Chapitre 4

  Monsieur Haccews m'ouvrit la porte qui menait à son bureau et me laissa y entrer avant d'y entrer à son tour. Sans vraiment le savoir pourquoi, j'étais nerveuse. Il me rendait nerveuse. Il m'enjoignit à m'asseoir sur le fauteuil en face de son bureau, puis s'assit en face de moi. J'avais les jambes croisées et triturais mes doigts ensembles. Je ne savais pas pourquoi j'étais stressée à ce point puisque je ne voyais pas quelque chose dont il pourrait m'accabler. J'attendais donc patiemment, lorsque je sentis un regard sur moi. Je levai les yeux et vis monsieur Haccews me dévisager. Cet homme avait définitivement un problème. On aurait dit qu'il attendait que je fasse quelque chose, n'importe quoi, comme cligner des yeux. Je clignai des yeux. Aucune réaction. Il continuait de me fixer, imperturbable. Je jouai alors au même jeu que lui et le dévisageai.

  Jeremiah Haccews était beau. Il avait des cheveux noirs jais. Certaines mèches lui tombaient sur le visage et on avait envie de les relever soi-même. Mais je ne me voyais pas remettre en place les mèches de cheveux de mon patron, aussi beau soit-il. Sa mâchoire était tout ce qu'il y avait de plus masculin : carrée et virile. Il avait un nez droit et des pommettes hautes. Sa bouche était tentante. Vous savez, bien charnue, juste comme il le faut. Mais ce qui était le plus grand atout de monsieur Haccews était ses yeux d'un bleu perçant. Ils étaient envoutants.

  Terriblement envoutants et surplombés de longs cils sombres.

  Il souriait victorieusement. Etait-ce parce que je l'avais dévisagé de la même façon dont il le faisait ? Si oui, je trouve cela assez primitif pour lui d'en être content. Je pense qu'il devrait y être habitué. Je suis sure que monsieur Haccews sait qu'il est beau. Mais il reste mon patron.

- Je n'aime pas la façon dont vous me regardez monsieur Haccews, dis-je.

  Je voulais juste mettre les choses au clair. C'est mon patron et je trouvais cela inconvenant qu'il me regarde de la sorte. Il plissa légèrement ses yeux et me sourit malicieusement.

- Et comment je vous regarde, Eve ?

  Il avait une façon de prononcer mon prénom qui faisait qu'il avait l'air plus long. Cela me fit frissonner intérieurement. Etait-ce lui qui utilisait une voix sensuelle ou bien moi qui l'imaginait ainsi ?

- Je pense que vous le savez, répondis-je.

  Il y eut un instant de silence que je brisai bientôt.

- J'aimerais par ailleurs m'excuser de ma maladresse d'il y a deux jours.

- Votre maladresse ?

- Oui, celle de ne pas vous avoir reconnu en tant que patron, ou plutôt de vous avoir pris pour quelqu'un d'autre, dis-je m'entremêlant.

- Pour tout vous avouer, j'aurais préféré que vous me preniez encore pour l'un de vos collègues, dit-il en posant ses coudes sur le bureau qui nous séparaient.

  Instinctivement, je me reculai sur ma chaise ce qui le fit sourire. J'étais confuse.

- J'avoue ne pas comprendre, monsieur.

- D'abord j'aurai préféré que vous m'appeliez par mon prénom, pas de ce « monsieur » qui me vieillit horriblement. J'aimerais que vous n'ayez pas cette attitude si professionnelle envers moi juste parce que je suis votre patron, dit-il d'une voix frustrée.

  Je ne comprenais pas son agacement. Que voulait-il exactement ? Que je lui parle comme à un collègue. Mais je ne pouvais pas. C'était inconvenable. C'était mon patron. Et je n'appellerai pas mon patron par son prénom.

- Monsieur Haccews, vous êtes mon patron... commençais-je.

- Je ne le sais que trop bien, coupa-t-il.

- Et je ne vais pas me permettre, dès mon premier jour, des familiarités avec vous. Je ne vous connais pas, ni vous ni aucun de mes potentiels collègues. Alors je ne vais surtout pas me conduire avec vous comme avec les autres. Ce n'est pas convenable, annonçai-je d'un ton sans appel.

  Je regardai le visage de mon patron devenir exsangue, puis en colère. Je ne savais pas vraiment pourquoi. J'étais polie et je ne lui avais pas manqué de respect. Je voulais juste avoir de bonnes relations professionnelles avec lui. Je ne sais pas vraiment ce que j'ai fait pour lui déplaire. Et il fallait aussi se l'avouer. Si je voulais tant que monsieur Haccews et moi ayons une relation strictement professionnelle, c'était aussi pour me protéger. Je veux dire, si lui et moi avons une relation amicale, je pourrais facilement tomber amoureuse de lui. Il était tout à fait mon genre – et le genre de toutes les femmes, je pense. Il m'a l'air poli, un peu autoritaire mais tout à fait charmant. Et si j'entretenais avec lui une relation amicale, je m'imaginerai sans soucis en couple avec lui. Ce qui pourrait poser problème puisque une femme comme moi ne pourra jamais espérer être avec lui. Je préfère alors n'avoir aucune relation qu'une relation qui me ferait souffrir. Je pense que je tombe déjà assez pour me faire mal moralement.

