Chapitre 31
J'avais toujours été une fille qui savait ce qu'elle voulait faire de sa vie.
Très jeune, j'ai toujours voulu commander, diriger, mener. C'était une vocation. J'étais faite pour travailler. Et même si j'avais toujours été l'insignifiante Eve, d'un prénom de trois lettres, qui était l'oubliée du milieu, j'étais persévérante et perfectionniste. Peut-être du fait d'avoir été la « gentille » Eve m'a poussé à vouloir me démarquer de mes frères et sœurs. J'avais envie de m'accomplir, de briller. Si j'avais eu une belle voix, j'aurais surement tenté une carrière musicale. Si j'avais été aussi belle que Chloé, j'aurais fait du mannequinat. Mais je n'étais rien de tout cela. Ni douée en art, ni une virtuose, ni une tête en mathématiques. J'étais juste moi, Eve.
Alors dès le collège, j'avais tout mis en œuvre pour briller dans quelque chose. Je travaillais à en mourir pour être la meilleure. Je n'acceptais pas la défaite. Je ne pouvais pas. Cela me décréditerait. Quand je suis sortie avec Liam, mon premier amour, au lycée, c'était magique. Mais je l'avais quitté, parce que je ne pouvais m'attacher à quelqu'un alors que j'avais toute la vie devant moi. Le même schéma se reproduisit avec Xavier, cet étudiant plus âgé que moi. Et encore avec Valentin, ce bel homme aux allures de mannequin africain. Je m'étais attachée à tellement de personnes que j'avais quittées, laissées pour mon aspiration à la renommée. Cela pouvait paraitre égoïste mis, je portais ce poids avec fierté. J'avais toujours su traverser ces épreuves la tête haute.
Mais rien n'était pareil avec Jeremiah. Je n'avais jamais été aussi amoureuse d'une personne comme je l'aimais, lui. Je le voyais à mes côtés toujours, me tenant la main, s'agenouillant face à moi, embrasser nos enfants et d'autres choses totalement impossibles. La preuve en était là. Je m'apitoyai depuis deux jours, seule dans ce petit appartement. Je ne pleurais jamais pour personne. Mais je pleurais pour moi, pour nous. Mon corps n'était qu'une coquille vide, sans âme. J'avais cette abominable sensation de solitude. Et c'était de ma faute. J'avais abandonné Jeremiah pour mes aspirations professionnelles. Un autre problème. Je ne regrettais pas mes choix. En fait, je regrettais sa réaction. Il m'avait chassé de chez lui comme une malpropre, me traitant d'égoïste sans même essayé de me comprendre. Il m'avait rayé de sa vie. Moi, qui avais alors eu besoin de soutien, de son soutien, il m'avait répudié. Et c'était cela la vraie source de chagrin.
J'avais reçu un mail du président de la Simulcom Media Group, monsieur Harold McKinvey, m'annonçant fièrement mon recrutement, accompagné de toute l'administration, dans lequel il m'écrivait être heureux de me compter parmi ses employés. Le même jour, je recevais une lettre de mon école qui stipulait que j'avais obtenu mon diplôme avec mention internationale. La remise des diplômes avait été émouvante. Ma famille était venue en un samedi rayonnant, ainsi que mes amis. J'avais été heureuse toute la journée avant que je ne me rende compte qu'il manquait quelqu'un. Jeremiah Haccews.
J'y étais arrivé. J'avais réussi. Une page de ma vie se tournait. Et c'était à moi d'écrire la suite.
Une sonnerie résonna dans le salon. Mon téléphone. Depuis que j'avais abandonné ma vie sociale, c'était le seul moyen qui me reliait aux autres personnes. Je le pris et déverrouillai l'écran. Cassandre m'avait envoyé un message me disant que j'avais oublié quelques affaires à Indigo. Elle me urgeait de venir les récupérer.
