive pas à décider si ma vie aurait été meilleure ou pire sans mon jumeau. Je suppose que je ne le saurai jamais...

Il y a des bons et des mauvais côtés. Comme pour tout, je suppose. On s'amuse bien ensemble, on fait des farces, on rigole bien... Par ailleurs, il me réconforte toujours quand quelque chose ne va pas. Mais il attire systématiquement l'attention, et il m'entraîne avec lui chaque fois qu'il fait un truc. On est toujours collés, c'est pénible... D'ailleurs, c'est à cause de lui que je participe à Coup de foudre à Sirima.

Comme il a été repéré, il était prévu qu'il participe sans moi. Mais il a insisté auprès du réalisateur, tant et si bien qu'on m'a sollicité aussi. Le truc, c'est que j'avais rien demandé. Je me serai bien contenté de regarder l'émission, confortablement installé dans le canapé. Au lieu de ça, je vais devoir vivre l'émission.

Je soupire. Il est treize heures. Hélios est à son cours d'équitation, il nous rejoindra, moi et les autres participants, au centre de loisirs. Je vais y aller. D'un doigt, l'index, précisément, je remonte mes lunettes. Ce n'est pas qu'elles descendent, c'est juste un tic. Et puis, je veux m'assurer qu'elles cachent bien mes yeux.

À quatre ans, quand mes parents se sont rendus compte que ma vue baissait, j'ai été soulagé de devoir porter des lunettes. L'ophtalmologue m'a indiqué des verres épais, ce qui m'arrangeait d'autant plus. Les reflets, le verre épais, la grosse monture en plastique noir... C'était pile ce qu'il me fallait. Mon secret est bien gardé.

Je tourne la poignée de la porte et sort de la maison. Le portail est tout au bout du jardin, je le distingue derrière des massifs colorés, entre les deux cerisiers. Je sors mes clés de ma poche et marche rapidement sur le sentier pavé. Un mouvement attire mon regard. C'est une mésange qui sautille d'une branche à l'autre sur le pommier.

Je souris et arrive au portail. J'insère la clé dans la serrure, tourne et sors. Je referme le battant de métal bleu derrière moi et commence à marcher. Je m'amuse à shooter dans un petit caillou durant plusieurs minutes, puis arrête lorsqu'il part au milieu de la route. Au bout d'une dizaine de minutes, j'entends quelqu'un m'appeler :

- Hé ! Hector !

Je me retourne pour voir Lucie courir vers moi. Elle finit par me rattraper et se baisser, les mains sur les genoux, tentant de reprendre son souffle. Quand enfin elle se redresse, c'est moi qui ai le souffle coupé. Elle a les joues rosies par sa course et est adorablement décoiffée. Ses yeux bruns pétillent de gentillesse et d'enthousiasme.

- Pfff... Pfff... Salut... Hector... Pfff...

- Salut Lucie.

Mon cœur bat la chamade. Depuis le premier épisode, je l'aime. Elle est mignonne, intelligente, elle a de bonnes idées et se donne à fond. C'est la seule raison pour laquelle je continue l'émission. Et aussi parce que mon contrat m'y oblige.

- Ça... Ça va ? elle demande avant de relever la tête vers moi.

- O... Oui et toi ?

- Oui...

- On va jusqu'au centre de loisirs ensemble ?

- Oui, si tu veux...

Le trajet passa comme un éclair. À bavarder avec Lucie de tout et de rien, je ne voyais pas le temps passer et fut déçu au moment d'arriver dans la salle de l'atelier. Océane et Zéphyr étaient déjà là.

- Salut vous deux ! nous lança Christophe. Ça va Hector, pas trop stressé ? Après tout, c'est ton épisode aujourd'hui !

- Non, ça va... je marmonne.

- Pour aujourd'hui, nous allons faire des groupes de quatre. Ce sera vous quatre ensemble, du coup, et les quatre qui ne sont pas encore arrivés formeront l'autre groupe.

J'acquiesce. Je vais être dans le groupe de Lucie !!!

Dix minutes plus tard, tout le monde est là. Nous sommes répartis sur les tables, Lucie en face de moi, Hélios derrière moi et Océane à côté de moi. Enfin, Christophe nous donne le départ :

- Vous êtes prêts ? Un, deux, trois, action !

Durant quelques secondes, personne ne pipe mot. Puis Logan demande :

- Du coup, nous sommes ici pour un atelier pâtisserie ?