- Mademoiselle Brastoli ?

  Je relevai la tête vers mon patron qui m'avait appelé sèchement.

- Oui, monsieur ?

- Je vous avais demandé de partir.

- Oh...

  Je me levai et vit son visage fermé. Etait ma réponse qui le mettait dans un état pareil ? Monsieur Haccews était peut être le genre de personne qui voulait être aimé de tout le monde ? Je compatissais avec ce genre de personne. Je fis un petit sourire à mon chef qui me regardait, impassible.

- Monsieur, si je vous ai offensé, j'en suis désolée, m'excusai-je.

  Oui, je ne voulais pas une mauvaise relation patron-employé. Je voulais que tout soit bien et harmonieux. Et professionnel. Monsieur Haccews, souffla dédaigneusement et j'appréhendais sa réponse. Il croisa les bras en position d'autorité.

- M'offenser, vous ? Dois-je vous rappeler que vous n'êtes qu'une employée. Et même pas une employée, une simple stagiaire !

  Je le regardai suite à ses mots rudes. Bon, eh bien, il ne l'a pas si bien pris, je suppose. J'haussai un sourcil et dit calmement.

- Je connais très bien ma place dans cette société, monsieur et je m'en vais maintenant rejoindre Barbara.

  Il ne me répondit pas et replongea dans ses papiers. Monsieur Haccews pouvait se montrer vraiment brut, parfois. Je suppose qu'il pense tout se permettre étant beau, jeune, riche et patron d'une grande société. Mais cela n'empêchait pas les bonnes manières, je pense.

Je quittai le bureau et partit rejoindre celui de Barbara.

  Le reste de la matinée, se passa doucement. Barbara était vraiment pédagogue et j'apprenais plus avec elle qu'avec mon école. Elle était d'une agréable compagnie. Mais très bavarde. J'appris qu'elle était fiancée à une certain Jibril et qu'elle était impatiente de se marier. C'est elle qui me rappela qu'il était l'heure de manger.

  La cafétéria se trouvait au rez-de-chaussée de l'immeuble et était elle aussi dans les tons bleu et blanc. Lumineuse et accueillante, c'était un charmant lieu. Les tables étaient rondes et faites de plastique gris clair. Elles étaient placées aléatoirement dans la salle ce qui restait harmonieux. Après avoir acheté mon repas, je rejoignis Barbara qui était assise à une table avec les jumeaux Javier et Ambrosio, Cassandre, Electre et Raphael ainsi qu'un autre inconnu. Je m'assis à leur table, heureuse de connaitre certaines personnes, même si la seule place était entre les jumeaux. Ils me sourirent lorsque je m'assis et je grimaçai.

- Je suis tellement inspirée pour la nouvelle collection, dit soudainement Electre.

- Nous sommes heureux pour toi, chérie, sourit faussement Barbara.

- « Renaissance de l'indigo », ce nom est fantastique, merci encore Eve, dit-elle.

Je lui souris simplement et me reconcentrai sur mon repas.

- « Merci Eve » ? Repris Cassandre, ne comprenant pas la situation.

  Tandis qu'Electre expliquait à la belle Noire quel « miracle » j'avais fait, les jumeaux et moi discutions.

- Quand est ton anniversaire, Eve ?

  Ambrosio avait cette façon de prononcer mon prénom qui était exotique.

- Le 19 mars, répondis-je.

- Oh, tu es poisson, dit Javier. Je suis gémeaux et nous sommes compatibles, ajouta-t-il, en faisant un sourire moqueur à son frère.

- Elle est aussi compatible avec moi aussi, dit Ambrosio. Je suis ton jumeau, idiot !

- Poisson... dit pensivement Javier, ignorant son frère. Le Poisson est quelqu'un de loyal, de désintéressé et il très généreux. Très compréhensif, son caractère le pousse souvent à venir en aide aux autres. Il n'aime pas l'agressivité. Une des qualités du Poisson est qu'il peut s'adapter à toutes les situations et aux gens. Il n'extériorise pas facilement non plus ses sentiments. Il est timide et orgueilleux. C'est aussi un pessimiste et a tendance à se laisser aller à la tristesse, à la mélancolie. Le plus grand défaut du Poisson est qu'il manque de confiance en lui. Le Poisson est un excellent et fidèle collaborateur, au travail. Sur le plan sentimental, le Poisson est quelqu'un de rêveur, qui rêve d'un être idéal et dès qu'il le rencontre, il s'empresse de l'épouser. Il idéalise son partenaire et quand la réalité se dévoile, il est désarmé. Il lui faut donc quelqu'un qui a bien la tête sur les épaules pour le protéger, le sécuriser et donc l'éloigner de la routine de la vie quotidienne.

