Épilogue

— Deux ans plus tard... —


- Jo!

Le jeune homme se retourna à l'appel de son surnom.

- Combien de fois devrai-je te répéter de m'appeler par mon nom complet? s'agaça-t-il. C'est pas compliqué de dire Jonathan en entier quand même?

- Ça te fait encore trop penser à elle, c'est ça? demanda son ami qui l'avait rejoint entre-temps.

- Tout me fait penser à elle.

- Ça fait déjà deux ans, tu sais? Elle ne reviendra pas.

Jonathan soupira.

- Je sais, Erwan. Et c'est ça qui me tue.

Ils observèrent quelques instants l'eau couler sous le pont sur lequel ils étaient installés, silencieux.

- Tu m'as toujours dit qu'elle t'avait laissé une lettre en partant, mais pourquoi est-ce que tu ne me l'as jamais montrée? demanda soudain Erwan.

- Parce qu'elle ne t'était pas destinée, voilà tout.

- Je trouve ça vraiment lâche de sa part. De partir sans même te le dire en face.

- Tais-toi, tu ne sais rien.

Erwan se tut. Ils restèrent ainsi quelques minutes encore avant de décider qu'il était l'heure de rentrer.

- Du coup, tu viens à la fête samedi soir? demanda Erwan sur le chemin.

- Je sais pas...

- Allez, viens! Ça te changera les idées! insista son ami.

- OK, je viendrai peut-être...

- Yes! s'exclama Erwan qui interprétait sa réponse comme une totale affirmation.

Ils se quittèrent à l'angle de la rue et Jonathan rentra chez lui.

***

Jonathan laissa s'échapper un long soupir au moment de s'allonger sur son lit.

Elle lui manquait. Terriblement.
Ça faisait deux ans, pourtant.
C'est long, deux ans.
On a le temps de se remettre de nos blessures, en deux ans.
Et pourtant...
Et pourtant ses sentiments restaient les mêmes.

Pourquoi?
Était-ce parce qu'il n'avait rencontré aucune autre fille aussi géniale depuis?
Ou était-ce lui qui n'avait pas envie de tourner la page?
Ou était-ce tout simplement parce qu'il ne lui avait jamais dit « je t'aime » en face?

Jonathan secoua la tête.
Il y avait déjà réfléchi, à tout ça.
Il s'était même imaginé mille et unes retrouvailles différentes.
Rien ne sert de remuer le couteau dans la plaie. Il fallait avancer, maintenant; qu'il le veuille ou non.

Le jeune homme éteignit sa lampe de chevet et se laissa emporter dans les bras de Morphée.

***

Le samedi soir suivant, Jonathan accompagna son ami Erwan à la fameuse fête, comme prévu. Cette dernière était organisée par une amie d'Erwan et avait lieu chez elle, dans un appartement à Paris.

Après quelques danses et quelques verres d'alcool, Jonathan décida de sortir un peu prendre l'air.
- J'étouffe là-dedans, se justifia-t-il auprès des personnes qui lui lançaient des regards réprobateurs alors qu'il se dirigeait vers la sortie.


Une fois dehors, il se remit enfin à respirer. Ouf, ça faisait du bien...

Il déambula ainsi dans les rues de Paris, profitant de l'air frais nocturne, avant de se poser sur un banc.

Il ne savait pas depuis combien de temps il était là, lorsque du coin de l'œil il aperçut une chouette blanche perchée sur un lampadaire. Il n'en avait jamais vu de telle.
« Étrange », se dit-il, « Qu'est-ce qu'un oiseau sauvage comme celui-ci peut-il bien faire en ville? »

Puis il remarqua une silhouette au pied du lampadaire. C'était une femme. Elle était entièrement vêtue de noir.

Elle fixait la chouette des yeux, et la chouette la fixait. Comme si elles étaient plongées dans une sorte de transe, en train de communiquer par télépathie.

Soudain Jonathan remarqua un détail. Un détail qui changeait absolument tout.
De loin, on voyait une légère lueur violette s'échapper des iris de la fille.
Comme...

Comme Johanna.

Certes elle lui avait bien dit par lettre qu'elle s'appelait en réalité Séraphys, mais il n'arrivait pas à s'y faire. Pour lui, Johanna était Johanna, point.
D'ailleurs il ne savait même pas comment interpréter les deux lettres qu'elle avait laissées. C'était tellement invraisemblable qu'il avait du mal à y croire. Et pourtant il savait qu'elle ne mentirait pas. Pas dans une telle lettre, pas pour un tel aveu. Quel paradoxe.

Mais ce soir, ce soir il allait enfin pouvoir lui demander.
Lui demander pourquoi elle était partie, pourquoi l'avoir fait d'un coup sans prévenir, que s'était-il passé, ce qu'elle devenait, pourquoi ne pas avoir donné de nouvelles...
Pourquoi, pourquoi, pourquoi.