Ainsi, une heure plus tard, je franchissais à nouveau les portes vitrées d'Indigo. Je n'avais pas envie d'y aller. Cela faisait trois bonnes semaines que je n'y étais pas retournée. J'entrai dans l'agence et pris l'ascenseur. Je priai pour ne pas rencontrer Jeremiah. Je ne savais pas comment je réagirai si j'avais à croiser à nouveau son chemin. Mais, curieusement, les couloirs étaient presque vides. Un peu intriguée, je poussai la porte qui menait au bureau que l'on m'avait attribué.
Dans un sursaut, je laissai tomber mon sac au sol sous les cris de mes camarades. A peine étais-je entrée dans mon bureau que les lumières s'étaient allumées. Une bonne trentaine de personnes avait hurlé d'une même voix, me faisant violemment sursauter. Je portai mes mains à ma bouche, époustouflée. Tous mes amis, collègues et même connaissances étaient présents dans mon ancien bureau. Une banderole jaune décorait le mur. Il y était marqué « Félicitations, Eve ! » dans un rouge flamboyant. Des confettis voletaient dans la pièce. Une table avait été mise. Il y trônait d'alléchants amuses-bouches et autres pâtisseries. Avant que je ne puisse me remettre de ma surprise quatre bras m'entourèrent, me faisant presque tomber à la renverse. Je reconnus l'odeur suave et exotique de Javier et Ambrosio. Ils me relâchèrent, rayonnants de joie, un sourire immense sur leurs visages bronzés. Je ne pus empêcher le sourire qui s'incurva sur mon visage.
- Oh, Mon Dieu, les gars, vous-
- Alors, alors, coupa Ambrosio, excité.
- Tu aimes ce qu'on a organisé, frima Javier.
- Eh, les gars, j'ai eu à l'idée, dit Cassandre en frappant les jumeaux sur le sommet de leur crâne.
Ils gémirent m'arrachant un rire. Cassandre me prit dans ses bras. Elle m'avait tellement manqué. Lorsqu'elle me relâcha, je vis Raphael et Ansel derrière elle.
- Tu ne pensais tout de même pas qu'on allait te laisser partir pour New-York sans fêter ton départ, sourit Raphael en baisant ma joue.
- J'ai hâte que tu partes, railla Ansel en passa une main dans ses cheveux.
Je les pris dans mes bras tous les deux. Je les aimais tant. Les larmes me montant aux yeux, je leur fis un sourire humide.
- Les gars, je vous adore, souris-je.
- Qui ne nous aime pas ? Rit Javier.
Nous rîmes.
- Vous allez tellement me manquer, soufflai-je.
- Les téléphones existent, sourit Cassandre.
- Un super gars nommé Alexander Graham Bell l'a inventé, ajouta Ansel.
- Et, grâce à ce bon Steve Jobs, on peut s'appeler en se voyant, enchérit Raphael.
Nous discutâmes encore quelques minutes puis je saluai encore quelques autres de mes collègues dont Barbara et Electre qui pleuraient à chaudes larmes. Barbara me présenta son fiancé, Jibril, un athlétique ambassadeur de l'Afrique de Sud à Paris et Electre son mari, Charles-André, un excentrique virtuose. Ils respiraient l'amour et la joie de vivre. Et, moi aussi, j'étais heureuse à cet instant.
Je goutais à quelques pâtisseries qu'ils avaient commandées. Tout était super. Ils avaient tout organisé pour que ce soit parfait. Tout ça pour moi. Une main se posa sur mon épaule. Je me retournai et vis le visage souriant de Javier. Son regard avait une étincelle compatissante.
- On l'a invité, mais il n'a pas donné de nouvelles.
Les jumeaux et Cassandre savaient pour Jeremiah et moi. Je lui souris, le ventre noué et caressa son visage. Je ne rêverais pas meilleurs amis que ceux que j'avais déjà.
L'apéro se prolongea jusqu'en début de soirée. J'étais assez fatiguée maintenant. Un verre de je ne sais quel liquide dans ma main droite, je déclarai avoir besoin d'air. D'un pas mal assuré je sortis du bureau et alla dans la cafétéria, là où il y avait les plus grandes baies vitrées. Soupirant, je m'approchai de l'un d'elles. J'appuyai ma tête contre la paume de ma main, rêveuse. La capitale était plongée dans une sombre clarté. Le soleil se couchait et ses minces rayons lumineux étaient cachés par les immeubles Haussmanniens typiquement parisiens. Je me perdais dans la contemplation de la nuit tombante. Je pris une gorgée de ma boisson un brin alcoolisée.
