Episode 4 : Cœurs parachutés

Mon réveil indique cinq heures du matin. Je devrais dormir, d'autant plus qu'il y a le tournage qui m'attend dans quelques heures, mais je suis incapable de faire quoique ce soit, à part me retourner dans mon lit, encore et encore. Mon prénom ? Rosalie. Mon age ? Quinze ans. Ma passion ? Les sensations fortes. Le moment le plus gênant de ma vie ? Quand j'ai embrassé Zéphyr devant tout le monde. Encore maintenant je sens mes lèvres sur les sienne, sa chaleur, ses bras autour de moi... Et la caméra qui tournait, diffusant la séquence à tout le pays.


J'ai regardé l'épisode. Heureusement, il n'y a pas de gros plan. On me voit juste poursuivie par Logan, trébucher, et tomber sur Zéphyr qui s'est précipité pour me rattraper. Ensuite on le voit m'enlacer et nos visages se coller durant plusieurs secondes. Après quoi, je me relève, m'enfuis et le générique de fin démarre, avec sa stupide chanson !


Je soupire. Tout à l'heure, c'est parachutisme. En temps ordinaire, je ne tiendrais pas en place tant j'aurais hâte. Le truc, c'est que la situation n'a rien de banal. Comment dois-je me comporter avec les autres ? Avec Zéphyr ? Il va sûrement insister pour qu'on reparle de la semaine dernière... En plus, comme cet épisode m'est consacré, la caméra ne va pas me lâcher !


Je me retourne de plus belle, tant et tant que je finis par tomber de mon lit ! Je heurte le tapis avec un bruit sourd et décide de me lever. Ça m'éclaircira les idées et je réfléchirai mieux. Je me relève donc et vais ouvrir les volets. Le soleil n'est pas encore levé. J'allume la lumière. Bon, qu'est-ce que je vais mettre aujourd'hui ? Beaucoup jugent la mode superficielle mais on envoie différents signaux aux autres en fonction de ce que l'on porte. Par exemple, un survêtement et un sweat noirs indiquent généralement qu'on veut être tranquille, une robe rouge montre qu'on veut être vue et admirée, et un jean avec une chemise transmettent qu'on est à la fois sérieux et décontracté.


Bien sûr, ça ne fonctionne pas toujours, et ça peut devenir un véritable paradoxe si la personne ne fait pas du tout attention à ce qu'elle met, ou choisit ses vêtements au hasard. Pour les participants de Coup de foudre à Sirima, ça va, ce n'est pas le cas, et il est très facile de lire en eux. Après, je ne suis pas voyante, je ne fais qu'observer.


Bon, pour aujourd'hui, ça sera un short en jean, et un grand tee-shirt marqué en gros de : J'peux pas, j'ai parachute ! Normalement, ils auraient dû mettre parachutisme, au lieu de parachute, mais ce n'est pas grave. Je fais du parachutisme depuis longtemps, et j'ai fini par abandonner l'idée de faire comprendre aux gens que c'est parachutisme, et non parachute.


L'horloge du salon indique midi. Ça fait une heure que je réfléchis à un plan d'attaque, pour le tournage. Tout d'abord, il faut que j'évite Zéphyr. Pourquoi ? Parce que nous risquons d'avoir une conversation gênante qui se soldera soit par un rapprochement, soit par un éloignement. Je ne veux pas sortir avec un garçon que je connais à peine, d'autant plus que je ne suis même pas sûre d'avoir des sentiments pour Zéphyr !


Après, je peux prétendre qu'il s'agissait d'un accident, ce qui n'est pas totalement faux, et lui proposer d'oublier ce baiser. Oui, c'est sûrement la meilleure chose à faire. Et ça me permettra de m'en sortir à peu près bien. Mais Zéphyr... S'il pense que notre baiser était sincère et que je suis amoureuse de lui... Il risque d'être blessé !


Bon, je vais me conduire comme d'habitude, en essayant toutefois d'éviter Zéphyr. Si jamais il met la semaine dernière sur la table, je dirai que c'était un accident, que je suis tombée sur ses lèvres en voulant me relever ou un truc dans ce genre-là !


Ma montre indique quatorze heures, je dois y aller. Je prends un sac à dos avec mes clés, de l'eau et un pull et je sors de chez moi, direction le club de parachutisme !


Le club de parachutisme est un petit bâtiment situé en bordure de la ville, doté d'une piste d'atterrissage pour le petit avion qui emmène les parachutistes dans le ciel, et d'un grand hangar pour l'avion en question. Je lève la tête. Le ciel est recouvert de nuages gris et menaçants. Ce n'est pas bien, il faut un temps idéal pour faire du parachutisme. Le temps que j'arrive, il commence à pleuvoir.


Je me rends dans le hangar, où Christophe, Lucie, Hector et Hélios attendent déjà, avec l'équipe de tournage. Je m'avance vers eux.


- Salut tout le monde !


- Salut ! Me répondent les trois participants.