Cette nuit il aurait toutes les réponses à ses questions.
Car c'était elle, il en était sûr. Persuadé.
Ça devait être elle.

Il n'avait jamais su pourquoi un soir les yeux de Johanna avaient brillé d'une telle lueur mauve, mais c'était arrivé.
Et maintenant, la même chose se produisait sous ses yeux. Ça pouvait être quelqu'un d'autre, mais il doutait qu'une telle coïncidence soit possible.

C'était bien elle. Il fallait que ce soit bien elle.

Il se répéta cette phrase encore et encore, alors qu'il avançait vers la silhouette, tremblant comme une feuille.

Et s'il se trompait?
Et si ce n'était pas Jo... Séraphys?

Non, il ne devait pas douter.
Il avait peut-être raison.
Probablement, même.
Sûrement.
C'était obligé.

Arrivé à quelques mètres d'elle, il l'interpella d'un ton hésitant:
- Johanna?

Le nom était sorti tout seul.
Ce n'était pas le bon, mais tant pis.
Ça n'avait plus d'importance, tout ça.

Car quand elle se tourna vers lui, il su qu'il ne s'était pas trompé.
Elle s'était coupé les cheveux en un carré court légèrement plongeant, elle portait du maquillage qui lui donnait un côté très sombre, avec beaucoup de noir sur les yeux, et elle avait deux ans de plus, mais c'était bien elle.

Elle était splendide, rayonnante dans sa noirceur.
Encore plus belle qu'il y a deux ans.
Parce qu'elle lui avait manqué, peut-être.
Probablement, même.

Cependant elle aussi le reconnut; ses yeux s'agrandirent de surprise et d'étonnement le temps d'une seconde, puis elle prit ses jambes à son cou.

Mais il ne la laisserait pas s'échapper. Pas cette fois.

Il se mit alors à la pourchasser, à courir comme si sa vie en dépendait.
Elle était rapide, bien plus qu'avant.
Elle zigzaguait entre les rues comme si rien n'était plus naturel pour elle. Elle était une enfant de la nuit à présent, et jouer parmi les ombres était devenu sa spécialité.

Alors Jonathan alla jusque dans ses derniers retranchements; il puisa dans toute la détermination qu'il avait pour courir au-delà de son maximum. Tous les muscles de son corps lui criaient de faire une pause, sa gorge et ses poumons le brûlaient et il était à bout de souffle.
Il s'en fichait.
Une seule chose comptait pour lui: la rattraper.

Il puisa dans ses dernières forces, trébucha, et tomba...

... en emportant Séraphys dans sa chute.

Elle n'eut pas le temps de réaliser ce qu'il se passait que Jonathan la bloquait en la maintenant sur le dos au sol, à califourchon sur elle, et en lui collant les poignets au bitume.

- Tu ne peux plus fuir, maintenant, lui fit-il remarquer, fier.

- Pas physiquement, en effet. Mais je peux toujours évader tes questions, répliqua-t-elle avec un air de défi.

- Jo...

- Premièrement, il me semble t'avoir déjà dit par écrit que ce n'était pas mon nom. Deuxièmement, comme je ne me sentais plus tout à fait la même que l'ancienne Séraphys, je souhaitais changer de nom; cependant j'en voulais un proche du précédent pour ne pas oublier le crime que j'ai commis. Alors voilà, maintenant c'est Séra.

- Mais dans ma tête, tu es toujours Jo.

- C'est Séra. J'insiste. Johanna, ça fait deux ans qu'elle est partie. Et elle me manque terriblement, finit-elle dans un murmure.

- Celle qui était dans ta tête?

Séra hocha la tête.

- Tu veux pas qu'on aille discuter de tout ça autour d'un verre plutôt? Ce serait plus confortable, proposa Jonathan.

La jeune fille sourit faiblement.

- Je pourrais en profiter pour m'échapper, tu sais?

- Mais tu ne le feras pas, affirma-t-il avec aplomb.

- Non, en effet.

Il la releva et ils se mirent en quête du bar le plus proche.

***

- Ça te va bien, cette coupe et ce maquillage, dit Jonathan en s'installant.

- Merci, répondit-elle simplement.

- Bon, même si je te préfère toujours au naturel.

Séra rit légèrement.

- C'est fou, tu n'as vraiment pas changé, remarqua-t-elle.

- Hum... Bah, si quand même. Enfin, un peu quoi, normal... J'ai, euh... J'ai mûri, voilà.

- Mais bien sûr... se moqua-t-elle gentiment.

- Et je vois que tu as toujours le même goût pour l'ironie et la dérision...

