CHAPITRE 4, Londres & Barcelone
9 mois plus tôt
bernd leno
Tes deux coéquipiers préférés sont gays, t'aurais quand même pu signer mon salaud !
Sms envoyé. Ding retentissant quelques secondes plus tard en réponse. Manuel n'était donc pas encore à l'entrainement.
De quoi tu me parles encore Leno ?
Et vous êtes des épines dans mon pied, pas mes coéquipiers préférés.
De ça et de l'absence de signature de ta part Neuer. C'est pourtant bien toi le capitaine de l'équipe nationale et du Bayern Munich, non ?
Photo de l'article envoyée. Depuis deux heures, il le parcourait. Sans cesse, dans tous les sens. Mots qui réchauffaient son cœur. Mots qui l'encourageaient. Vague d'amour envoyée par des coéquipiers qui ignoraient à qui elle était destinée. Jonas. Christoph. Mathias. Max. Joueurs un jour croisés en équipe nationale. Amis parfois. Mais ils ne savaient pas. À quelques rares exceptions, tous ne savaient pas.
Je savais pas. Le club a pas fait redescendre. Mais tu sais que j'aurais signé.
Soupir. Il savait. Mais cela ne l'empêchait pas d'être énervé. Parce que certains des plus gros n'avaient pas signés. Parce que son ancien club n'avait pas signé.
Tu m'en veux quand même pas pour ça ?
Non, j'en veux au plus gros club d'Allemagne de penser qu'ils sont pas concernés par le sujet.
Joueurs même pas alertés. Comment avaient-ils osé ? Ou peut-être qu'ils n'avaient juste pas voulu signer.
Impossible. Leon aurait signé. C'était sûr que s'il avait eu vent de cette action Leon aurait signé. Ou peut-être était-il en train de se convaincre qu'il aurait signé. Non, c'était Leon, et Bernd n'avait pas besoin de sa signature pour imaginer son point de vue sur le sujet.
Huit cents avaient signé. Huit cents étaient prêts à l'accepter. Huit cents étaient prêts à le protéger du monde entier.
Messages de clubs. Messages de joueurs. Tous dans un même sens. Et tout d'un coup, Bernd se sentait prêt. Il se sentait prêt à tout envoyer voler. Mais il attendrait avant de se lancer. C'était le genre de chose dont il devait d'abord discuter avec Marc-Andre.
Minutes qui avancent. Départ pour le centre d'entrainement prochain. Chaine sur laquelle se retrouve accrochée son alliance. Il décolle le magazine à la main. Le lire. Terminer la lecture des différents articles juste survolés. Graver chaque nom de ceux qui le soutenaient. Découvrir les huit cents joueurs sur qui il pourrait compter.
bukayo saka
Prier. Prier. Prier. Jour. Nuit. Prier. Pour que ça disparaisse. Pour que ça s'arrête. Pour être comme les autres. Retour manquant. Dieu absent. Vœux non exaucés. Prières silencieuses non reçues peut-être.
Gorge nouée. Regard fuyant. Larmes contenues avec grande difficulté. Il ne pouvait pas. Il ne pourrait pas. Ils ne l'accepteraient pas. Parents qui détestaient ces gens-là. Les gens comme lui. Choc au corps. Coup de couteau en plein cœur. Il le savait déjà. Avant.
Alors il ne lui reste plus que ça. Mains jointes. Murmures silencieux adressés à son Dieu. Pour espérait que plus tard tout aille mieux.
Il déglutit. Regard qui parcourt ses coéquipiers. Ils n'avaient pas l'air de se douter. Mais ça se voyait. Certitude que ça se voyait. Sur son visage. Sur son corps. À ses gestes.
— Qu'est-ce que tu lis encore ?
Voix amusée. Sursaut léger. Tête retournée. Bernd à qui on s'adressait était confortablement installé dans son canapé.
— Un magazine.
— Et ça parle de quoi, t'as l'air passionné par le sujet ?
Ouvrage ouvert envoyé sur la table.
— Du soutien qu'aura le premier joueur qui fera son coming-out au pays.