- Ah, bonjour Rosalie ! Me sourit Christophe. Il semblerait que le parachute soit compromis.


- Plutôt annulé, non ? Je réplique.


Il rit.


- Plutôt annulé, oui ! Mais nous avons tout de même un tournage à faire, et nous n'allons pas changer de lieu. Quelqu'un a une idée ?


Lucie lève immédiatement la main, comme si elle était à l'école.


- On pourrait faire un grand action ou vérité, ça serait amusant et on peut le faire sur place !


- Bonne idée ! Répond Christophe.


- Il n'y a plus qu'à attendre les autres. Dit Hector.


Quelques minutes plus tard, Logan, Ambre, Océane et Zéphyr sont là. J'évite soigneusement le regard de ce dernier tandis que Christophe annonce :


- Bonjour à tous, aujourd'hui, le temps ne permet pas de faire du parachute, alors nous allons rester ici et vous ferez un grand action ou vérité.


- D'accord. Répond Logan. On commence quand ?


- Dans cinq minutes, le temps d'installer les caméras. En attendant, vous pouvez vous asseoir en cercle ici.


Christophe nous désigne un espace entre la grande porte du hangar et le petit avion jaune pâle. Il fait sombre et humide, la pluie tambourine violemment sur le plafond métallique et les néons blancs baignent la pièce d'une lumière spectrale. On dirait un décor de film d'horreur, c'est tout à fait mon genre.


Je m'assois la première, rapidement imitée par les autres. Lucie s'installe à ma droite et nous échangeons un sourire complice. C'est Hélios qui s'assoit à ma gauche et Hector se met à côté de lui. Je sens le regard de Zéphyr sur moi, tandis qu'il s'installe entre Ambre et Océane. Logan vient se mettre entre la première et Hector.


- Bon, vous êtes prêts ? Demande Christophe.


- Oui ! Je réponds à l'unisson avec Logan, Hélios et Lucie.


- Alors, un, deux, trois, action !


Le « action » résonne longtemps dans le hangar tandis que nous cherchons quoi dire. Enfin, Logan prend la parole :


- Comme le parachute est annulé à cause du mauvais temps, il semblerait que nous devions faire un action ou vérité. Qui a eu cette bonne idée, au juste ?


- C'est moi. Répond fièrement Lucie en se redressant.


- Alors c'est toi qui donnera le premier gage. Annonce Logan. Personne n'y voit d'objection ?


Des murmures d'approbation lui répondent.


- Parfait. Alors c'est à toi, Lucie !


- Merci. Hum... Rosalie, action ou vérité ? Demande t-elle en se tournant vers moi.


Je suis un peu surprise d'avoir été choisie, mais n'en montre rien et répond d'une voix assurée :


- Action !


- Fais-nous deviner ton animal préféré en le mimant !


C'est quoi ce gage ? J'aurai dû prendre vérité !


- D'accord !


Je m'accroupis, place mes mains devant ma bouche comme on le fait pour imiter un rongeur et esquisse de petits mouvements saccadés en émettant de petits couinements.


- C'est un poisson ! S'exclame Hélios.


- Non, plutôt un hamster. Réplique Hector.


- Un écureuil ? Hasarde Lucie.


- C'est un rongeur, en tous cas. Constate Ambre.


- Une pie ! Annonce Hélios.


- Parce que d'après toi, c'est un rongeur, une pie ! Lance la blonde.


Ils se mettent tous à proposer des suggestions, toutes plus éloignées de la vérité. Seuls Zéphyr et Océane ne participent pas au débat.


- Je sais, c'est un singe ! S'exclame Logan. C'est un rongeur, non ?


- Un rongeur ? Le singe ? Fait Lucie d'un ton incrédule.


- Ben c'est quoi, alors ?


- Un chat ? Demande Ambre.


- Un éléphant ?


Tous se tournent vers celui qui vient de faire cette déclaration incongrue, qui n'est autre qu'Hélios avant d'éclater de rire.


- C'est une souris. Annonce soudain Zéphyr. Je me trompe ?


Le silence se fait. Tous sont suspendus à mes lèvres alors que mes yeux accrochent ceux du jeune homme pour ne plus les lâcher.


- Non, tu as raison. Je finis par admettre.


- Ton animal préféré est une souris ? S'exclame Hélios.


- Et alors ?


- C'est juste que j'imaginais un animal un peu plus... Grand ? Féroce ? Majestueux ?


Je fronce les sourcils.


- Pourquoi ?


- Non, rien, laisse tomber.


Je hausse les épaules.


- D'accord. Alors, Hélios, action ou vérité ?


Il réfléchit un instant.


- Vérité.


- Quelle est la fille qui te plaît le plus ici ?


- C'est difficile à dire, nous n'en sommes qu'au quatrième épisode...


Je le fixe d'un regard inquisiteur jusqu'à ce qu'il détourne le regard. Il marmonne quelque chose qui se perd dans un grognement.


- Tu peux répéter ? Je demande.


- Lucie.