- Pas vraiment. C'est peut-être parce que je suis avec toi que ça revient. Mais je peux t'assurer que le mot « humour » ne fait plus partie de mon dictionnaire. J'ai beaucoup changé, contrairement à toi. En fait, je crois que j'ai passé toute cette vie à changer sans cesse. Je n'arrêtais pas d'alterner optimisme et pessimisme, motivation et désespoir. Enfin, je suis dans un état à peu près stable, en ce moment.

- On peut changer en bien ou en mal, mais sûrement pas en la même chose, dit Jonathan.

- J'adore ce pléonasme. Ça vient d'où?

- D'un jeu vidéo. C'est le chat qui dit ça à Alice dans « Alice Madness Returns ». C'est un univers un peu revisité d'Alice au pays des merveilles. En beaucoup plus sombre.

- Oh, intéressant.

- Mais ce n'est absolument pas ce dont je voulais te parler, arrête de détourner le sujet, reprit Jonathan.

Séra prit un air faussement surpris.

- Moi? Détourner le sujet? Je ne vois pas de quoi tu parles, voyons...

- Qu'est-ce que tu es devenue, depuis le temps? continua le jeune homme, déterminé à avoir toute la lumière sur cette histoire.

Son interlocutrice soupira.

- Très bien, je vais te raconter tout ce qu'il s'est passé depuis que j'ai fugué. Ça te va?

Il hocha la tête.

- Après avoir écrit mes deux lettres d'adieu, j'ai commencé à préparer un sac avec le minimum indispensable dans ma fuite. J'ai pris une tenue d'été et une tenue d'hiver, la tenue de mi-saison étant déjà sur moi. J'ai également emporté nécessaire de toilette dans une petite trousse, une lampe torche, un peu de nourriture et toutes mes économies. Le tout rentrait dans mon sac à dos d'école. Je suis ensuite sortie par la fenêtre pour ne pas me faire remarquer des parents de Johanna, et je suis partie déposer l'enveloppe dans ta boîte aux lettres.

Une serveuse l'interrompit dans son récit pour demander ce qu'ils voulaient.
Jonathan commanda un verre de bière et Séra prit un verre de rouge.
La jeune femme reprit son récit.

- J'ai commencé par aller là où mes pas me menaient, sans aucune idée précise en tête. Je ne savais ni où j'allais ni ce que j'allais y faire. Tout ce dont j'étais persuadée, c'est que je voulais partir le plus loin possible. Après deux ou trois semaines de marche sans aller nulle part, je me suis retrouvée par hasard à Paris. Comme tu peux le constater, j'y suis restée. Tu te demandes probablement pourquoi cette ville plutôt qu'une autre? Après tout, c'est connu Paris. Et si on suit ma logique de l'époque, j'aurais dû préférer un endroit complètement paumé au fin fond d'un petit bled bien plus loin. Cependant, on peut facilement conserver son anonymat, à Paris. Personne n'est assez curieux pour demander qui l'on est, et il y a tellement de monde qu'il est aisé de se fondre dans la masse. Voilà comment j'ai atterri ici.

Les boissons arrivèrent, coupant une deuxième fois son discours.
Lorsque la serveuse repartit, Séra continua, encouragée par un signe de tête de Jonathan.

- Ce qu'il me restait alors à faire, c'était de véritablement m'installer et de trouver un but à ma vie ici. J'ai commencé par chercher du travail au black, j'étais en fugue donc sans identité alors il ne fallait pas que je sois déclarée. J'ai fini par trouver un job de serveuse dans un pub un peu glauque, mais ça se passe plutôt bien. Petit à petit je commençais à avoir une idée de ce que je souhaitais faire. Comme j'étais ange gardien et que j'ai faillit à ma tâche, j'ai décidé de me repentir en redevenant plus ou moins ce que j'étais avant. Ça fait donc maintenant un an et demi environ que je protège ceux que je peux, comme je peux. Pour être plus efficace, j'ai dépensé tout l'argent gagné dans mon pauvre job en cours d'arts martiaux. Je n'ai pas de logement fixe, et de toute façon je ne peux pas car, comme je l'ai dit plus tôt, je n'ai pas de papiers. Et savoir me battre m'a plusieurs fois sortie d'un mauvais pas. Ce qui fait que je pourrais te mettre au tapis en moins d'une seconde, maintenant, conclut-elle avec une note d'humour forcée, alors qu'elle était restée de marbre pendant tout le temps qu'elle parlait.

- Wow... Et... Tu es contente de cette vie-là?

- Franchement, oui. Peut-être que j'étais faite pour être solitaire, une femme de l'ombre...

Jonathan fronça les sourcils.

- Mais à partir de maintenant, on va garder contact, n'est-ce pas?

Séra resta silencieuse.