Mâchoire qui manque de se décrocher. Curiosité piquée. Première fois que quelqu'un semblait aborder le sujet. Et ce n'était pas pour rigoler ou se moquer.
— Je comprends pas l'allemand tu sais.
Rire qui résonne en réponse à la remarque du capitaine intéressé. Regard bleuté levé au ciel. Visages intrigués de plusieurs autres coéquipiers qui venaient d'arriver.
— Un journal a lancé une campagne Ihr könnt auf uns zählen. Ça veut dire, vous pouvez compter sur nous. En gros, si un joueur veut faire son coming-out, y a huit cents joueurs et dirigeants de clubs qui ont signé en disant qu'en leur nom propre ou en tant que club, ils soutiendraient cette personne.
— C'est beaucoup huit cents.
Huit cents. C'était beaucoup. Vraiment beaucoup. Comme plus que tous les joueurs de Premier League réunis. C'était énorme huit cents.
— C'est normal huit cents en vrai. Ça devrait même pas être une question qui a l'intérêt d'être posée. Tu préfères jouer avec un gay ou un mec incapable d'accepter un de tes coéquipiers ? Soit t'es homophobe, soit tu signes pour dire que tu t'en moques.
— Eh voilà, Martin aurait signé !
Rires qui éclatent. Cœur qui se desserre. Peut-être qu'ici il serait accepté. Peut-être qu'ici aussi ils étaient huit cents prêts à le soutenir. Visages détaillés. Il tentait de trouver ceux qui auraient pu signer. Ceux qui ne paraissaient pas gênés par le sujet. Encore une fois, il a l'impression d'être épié. Avec ce sujet sur le tapis, peut-être que d'ici quelques minutes ils auraient tous compris.
— Mais ce serait pas bizarre... Je sais pas...
Cœur qui sombre. Corps qui se recroqueville. Envie de disparaitre. De partir et de ne plus jamais revenir.
— Eh voilà on est reparti pour le ridicule débat des douches.
Ironie dans la voix de l'allemand. Agressivité semi présente.
— Tu sais, si tu crois qu'un joueur va te sauter dessus dans la douche parce qu'il est gay, t'as plus de questions à te poser sur ton comportement et le comportement des mecs en général qu'autre chose. Parce que jusqu'à preuve du contraire, quand je vois une fille mignonne en maillot de bain sur la plage, je lui saute pas dessus. Bizarrement, chez les féminines, y a pas ce souci-là. Mais je me plante peut-être et y a peut-être pas de lien de cause à effet. Tu sautes sur toutes les filles que tu croises à la plage Ben ?
— Et puis, s'il y avait un gay ou un bi dans l'équipe, de tous, pas sûr que c'est sur toi qu'il sauterait en premier.
Éclats de rire généralisés. Regards entendus entre allemand et norvégien. Prunelles sombres posées sur les deux coéquipiers. Gorge en train de doucement se dénouer.
Ding. Portable récupéré. Sms éclairant l'écran. Un lien. Et puis un court message.
Même si c'est pas ton pays, tes coéquipiers ou amis, parfois des mots, ça peut faire du bien.
Pupilles bleutées relevées et croisées. Iris plantés dans les siens. Une seconde. Deux secondes. Trois secondes. Petit sourire désolé qui lui était adressé. Joues qui se mettent à le brûler. Bernd savait. Et Bukayo ne savait pas s'il devait être terrifié à cette idée ou soulagé d'avoir quelqu'un avec qui en parler.
Alors ce soir, une nouvelle fois, il prierait. Prierait pour que l'allemand soit vraiment le gardien de son secret. Prierait qu'il ne fasse pas exploser sa vie privée. Prierait pour que tout s'arrête et qu'il puisse enfin vivre en paix.
pablo gavira dit gavi
— Heya hermanito ! Comment tu vas ?
Voix enjouée qui résonne dans le combiné. Sourire qui se peint sur le visage de Pablo.
— Ça va très bien et toi ? Je vais jouer demain je crois !
— Trop bien ça !!