L'intéressée sursaute alors que tous les regards convergent vers elle. Elle rougit légèrement et bafouille :


- Oh, heu, d'accord ! Merci ! Enfin, je crois.


Hélios sourit et demande :


- Hector, action ou vérité ?


- Vérité.


- Raconte le moment le plus gênant de ta vie.


Hector s'empourpre.


- Traître! Murmure t-il.


Son jumeau éclate d'un rire narquois.


- Aller, Hec' !


Ce dernier mime le fait de tordre le cou avant de commencer à raconter :


- C'était pendant un concert, j'étais sur scène, en train de jouer du violon et j'avais un solo. Mais je me suis trompé de partition et j'ai commencé à jouer n'importe quoi. C'est là qu'un membre du groupe m'a crié devant tous les spectateurs « Imbécile ! T'es même pas fichu de différencier la partie 2 et la partie 5 ! » J'étais mort de honte...


- Je confirme, il a quitté la scène en courant ! Ajoute Hélios.


Hector remonta ses lunettes avec son doigt et se tourna vers Zéphyr.


- Zéphyr, action ou vérité ?


- Action.


- Fais la grenouille pendant une minute.


Une expression perplexe s'afficha sur le visage de Zéphyr, bien qu'il la fit disparaître une fraction de seconde plus tard. Il s'avance au milieu du cercle, se racle la gorge et commence :


- Les pattes fines et musclées,

De nénuphar en nénuphar elle va,

La peau de feuille ou de boue,

Amphibienne acrobate, la grenouille.


Tous applaudissent sauf Hélios qui proteste :


- Il fallait mimer ! Pas composer un poème !


- J'ai interprétée la grenouille, je l'ai mimée avec mes mots.


- Ce n'est... commence le brun, mais Zéphyr se tourne vers moi.


- Rosalie, action ou vérité ?


Je pourrai protester, dire que je suis déjà passée, mais son regard me l'interdit.


- Vérité. Je réponds dans un souffle.


- Viens avec moi, j'ai une question à te poser... en privé.


- Tu es conscient que la caméra va vous suivre et qu'on se précipitera pour regarder l'épisode dès qu'il sortira ? Demande Logan.


- Oui, mais au moins sa réponse ne sera pas influencée par vos têtes de macaques ! Réplique Zéphyr.


Lucie, Ambre et les jumeaux applaudissent.


- Il n'y a pas de quoi applaudir, les coupe sèchement le blond. C'est vous qui étiez visés. Viens, s'il te plaît.


Zéphyr me fait signe de la suivre jusqu'au fond du hangar.


- Alors, je demande, quelle est ta fameuse question ?


L'un des cameraman s'approche pour nous prendre en gros plan. Zéphyr darde sur moi son regard azur.


- As-tu aimé notre baiser ?


- Oui. Je réponds franchement.


- Voudrais-tu qu'il se reproduise ?


- Heu... Je ne sais pas, je dois y réfléchir !


- Cherches-tu l'amour pendant cette émission ?


- Pourquoi, pas toi ?


- Réponds juste.


- Oui. Je soupire.


- Cela te plairait-il de sortir avec moi ?


- Zéphyr...


Il me fixe sans un mot. Je tente de détourner le regard, mais ses yeux m'attirent irrésistiblement.


- Rosalie.


Je frissonne. C'est marrant comme les choses arrivent vite ! Dire qu'il reste encore vingt épisodes...


- Rosalie...


Je lève les yeux vers lui. Mes lèvres s'entrouvrent d'elles-mêmes et je souffle :


- Oui. J'adorerai.


Il sourit finalement et se penche vers moi. Ce n'était pas un baiser fougueux, passionné, comme on en trouve dans les romans, non. Juste nos lèvres qui se sont effleurées pendant quelques instants, pendant que résonnaient au loin les applaudissements des autres.


- Coupé !


Zéphyr et moi nous écartons, mais il attrape ma main alors que les autres se précipitent sur nous. Christophe se dirige vers nous :


- Bravo à tous pour vous être si bien adaptés à ce programme imprévu ! Zéphyr, Rosalie, c'était une scène magnifique, gardez cet état d'esprit. Océane, essaie de participer plus. C'est bien de jouer la carte du mystère, mais pour qu'il continue d'intéresser les téléspectateurs, il faut l'attiser. Fais-moi quelque chose comme ça, la semaine prochaine. On se retrouve samedi prochain pour faire un atelier pâtisserie au centre de loisirs à treize heures trente. À la semaine prochaine !


- À la semaine prochaine ! Nous répondons en chœur.


Il s'est arrêté de pleuvoir pendant le tournage, et malgré les innombrables nuages qui voilent le ciel, le soleil perce à de nombreux endroits.


- Regarde ! Je lance à Zéphyr qui marche à côté de moi. Un arc-en-ciel ! Il va nous porter chance !


Le blond sourit. Il me sourit et il dit :


- Désolé, je dois y aller. Mais on se retrouve la semaine prochaine !


Je souris à mon tour.


- La semaine prochaine, oui.

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