  Venait-il vraiment de me réciter une page de l'horoscope ? Javier connaissait les caractères associés au signe astrologique des gens ? Le pire était que je trouvais que cela me correspondait vraiment. Mais je n'aimais pas le fait qu'il est dit tout cela devant toute la tablée. Mais Cassandre me sourit gentiment.

- Il nous a tous récité ce genre de chose lorsque nous sommes arrivés, expliqua-t-elle.

- Je connais tout par cœur, frima Javier.

- D'ailleurs, pourrais-tu me redire le mien s'il te plait, demanda Barbara.

- Non, dit Javier en secouant la tète. Si tu le veux tellement, tu n'as qu'à aller sur le net.

  Barbara murmura un « stupide gars » qui me fit rire. Javier tapa dans ses mains.

- Mais je n'en ai pas fini avec toi Eve ! Tu vas maintenant savoir la signification de ton prénom...

- Euh, non, tu ne voudrais pas me le dire un autre jour ?

  Il me fixa longtemps avant de me faire un petit sourire.

- Je comprends. Les natifs Poisson sont plutôt introvertis.

- Et maladroits, ajouta Ambrosio.

- Hé ! M'exclamais-je.

Ils rirent tous les deux, tandis que je devenais rouge. Je voulus me lever de table. Mais je dus le faire trop brusquement, car mes genoux tapèrent durement contre la table ce qui fit se renverser la cruche à demie pleine. Je retombai sur ma chaise pendant que les jumeaux explosèrent de rire. J'étais vraiment et affreusement frustrée. Plusieurs personnes s'étaient retournées et riaient maintenant. Comme toute les personnes à ma table. Sauf l'inconnu qui lui avait seulement un sourire mignon accroché à sa face. Lorsque nos yeux se rencontrèrent, je lui souris et il me le rendit. Il se pencha légèrement vers moi et je pus sentir son odeur musquée.

- Je suis Ansel.

Je le regardais fixement. A vrai dire je me retenais de rire. Ansel comme Ansel et Gretel ?

- Et pas Ansel dans Ansel et Gretel, ajouta-t-il rapidement et je dus faire un effort surhumain pour me ressaisir.

- Oh, je n'y avais même pas pensé, dis-je.

- Menteuse, tout le monde y pense, dit-il en me souriant, moqueur.

- Bon ok, je levai les mains en signe de rémission tout en continuant à sourire.

- Eve c'est ça ?

- Exact, je suis la petite stagiaire, et toi ?

- L'informaticien d'Indigo, dit-il en gonflant le torse.

- Je suis impressionnée.

- Tout le monde l'est, frima-t-il.

Je levai les yeux au ciel. A ce moment-là, la porte s'ouvrit et je ne vis nul autre que monsieur Haccews entrer. A son entrée, le volume sonore diminua comme s'il exerçait une forme de pression sur ses employés. Il avait à son bras une jolie brune aux jambes interminables qui s'appuyait contre lui en riant stupidement.

- Je paris que c'est Rachel, dit Electre.

Elle était de dos à la porte et donc ne voyait pas l'inconnue au bras de notre patron.

- Oui, s'exclama Cassandre, comment as-tu deviné ?

- Je reconnais son rire de hyène, sourit malicieusement Electre.

- Qui est Rachel, tentai-je.

Etait-elle de la société ? Si oui, je me dois d'aller la saluer en tant que stagiaire, pour qu'elle sache mon existence. Barbara fixa encore le couple qui vannait d'entrer avant de se tourner vers moi.

- Rachel est juste un mannequin des plus renommés du pays qui collabore souvent avec nous pour poser. Faire son job, quoi.

- Oh, acquiesçai-je, et donc c'est sa petite amie ?

Je vous vois venir. Non, je n'ai pas de vues sur monsieur Haccews, c'est mon patron. Mais être au courant de certaines choses pouvait vous en apprendre plus sur la personne. Et je me dois de l'avouer, mon patron m'intriguait. J'aimerais savoir quel genre de passé peut avoir un homme qui, à peine sa majorité eue, est un grand businessman.

Barbara, Cassandre et Electre pouffèrent de rire, tandis que les jumeaux me regardèrent, un sourire dans les yeux. Avais-je donc l'air si coupable ?

- Ma chérie, tu es si innocente parfois, sourit Barbara. Jeremiah Haccews n'a pas de petite amie. Jeremiah Haccews n'a que des conquêtes.

Et comme s'il sentait que l'on parlait de lui, monsieur Haccews se tourna vers notre tablée, verrouilla son regard au mien, qui se remplissait de dégoût, et me fit un sourire des plus resplendissants.







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TatianaNg

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