Doigts jouant avec un bracelet en tissu. Porte-bonheur offert par sa sœur. Il ne le quittait pas, jamais. Avant chaque match, il prenait un morceau de strap et le recouvrait. Comme ça, il avait l'impression qu'elle était toujours à ses côtés.
— Tu viendras me voir en Angleterre ? Je peux t'avoir des billets.
Rire éclatant dans le combiné.
— Tu sais très bien que je prends pas l'avion.
Soupir. Il savait. Il espérait juste que pour une fois elle ait oublié. Oublié ses principes et les idées pour lesquelles elle se battait. Espérait que dans le combat de sa jumelle, il pouvait être une exception. Mais s'il l'aimait tant, c'était aussi pour toutes ses convictions.
— Mais...
Déception. Match si important pour lui. Et comme à chaque fois il aurait aimé le partager avec la personne la plus importante dans sa vie.
— J'irai voir tous tes matchs à Barcelone Pablo, c'est promis. Et tous ceux auxquels je peux aller facilement en train depuis la maison. Mais me demande pas ça.
Gorge nouée. C'était un gros match. Un de ceux qui comptaient. Un de ceux qui le stressaient. Et normalement dans ces cas-là Lucia était là. Pour le dérider. Pour le décontracter. Pour l'aider.
Silence qui se fait qu'il n'arrive pas à briser. Doute et peur qui s'installent déjà. Parce qu'il n'était pas certain de pouvoir réussir sans Lucia.
— Ça va aller Pablo. Prends-le comme un entrainement, je pourrai pas toujours être là tu sais.
Mots immédiatement détestés. Sa place serait toujours à ses côtés comme l'inverse était tout aussi vrai. Il était là à sa première évaluation de trompette. Il était là à son premier concert. Il était là la première fois qu'elle avait joué avec son orchestre. Il était là pour son premier solo.
Sanglots retenus avec difficulté. Pour ne pas l'inquiéter. Pour ne pas la forcer à un choix qui aurait des conséquences qu'elle vivrait comme un poids.
— Est-ce que tu pourras au moins venir me voir avant ?
Peau autour des ongles un peu arrachée. Doigts se tordant autour du bracelet. Prunelles se peuplant d'eau salée. Pourvu qu'elle n'ait rien d'autre de prévu.
— Bien sûr hermanito.
j'espère que ça vous plait toujours.
courte présentation des nouveaux persos présents (dans l'ordre d'apparition) :
❝ Manuel Neuer, Allemagne (capitaine) ; Bayern Munich (capitaine), Schalke FC ; 36 ans, gardien de but ❞
❝ Martin Ødegaard, Norvège (capitaine) ; Arsenal FC (capitaine), Real Sociedad, Real Madrid ; 23 ans, milieu de terrain. ❞
❝ Ben White, Angleterre ; Arsenal FC, Brighton ; 25 ans, défenseur ❞
L'initiative dont leno parle est basée sur des faits réels. C'est une action qui a été mis en place en 2021 par un magazine allemand : 11Freunde (dont l'image de couv est également issue de leur édition anti-coupe du monde au qatar) sur une de ses éditions (avec 7 couvertures pour l'occasion) et elle avait été fortement plébiscitée et suivie par les clubs allemands professionnels puis par bcp de clubs de supporters, des clubs amateurs et des suiveurs de foot en général (notamment sur twitter). Dans certains cas c'était les clubs qui signaient, d'autres fois les capitaines, parfois les joueurs qui le désiraient, ou bien les conseils de joueurs au nom d'eux et de leurs coéquipiers. Il y avait plusieurs clubs qui ne s'étaient pas positionnés et pour lesquels aucun joueur n'avait signé. Une signature avait été particulièrement « marquante » c'était celle de Peter Gulasci, gardien de Leipzig et capitaine de la Hongrie, qui avait signé tandis que Orban votait des lois anti-LGTB en parallèle. En parallèle de simples signataires, certains joueurs et clubs s'étaient exprimés sur le sujet, j'ai mis le lien de l'article avec les différentes citations en lien externe (je crois qu'on les trouve sur la version web en bas de page), c'est en allemand mais les traductions sont pas trop mal normalement.
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