Ambre se frappe la tête du plat de la main et murmure "Mais quel idiot !" Assez fort pour que tous l'entende. En réponse, Logan lui ébouriffe les cheveux et elle vocifère :

- Ah non ! Pas les cheveux, c'est déloyal !!! T'as idée du temps que je mets pour faire ma tresse ?! Pour la peine, tu vas me la refaire !

Elle enlève son élastique et sépare rapidement ses mèches, avant de tourner sa chaise dos à Logan. Ce dernier commença à tresser habilement les cheveux blonds. Quelques minutes plus tard, il avait terminé une tresse superbe et l'enroulait en chignon.

- Waouh, c'est super beau ! S'exclama Lucie.

- Ouais, mais on n'est pas à un atelier de coiffure ! rétorqua Hélios.

- Et si on prenait nos tabliers ? je suggère hardiment. Il sont dans le placard là-bas.

Aussitôt, nous nous levons et nous précipitons. Chacun attrape un tablier, mais quand nous les déplions...

- Heu... Pourquoi il y a des inscriptions bizarres dessus ? demande Rosalie.

Je regarde le mien. Il y a "Je suis une bouse de vache" dessus. Hélios lit mon inscription et s'esclaffe :

- Ça c'est bien vrai !

- Eh, mollo le, je cite, "quadrupède constipé à la cervelle de moule"!

Il perd instantanément son sourire goguenard.

- C'est toujours mieux que ton truc !

- Calmez-vous ! intervient Lucie.

Son tablier est marqué de "Je suis un dur à cuire, un vrai", agrémenté de fleurs et de cœurs.

- Bon, on s'y met ? demande Zéphyr, coupant cours aux bavardages.

Chaque groupe se met au travail. Tous les ingrédients et les ustensiles sont sur la table. Nous allons faire des gâteaux au chocolat. Durant les dix premières minutes, c'est le groupe deux, (l'autre) qui fait le plus de bruit. Ça a beau être mon épisode, c'est Hélios qui est au centre de l'attention.

Mais c'est pas si mal. Lucie, Océane et Zéphyr sont de bonne compagnie. On discute un peu de nous, c'est tranquille. Puis vient un moment où il faut aller faire fondre le chocolat. La cuisine étant à l'autre bout du centre, Océane et moi décidons d'y aller ensemble. Je prends le bol de chocolat et nous nous mettons en route.

Au bout de trois couloirs et quatre portes, nous sommes déjà perdus dans le gymnase. Et ce n'est pas le caméraman qui nous suit qui va nous indiquer la cuisine ! En désespoir de cause, nous tentons de revenir sur nos pas... Pour nous retrouver à l'extérieur dans un parc.

- Je crois que nous sommes perdus. Je dis bêtement.

Océane sourit et se tourne vers moi.

- Je le crois aussi.

Nous échangeons un regard et commençons à rire. D'abord doucement, puis aux éclats ! Durant de longues minutes, nous restons pliés en deux, secoués d'un fou rire incontrôlable. Enfin, nous nous redressons.

- Je sais pas toi, mais moi j'ai mal aux côtes ! je m'exclame.

- Tu feras gaffe, tes lunettes vont tomber ! dit-elle en reprenant son souffle.

D'un geste un peu frénétique à mon goût, je les redresse. Océane me fixe, perplexe.

- Ça va ?

- Oui, t'inquiètes ! C'est juste que je suis complètement aveugle sans mes lunettes ! je dis dans un petit rire absolument pas convaincant.

- Qu'est-ce que vous faites là ? demande soudain une voix.

Océane et moi nous retournons de concert pour voir Rosalie, un bol de chocolat fondu à la main.

- Tout le monde vous attend !

- En fait, on s'est perdus en cherchant la cuisine... j'explique.

Elle fronce les sourcils.

- Troisième porte à droite après le gymnase.

- D'accord, merci ! répond Océane.

Rosalie retourne voir les autres et nous allons faire fondre notre chocolat. Enfin, nous revenons dans la pièce avec les autres. Là, j'ai la désagréable surprise de voir qu'Hélios a pris ma place et qu'il est en train de rire avec Lucie. Je me plante devant lui. Il fait semblant de ne pas me remarquer. Lucie arrête de rire. Il se tourne enfin vers moi.

- Je peux récupérer ma place ?

- Pourquoi ?

Je manque de rester bouche bée.

- Parce que c'est ma place, que tu l'occupes, et qu'après avoir erré dans tout le centre pour trouver la cuisine, j'aimerais bien m'asseoir.

Mon jumeau me toise.

- Attend, tu t'es perdu en cherchant la cuisine ?

Il s'esclaffe.

- Je savais que t'étais pas bien dégourdi, mais à ce point là !