- Alors tout cela est bien réel.
Je m'étouffai. Cette voix. Ce ton. Je me retournai comme hypnotisée. Jeremiah Haccews était face à moi.
- Tu vas vraiment partir.
Il se tenait, à deux mètres de moi, dans un parfait costume gris anthracite griffé Armani. Un verre dans la main, un autre dans la poche. Le visage impassible. Les yeux bleus profonds et graves. Mon cœur secoua ma cage thoracique. Mes jambes manquèrent de perdre leur force et une sensation de tomber me prit. J'avais envie de le prendre dans mes bras. De sentir son odeur. De l'embrasser. J'allais en devenir malade.
Il avança doucement comme s'il voulait faire durer ce moment. Il m'avait tellement manqué. J'avais cette envie de me coucher et de me recroqueviller sur moi-même. Jamais je ne m'étais sentie aussi si peu sure de moi. Je baissai les yeux alors qu'il était maintenant à un mètre de moi. Je restai raide contrôlant tout mon corps pour ne pas faiblir. Je n'avais pas peur de Jeremiah. J'avais juste peur du pouvoir que ses mots et ses gestes avaient sur moi.
Sa voix grave sonna dans la pièce vide.
- Tu vas me laisser. Partir. Quitter Paris.
- Jeremiah, je-
Puis, il fit quelque chose qui me sidéra complètement. En un instant, il réduisit l'espace qui était encore entre nous. Son verre disparu, il m'encercla de ses bras. Ma tête enfoncée dans son torse, je restai immobile, ne sachant comment réagir. Je mourrais d'envie de le serrer à mon tour. A la place, je fermai les yeux et inspirai son odeur. Mentholée. Il resserra son étreinte et je lâchai un sanglot tant mon corps s'était langui de lui.
- Eve, je suis désolé, murmura-t-il.
- De... quoi ?
Pardon ? Jeremiah s'excusant était rare. Mais alors cette fois-ci, je ne parvenais pas à comprendre pourquoi. Il souffla et enfouit sa tête dans mon cou, inspirant largement.
- De ne pas t'avoir comprise. De ne pas t'avoir soutenue. Je m'en veux de t'avoir parlé comme ça. Tu m'es si importante et je...
Sa voix se coupa alors qui me mit face à lui. Ses yeux bleus, qui m'avaient toujours hypnotisé, respiraient la peine, et je sus que les miens la reflétaient aussi.
- C'est moi qui t'ai abandonné. Pas le contraire.
- Non, Jeremiah c'est moi, dis-je ne secouant la tête.
- Mais maintenant, je comprends. Après tout ce qu'on s'est dit j'aurai du comprendre tes choix. Je sais à quel point tu n'aimes pas montrer tes sentiments. J'aurai du être plus compréhensif. Au lieu de te chasser de chez moi.
- Je...
Il posa son doigt sur ma bouche, me coupant. Une chaleur malvenue se propagea dans mon corps à son toucher. Cela m'avait tellement manqué. Son toucher, ses lèvres, son corps.
- J'ai compris. Et même si tu penses que tu es et resteras l'insignifiante Eve, saches que tu es tout pour moi. Tu es mienne, Eve. Quoique que tu penses de toi, tu es une femme superbe. Et rien ne t'oblige à prouver ce que tu vaux. Et je sais que c'est un trait de ta personnalité. J'ai l'impression de te connaître encore mieux que moi-même.
Ses mots transpiraient la réflexion. Il ferma les yeux quelques instant et lors qu'il les rouvrit, je revis le regard craintif et en même temps sur de soi qu'il avait lors de notre pique-nique à la Tour Eiffel.
