Si ça n'avait tenu qu'à moi, je n'aurais jamais participé à Coup de foudre à Sirima. Moi, mon truc, c'est d'écrire des poèmes et de faire de longues balades loin de la civilisation, perdu au milieu de la campagne, pas de faire le guignol devant une caméra. Je soupire. Vivement que ça soit fini ! Quand la production m'a contacté pour me dire que j'avais une chance de jouer dans une télé-réalité à succès, je me suis dit pourquoi pas. Ça pouvait m'ouvrir des portes pour éditer mes poésies. J'avais donc tenté le coup.

Je le regrette amèrement. Je me fiche totalement de la fille qui jettera son dévolu sur moi, tant qu'elle n'attend pas un réel amour en retour. Je participe uniquement pour promouvoir mes poésies. Il faudra d'ailleurs que j'en écrive une pour la fille qui me choisira. Les couples sont déjà en train de se former, il faudrait que je m'active si je ne veux pas être à la traîne. Logan et Ambre ont l'air d'avoir prévu un truc. Dommage, Ambre est peut-être la seule fille qui n'ait pas l'intention de tomber amoureuse pendant cette télé-réalité.

Il est quinze heures moins le quart. Je vais devoir me préparer. La patinoire n'est qu'à dix minutes, mais je préfère être prudent. Je passe devant mon miroir. Jean noir, chemise bleue, sandales. Aujourd'hui, c'est patinoire, ils vont sûrement tenter de nous mettre deux par deux pour nous voir avancer sur la glace en hésitant, cramponnés l'un à l'autre. L'horreur ! Je déteste les contacts physiques. Mais pas de chances pour Christophe, je vais souvent à la patinoire. Je vais donc pouvoir filer sur la glace, attirer un peu l'attention sur moi, et, surtout, être tranquille.

Je sors de chez moi. Il y a du soleil, aujourd'hui. On est en avril, il y a vingt-quatre épisodes prévus, un par semaine, généralement le samedi. Celui aujourd'hui est une exception car Lucie ne pouvait pas samedi dernier. J'ai hâte que les tournages soient terminés, mais j'ai encore jusqu'au mois d'octobre. En plus, ça me pourrit l'été, vu que je ne peux pas partir plus d'une semaine.

J'arrive à la patinoire. Privatisée pour l'émission, bien sûr. Christophe et l'équipe technique sont déjà là, ainsi que Logan et Ambre qui discutent dans leur coin. J'avoue que je suis un peu jaloux. Ils n'ont pas besoin de trouver quelqu'un, ils ont arrangé leur coup. Alors que moi.

- Bonjour Zéphyr ! Me lance Christophe.

- Bonjour.

- Aujourd'hui, je compte sur toi ! Je sais que tu n'aimes pas trop l'attention, mais on va commencer à faire des épisodes focalisés sur chaque participant tour à tour. Et pour ce tournage, c'est toi la vedette !

- D'accord.

Voilà qui ne m'enchante guère. J'aurai préféré pouvoir me préparer un peu, prévoir quelques répliques, ce genre de choses. Je ne suis pas doué en improvisation ou pour faire semblant. Au moins, je ne me ridiculiserai pas en m'étalant par terre sur la glace.

Les autres participants arrivent. Lucie et Rosalie sont en train de discuter, Hélios a chipé la casquette d'Hector, et Océane arrive derrière. Il me semble qu'elle fait de la danse, elle doit avoir un bon équilibre... Si je dois vraiment avoir une partenaire, ce sera elle. En plus, elle n'est pas bavarde, contrairement à Lucie et Rosalie.

- Bonjour à tous ! Lance Christophe. Aujourd'hui, le tournage commence pendant que vous mettez vos patins, puis se poursuit sur la glace. Je compte sur vous pour ne pas en faire trop.

Il lance un coup d'œil appuyé à l'adresse de Logan et d'Ambre.

- Bon, vous êtes prêts ? Un, deux, trois, action !

L'espace d'un instant, je me retrouve figé, pétrifié alors que je sens la caméra braquée sur moi. Un seul faux pas, un seul, et je fous tous mes espoirs en l'air. Je dois être parfait. Bouger, il faut que je bouge, vite. Vite !

Je commence à paniquer, la sueur perle sur mon front. Les autres commencent à me jeter des regards en coin. Soudain, j'intercepte un regard. Deux yeux bleus perçants qui en un éclair ont saisi toute la situation.