- Mais bordel Séra, si tu me dis que tu vas à nouveau disparaître, je—! Je...

Il soupira. Qu'allait-il faire, au juste? Appeler la police? Ridicule.
Il n'avait aucun moyen de pression sur elle.

- Tu sais... recommença-t-il, tu m'avais dit de vivre heureux et de trouver quelqu'un. Je n'ai trouvé personne et je pense à toi tous les jours. Depuis deux ans. C'est bête, hein? Mais voilà: je t'aime. Je t'aime, Séra. Même après tout ce temps. Et je crois que si mes sentiments n'ont pas changé, c'est parce que je voulais rester amoureux de toi, au moins jusqu'à ce que le destin nous réunisse une dernière fois et que je puisse t'exprimer clairement ce que je ressens. Mais en te voyant, là, maintenant, je me dis que juste une dernière fois ça ne me suffira pas. J'ai besoin de toi à mes côtés, Séra.

Jonathan observa la jeune fille. Ses yeux étaient humides, et il ne savait pas si elle retenait ses larmes pour paraître forte ou pour ne pas faire couler son maquillage.

- Ne me fais pas ça, Jonathan... articula-t-elle la gorge serrée.

Mais le jeune homme ne l'écoutait pas; il se pencha au-dessus de la table, et l'embrassa.
Au bout de quelques secondes, elle lui retourna son baiser.

Lorsqu'ils se séparèrent enfin, Jonathan prit la parole:

- Tu ne peux plus nier que tu m'aimes, tu as répondu à mon baiser, souffla-t-il en appuyant son propos de son éternel sourire en coin.

- C'est... Parce que... s'embarrassa-t-elle.

- Sors avec moi.

Elle parut d'abord surprise par tant de hardiesse, puis elle baissa la tête.

- Séra, regarde-moi.

Elle s'exécuta.

- On pourrait tout recommencer, ensemble. Juste tous les deux, insista Jonathan. Pas besoin que le monde entier sache qu'avant tu avais l'identité de Johanna Grey! Ce sera juste toi et moi, d'accord? Alors, acceptes-tu que nous sortions ensemble? Nous n'avons déjà que trop attendu.

Le cœur en chamade, la gorge serrée et les mains moites, le jeune homme attendit la réponse de Séra. Il savait que c'était sa dernière chance. Qu'un « oui » lui ouvrirait les portes du Paradis sur Terre, et qu'un « non » le plongerait dans la souffrance et la solitude. Un seul petit mot de trois lettres allait déterminer sa destinée. On allait bien voir si son ange gardien veillait sur lui à ce moment précis.

Il jeta un œil à Séra. Elle hésitait. Elle hésitait terriblement.

Puis elle sembla se résoudre, et elle annonça sa décision dans un murmure presque inaudible.










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Merci d'avance de lire cette note jusqu'au bout!!

Heyy!!

Chapitre bien plus long que les précédents, je ne voulais pas le bâcler.
Alors voilà, oui c'est bien la fin, il n'y aura plus de chapitre suivant.

Et si certains ragent à cause de la fin ouverte, eh bien... Bah vous n'avez qu'à imaginer qu'elle dit oui tout simplement et qu'après ils se marient et qu'ils font plein de bébés, voilà!!

Tiens, d'ailleurs, petit sondage:
Qui pense que Séra dit « oui » car elle fait enfin face à ses sentiments?
Et qui pense qu'elle dit « non » car elle est devenue trop ténébreuse et qu'elle ne veut pas entraîner Jonathan dans tout ça, ou tout simplement parce qu'elle reste bornée?
Dites-le en commentaires! 👉🏻

Les deux avis se valent autant l'un que l'autre, je vous laisse complètement libres de choisir: c'est fait pour ça, cette fin. (Et si vous trouvez une troisième option vous pouvez également, je n'exclue pas d'autres théories, évidemment.)
J'ai bien mon avis sur la question, mais je ne veux pas vous influencer...

Autre petit sondage: voulez-vous que je fasse une partie bonus avec des illustrations des différents personnages? (Je dessine plutôt bien en fait, hé hé...)
Dites-le en commentaires! 👉🏻

À noter que je vais mettre l'histoire en statut terminé dès la publication de ce chapitre, car je considère que le bonus ne faisant pas partie de l'histoire, le récit est bel et bien terminé.
Un peu comme un film qui est mis au cinéma et qu'ensuite pour la version DVD ils rajoutent des bonus du type making off, alors que le film était déjà fini.
Bah voilà, c'est pareil mais en un peu moins stylé.

En tout cas j'espère que ça vous a plu, et si jamais un jour vous vous ennuyez et que je vous manque trop, vous pouvez toujours aller jeter un coup d'œil à mes autres livres ;)

Sur ce, je vous dis à la revoyure!!

- Nalvera

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