Il va voir si je ne suis pas dégourdi ! Je m'approche de lui et le pousse. Il manque de tomber de la chaise et se lève.

- Tiens, prends-la ta foutue place !

C'est en m'asseyant que je prends conscience du silence qui m'entoure. Tout le monde a les yeux braqués sur moi... Et les caméras aussi.

Merde... Je suis mal... Pitié, que quelqu'un rompe ce silence écrasant !

Comme s'il avait entendu mes pensées, Logan s'exclame :

- Attention, il y a une araignée !

Tous sursautent et Ambre soupire :

- Logan, si tu penses qu'on va se faire avoir par une diversion aussi lamentable !

- Euh, en fait il y a vraiment une araignée... confirme Lucie.

Effectivement, en haut du mur en face de moi se trouve une araignée plutôt grosse.

- Du coup, qu'est-ce qu'on fait ? demande Logan, toujours pragmatique.

- Je m'en occupe. intervient Zéphyr.

Munis d'une chaise, il entreprend d'attraper l'araignée, qui s'échappe sur le plafond et tombe sur la tête d'Hélios. Ce dernier pâlit. Il est arachnophobe, je ne voudrais pas être à sa place.

- Enlevez-moi ce truc de la tête !!!

Je passe à l'action et tente d'attraper la bestiole qui se balade dans ses cheveux, mais mon jumeau gesticule trop et me donne un coup de tête.

- Aïe ! je m'exclame.

C'est la cohue, le bazar. Un tumulte impressionnant causé par une simple araignée. Tout le monde bouge dans tous les sens ou pour éviter, ou pour attraper l'araignée.

- Chopez-la ! crie Logan.

- C'est ce que j'essaie de faire !!! réplique Rosalie.

Enfin, Zéphyr attrape la malheureuse créature et la met dehors. Nous nous dévisageons alors. La salle est sens dessus dessous, beaucoup d'ingrédients et d'ustensiles sont par terre. Enfin, Rosalie exprime notre pensée à tous :

- On dirait une bande de gosses...

- T'inquiètes, je sais que je suis beau gosse ! tente Logan pour détendre l'atmosphère.

Il n'obtient que des regards noirs en réponse.

- Ça va ? je demande à Hélios, encore tremblant.

Il a les larmes aux yeux. Je ne le vois pas souvent dans cet état, seulement quand il est profondément blessé. C'est dur. Ça fait mal à voir. Mais le pire, c'est cette colère soudaine dans ses yeux.

- Fais pas semblant de te soucier de moi !

Il a dit ça dans un grondement que je n'aurai pas été certain d'avoir entendu si les autres n'arboraient pas des expressions aussi choquées.

- P... Pardon ? je bredouille.

Soudain, je me sens redevenir un petit garçon, adorant, dépendant et suivant son jumeau partout. Un seul mot de lui et je perds le peu d'estime de moi que j'ai réussi à acquérir au cours des années.

- J'ai dit : Ne fait pas semblant de te soucier de moi !!!

Il recule légèrement, comme effrayé par sa propre voix. Il se raffermit presque immédiatement, cependant, et me jette un regard dur, comme si tout était de ma faute.

- Hélios, qu'est-ce qui te prend ? je demande d'une voix un peu tremblante.

- Toi, qu'est-ce qui te prend ?

Je le fixe, interloqué.

- Depuis toujours, commence-t-il d'une voix vibrante de colère contenue, je dois te protéger, je dois m'occuper de toi, tu crois que j'en ai quelque chose à foutre ?! Ton secret, ton si précieux secret que j'ai toujours gardé... Je t'ai offert une chance de jouer dans une télé-réalité, de venir avec moi en pleine lumière, il déglutit péniblement, mais même après ça, tu m'humilie devant tout le monde, tu me prends pour un faible, tu joues le protecteur, MAIS TU N'EN ES PAS UN ! TU N'ES QUE LE FAIBLE DE L'HISTOIRE !!!

Une gifle. C'est l'effet que me font les mots de mon frère. C'est aussi ce que je donne à Hélios.

- Ne redit jamais ça, tu m'entends ?! Jamais ! Pendant toute ma vie, je suis resté dans ton ombre, vivant selon tes caprices. Je t'ai toujours cédé à cause de mon secret, mais j'en ai marre. C'est à cause de toi que je participe à cette émission, je me serai volontiers contenté de la regarder ! Mais même quand je fais exactement ce que tu veux, tu ne peux pas t'empêcher de te mettre dans mes pattes, hein ? Au dernier épisode, tu as avoué une préférence pour Lucie. Et bien moi je l'aime, JE L'AIME DEPUIS LE PREMIER JOUR !!!