- Aller, Zéphyr, viens !

Rosalie me prend la main et m'entraîne vers les casiers où sont rangés les patins. Mes jambes se débloquent et je retrouve mes capacités de mouvements. Je suis les autres, prends une paire de patin à ma taille et m'assois sur le banc à côté de Rosalie. Je profite que la caméra ne soit pas sur moi pour lui murmurer rapidement :

- Merci.

- On en reparle plus tard. Répond-elle sur le même ton.

Zut... Maintenant je vais devoir réitérer mes remerciements et me farcir toute une conversation. Vivement que je sois sur la glace !

Je lace mes chaussures rapidement et me lève. La glace n'est qu'à un mètre, à peine, et les autres sont encore en train de mettre leurs patins. Je jette un œil vers Christophe, qui hoche imperceptiblement la tête.

Je me lance alors sur la glace, heureux de pouvoir enfin filer comme le vent qui m'a donné son nom. Je devrais m'inspirer de cette sensation grisante de vitesse et de rapidité pour écrire une poésie, ça commencerait par : Deux patins sur la glace étincelante, dansent et filent sur le miroir à la surface glissante...

- Hé, attends-nous Zéphyr ! Me lance Hélios depuis le banc. Depuis quand tu sais si bien patiner ?

Je m'autorise un sourire, le premier de cette émission, avant de répliquer :

- Deux patins sur la glace étincelante,

Dansent et filent sur le miroir à la surface glissante,

Nul ne peut les arrêter,

La liberté est leur alliée...

Puis j'effectue un tour sur moi-même avant de passer près du banc. Lucie se lève d'un pas malhabile et s'avance sur la glace en marchant et en se tenant précautionneusement à la rambarde de bois.

- Bon sang, Zéphyr ! Comment tu fais pour garder ton équilibre là dessus ? Maugrée t-elle en manquant de s'étaler par terre.

- Tu as déjà fait du roller ?

- Euh... Un peu ?

- Et bien, c'est comme du roller, mais sur la glace. Donc arrête de marcher, tu vas juste finir par terre.

- Ok...

Je suis distrait par Rosalie qui passe près de moi à une bonne allure.

- T'es pas le seul à savoir patiner, tu sais ? Rattrape-moi si tu peux !

- Je n'ai pas envie de faire la course. En plus ça risque de mal se terminer pour toi.

- Tu dis ça parce que t'as la frousse ! Avoue !

Son stratagème est tout bonnement ridicule, personne n'est capable de tomber dans le panneau. Je l'ignore et me retourne donc pour patiner un peu plus tranquillement. Hélios et Hector nous rejoignent sur la glace. Ce dernier manque de tomber et se raccroche à son frère, le faisant tomber avec lui. Ils se relèvent, le sourire aux lèvres, en levant le pouce pour montrer que tout va bien.

Logan s'élance sur la glace. Il a l'air plutôt à l'aise, ce qui ne me surprend pas trop. Il décrit un cercle et revient vers Ambre. Il lui tend la main, elle la saisit, et ils patinent un peu côte à côte. Océane se lance enfin, et comme je l'avais escompté, elle possède un bon sens de l'équilibre.

- Et si on faisait un loup glacé ? Propose Logan.

- Haha ! Tu te crois drôle ? Rétorque Rosalie.

- Je ne me crois pas drôle, je suis drôle, nuance !

- Moi, je suis partante ! Intervient Lucie. Mais je ne suis pas sûre de savoir assez bien patiner...

- T'inquiètes ! Répond Hélios en s'approchant d'elle. Si c'est un loup glacé, on peut se libérer les uns les autres !

- Sinon, tout le monde est d'accord ? Reprend Logan. Bon, alors je suis le loup ! Vous avez cinq secondes avant que je ne commence ! Cinq ! Quatre ! Trois ! Deux ! Un ! C'est parti !

Je me mets en retrait dans un coin et l'observe toucher successivement Hector et Ambre. Cette dernière fait mine d'être indignée, mais je sais bien que c'est pour la caméra. Je me demande même si elle ne fait pas semblant de ne pas bien savoir patiner, mais je ne pense pas qu'elle irait jusque là. Après, je ne la connais pas très bien.