- Je... Je suis complètement et irrémédiablement amoureux de toi, Eve. Tu es belle, drôle parfois agaçante mais tu éveilles en moi des sentiments forts. Et j'ai été égoïste en te criant dessus. Tu as le droit d'avoir besoin de reconnaissance, de vouloir t'accomplir. Tu dois saisir ta chance. Je te suis totalement dévoué.
A mon tour, je le serrai dans mes bras, trouvant là, le réconfort dont j'ai toujours eu besoin. Il baisa ma tempe, tendrement et je lâchai un soupir d'aise et d'angoisse.
- Merci. Merci, Jeremiah. Je t'aime.
Son regard s'illumina d'une émotion qui me fit craquer. Les larmes coulaient sur mes joues, mais sa main toucha ma joue.
- Je t'aime, Eve.
Nous restâmes encore un instant, l'un dans les bras de l'autre, savourant notre dernière proximité. Je ne savais pas si nous allions garder contact, ou bien tenter se voir, mais cela ne m'importait peu. Je voulais savourer le moment.
- Alors c'est fini ?
- Oui, hochai-je la tête, plantant mes yeux dans les siens.
Etrangement, je me sentais apaisée. Jeremiah approuvait mes choix. C'était cela qui m'angoissait le plus. Mais maintenant que c'était réglé, mon esprit se calmait. Je fermai les yeux, bercée pas le souffle de Jeremiah sur le mien. Le soudain contact de sa main sur ma joue, me fit tressaillir.
- Alors, je t'en prie, laisse-moi faire ceci. Une dernière fois.
Et nos lèvres entrèrent en contact.
Instinctivement, je fermai les yeux. La chaleur qui me submergea bouleversa mon corps. Il me pressa contre lui sauvagement. C'était notre dernier. Je le sentais. Prise d'une soudaine peine immense, je laissai les larmes couler sur mon visage donnant un gout tristement salé à notre baiser. Mais cela n'arrêta rien. Au contraire. Jeremiah mit sa main sur la nuque et inclina ma tête pour approfondir le baiser. Les lèvres étaient douces, possessives, féroces. Je passai ma main dans ses cheveux les tirant parfois. Les larmes ne cessaient de couler. Je happai la lèvre extérieure. Nos langues étaient parfaitement synchronisées. Tout n'était que sensation. C'était fort. C'était le dernier.
Lorsque Jeremiah relâcha la pression qu'il effectuait sur ma bouche, je fermais les yeux. Je ne voulais pas qu'il voit les larmes tomber de mes yeux. Mais celles tombées précédemment étaient toujours là. Il appuya sa bouche sur l'une d'elle, que ma joue. Puis, tendrement, il posa sa bouche sur plusieurs parties de mon visage. J'ouvris les yeux, laissant couler d'autres larmes. Je plongeai mon regard dans le sien. Ses yeux bleus brillaient avec une folle intensité. Comme pour se donner contenance, il inspira et passa sa main sur ses yeux.
Puis il relâcha mon visage, s'éloigna un peu de moi. Un froid vient se place entre nous. Il tourna son visage douloureux vers moi et je lâchai un sanglot. Soupirant, il me mit à nouveau une de ses mains sur ma joue, essuyant les larmes.
- Au revoir, Eve.
Jamais je n'aurai pensé avoir une voix chevrotante avant qu'elle ne se fasse entendre.
- Au revoir, Jeremiah.
Puis le seul homme que j'ai jamais aimé, tourna les talons, et sans un regard en arrière, disparut.
FIN
***
Bonjour! Tout d'abord, désolée pour mon léger retard. J'ai une semaine de folie (bac blanc tout ça), alors écrire, ce chapitre a été un peu plus long que d'habitude. Surtout qu'il fallait mettre de l'émotion dans ce chapitre.
- Qu'en pensez-vous ?
Je vais poster un chapitre/annonce bientôt et je vous encourage alors à commenter dans ce chapitre tout vos idées, questions etc...
C'est tout pour aujourd'hui, j'attends avec impatience vos commentaires (si je n'ai pas pu répondre à tous les commentaires précédents, c'est parce que je voulais risquer de spoiler ce chapitre, héhé)
TatianaNg
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