Lucie émet un hoquet de surprise, mais je continue :

- Mais tu ne pouvais pas me laisser prendre la lumière, ça t'était intolérable ! Je dois rester ta chose que tu peux contrôler et manipuler... Tu veux que je te dise ? Tu n'es pas le héros de l'histoire, seulement le deuxième antagoniste, celui qui n'est pas assez méchant pour être le principal, celui qui fait trop pitié pour être éliminé, celui qui est trop insignifiant pour s'en préoccuper.

Durant quelques instants, plus personne ne bouge, plus personne ne parle. Seule ma respiration haletante se fait entendre. Je me sens libéré. Je me suis enfin exprimé. Mais alors... Pourquoi je suis au bord de la nausée ?

La réaction d'Hélios ne se fait pas attendre. Il se jette sur moi, et attrape mes lunettes. Je tente de le repousser, le autres tentent de nous séparer.

Crac !

Je baisse les yeux. Mes lunettes sont par terre, les verres brisés. Je m'accroupis et les prends dans mes doigts.

- Non, non, non, non, non ! je murmure frénétiquement.

- Hector, je... commence Hélios.

- Va t'en. N'importe où, mais va t'en.

Mon jumeau se lève. J'entends ses pas précipités s'éloigner. Je me couvre les yeux de mes mains. Ils sont toujours en train de filmer ? Peut-être que je n'ai pas entendu le "coupez" au milieu de la pagaille.

Soudain, je sens une main sur mon épaule.

- Hector...

Je relève lentement la tête. C'est Océane.

- Est-ce que ça va ? demande Rosalie.

- Quelle question, on voit bien que non ! rétorque Logan.

- Je demandais ça par tact !

- VOUS NE VOUDRIEZ PAS LA FERMER ?! s'exclame Lucie.

Les deux belligérants obéissent avec une docilité surprenante. Une caméra s'approche de moi et je plaque de nouveau mes mains sur mes yeux.

- Hector, qu'y a t-il ? demande Océane.

- Mes yeux... je marmonne.

- Quand j'étais petite, ma mère me chantait cette comptine pour me réveiller :

Petit lapin aux yeux de verre,

Pourquoi te caches-tu sous terre ?

C'est pour passer au chaud l'hiver,

Le printemps est là, retourne aux primevères.

Elle me donne une pichenette sur le nez et j'ouvre les yeux.

- Pourquoi tu ne voulais pas nous montrer tes... Oh !

Les autres se rapprochent à leur tour, mais je m'interdit de me détourner.

- Tu as les yeux vairons ! s'exclame Lucie. Je n'en avais jamais vus !

- C'est pour ça que tu gardais toujours tes lunettes ? demande Logan.

- Pourquoi tu les caches ? intervint Ambre. Les autres se moquaient de toi ?

- Oui... Et... Hélios me défendait toujours... Mais...

Je soupire.

- Peu importe. J'imagine que ça va être chacun pour soi, maintenant...

- Coupez ! rugit Christophe.

Comme nous ne faisons pas mine de bouger, il s'approche.

- Ça va aller, Hector ?

Je hoche la tête.

- Il faudra bien...

Le réalisateur soupire.

- Bon. Vous voulez que je commence par le positif ou le négatif ?

- Parce qu'il y a du positif ? s'étonne Logan.

- Au moins du potentiel positif.

- Allez-y, alors !

- Tout d'abord, Océane, je te félicite. Tu as parfaitement réussi à te mettre en avant, même si tu as eu besoin d'Hector pour ça. Ensuite, cet épisode était passionnant même si on s'est éloignés du sujet principal. Hector, tu t'es superbement mis en valeur, on jurerait que ce n'était pas de l'improvisation totale ! La semaine prochaine, on se concentrera sur Hélios.

- Et le négatif ? demande Logan.

- C'était la pagaille, il y a eu trop de scène tumultueuses, et trop de silences gênants, généralement que tu brises d'une remarque qui relance la cohue. Et faire autant d'histoire à propos d'une araignée !

- Vous avez fini ?

- Oui. Rendez-vous la semaine prochaine à quinze heures au club d'escalade. Vous pouvez y aller.

À peine Christophe a t-il prononcé ces mots que je me relève, ramasse les morceaux de mes lunettes et m'enfuis du bâtiment. Dehors, je vois Hélios qui m'attend sur un banc. Quand je passe près de lui, il se lève et nous rentrons ainsi en silence.

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