Logan pourchasse ensuite Océane, qui lui échappe, puis se concentre sur Hélios. Il le touche et touche aussi Lucie, puis Océane qui tentait de la libérer. On n'est plus que deux. Il faudrait en ramener quelques uns, mais Logan nous observe, moi et Rosalie. Il est malin, il a figé tout le monde dans la même zone. Mais s'il veut toucher l'un de nous deux, ça laissera une ouverture à l'autre.

On reste donc ainsi un long moment. Moi et Rosalie en train de décrire des tours loin de lui, Logan en train d'attendre et de repasser devant les prisonniers.

- Dites, on peut changer de position ? Ça fait mal aux bras ! Demande Lucie.

- Oui, répond Logan en tournant la tête vers elle. Mais tu ne te déplaces pas.

Rosalie profite de son manque d'attention pour se précipiter vers Hélios, proche d'elle, mais Logan la remarque et fonce vers elle. Elle effectue un virage dangereusement serré et se rue dans ma direction, Logan à ses trousses. Je me prépare à aller libérer les prisonniers quand je remarque son patin se prendre dans son lacet à-demi défait. Elle commence à perdre l'équilibre et j'anticipe déjà la chute.

Mu par mon instinct, je me précipite vers elle pour la rattraper. Malheureusement, elle m'entraîne dans son élan et nous nous étalons sur la glace !

Ma première pensée est que j'ai mal au dos. La deuxième est que je tiens Rosalie dans mes bras et qu'elle est allongée sur moi. La troisième est que nos visages sont assez proches. Elle est toute rouge et je devine que moi aussi. Je déteste les contacts physiques, mais celui-là est... Assez agréable, je dois l'admettre, si on exclue que j'ai mal au dos.

Je sens Logan me toucher le bras et je devine qu'il a fait pareil avec Rosalie.

- Touchés, vous ne pouvez plus bouger !

Le souffle de Rosalie est précipité, le bout de sa frange me chatouille le front. J'ai envie de la repousser, mais ça voudrait dire bouger le bras et je suis plutôt bien là.

- On fait quoi ? Je demande d'une voix étonnamment rauque.

Les yeux de Rosalie brillent comme des saphirs lorsqu'elle répond :

- Ceci.

Elle m'embrasse sur les lèvres rapidement et je sens mon pouls s'accélérer, mes joues s'enflammer et une sensation de chaleur se répandre dans tout mon corps. Ça n'a duré que quelques secondes, mais ça aurait pu aussi durer toute une vie. Trop vite, hélas, Rosalie se relève, me privant de sa chaleur, avant de s'enfuir sans un mot.

- Coupé ! Annonce Christophe. Pour commencer, bravo à tous, surtout à toi, Zéphyr. C'était très bien la scène avec Rosalie.

Je hoche bêtement la tête, trop sonné pour réagir.

- Est-ce que quelqu'un peut aller chercher Rosalie ? Poursuit le metteur en scène.

- J'y vais ! Intervient Lucie.

Logan s'approche de moi et m'aide à me relever.

- Merci... je murmure.

Tout le monde me fixe avec curiosité. Je déteste ça... Nous attendons en silence que les filles reviennent. Au bout d'un moment, Lucie réapparaît. Seule.

- Désolée, elle ne se sent pas bien et a besoin d'être tranquille.

Elle avale péniblement sa salive et me jette un regard en coin. Je devine que Rosalie a spécifié qu'elle ne voulait pas me voir, ce qui me peine un peu. Christophe soupire :

- Dis-lui de venir samedi prochain à quatorze heures trente au club de parachutisme.

- On va faire du parachute ?! S'exclame Ambre avec effroi.

- Trop bien !! réplique Logan.

Lucie s'en va porter le message et je réfléchis un instant. Du parachute ? L'épisode suivant doit être consacré à Rosalie, vu que c'est un de ses loisirs.

- Je pense que je vous ai tout dit... On se revoit dans la semaine, du coup. Et ne stressez pas trop, pour le parachute, tout se passera bien.

- Stresser ? J'ai trop hâte, oui ! S'exclame Logan.

- Bon, vous pouvez y aller, on se revoit samedi.

Je vais enlever mes patins, récupère mes sandale et sors. Un peu ébloui par le soleil, je manque de ne pas remarquer la jeune fille qui court vers la Sirime. Rosalie ! Je suis tenté de la poursuivre pour savoir ce qu'il s'est passé, mais le temps que je me décide, elle a disparu au coin de la rue.

Quelle journée étrange ! Il y a un parfum de rose dans l'air et le soleil brille de mille feux. Oui, quelle journée étrange...