Chapitre 28: Révélation

Elles murmurent, elles susurrent, les voix dans mes oreilles.
Elles chuchotent, et pourtant elles résonnent comme un écho infini qui surgit et monte du plus profond des âmes.

Combien sont-elles, ces voix?
Des centaines, des milliers?

Taisez-vous.

J'ai mal.
Comme si un marteau piqueur me brisait le crâne de l'intérieur.

« Est-ce qu'elle est prête? »
« Oui elle l'est. »
« Elle est prête. »
« Oui, prête elle est. »

Taisez-vous, vous dis-je.

« Prête à y faire face? »
« Prête à y faire face. »
« La révélation est proche... »
« Elle en est proche. »

Chut, par pitié...

« Pourquoi? »
« Parce qu'elle est prête... »
« Prête... »

Les chuchotements se transforment en un bourdonnement incessant.

Je me couvre les oreilles de mes mains; peine perdue.
C'est dans ma tête qu'elles résonnent.

Taisez-vousTaisez-vousTaisez-vousTaisez-vousTaisez-vousTaisez-vousTaisez-vousTaisez-vousTaisez-vousTaisez-vousTaisez-vousTaisez-vousTaisez-vousTaisez-vousTAISEZ-VOUS!!!

« Johanna... »
« Séraphys... »
« Êtes-vous prêtes? »
« Le spectacle va commencer... »

Un flash de lumière blanche m'aveugle soudainement.
Je bascule alors dans le vide en tournoyant.

Une grande porte en or s'ouvre juste devant moi, d'où jaillit une lumière dorée encore plus vive que la précédente.
Je ferme vite les yeux, et je sombre dans l'obscurité...

***

Lorsque je regagne connaissance, Séraphys se tient devant moi.
Je n'ai même pas le temps de lui demander ce qu'elle fait ici ou même ce que moi je fais ici, dans ce décor tout blanc, qu'elle me fonce dessus et se fond en moi.

C'est alors que tout me revient d'un coup, comme une vague déferlant sur la rive.
Elle m'emporte, elle m'assaille, et je lutte pour garder la tête hors de l'eau, pour garder mon esprit intact devant ce flot d'informations.



Il était une fois une ange gardien, nommée Séraphys, pure et respectée de tous dans les cieux.  Elle était bienveillante, chaleureuse, souriante; parfaite.
Oui, elle était parfaite.
Était.

Car à force d'observer les humains et de les protéger, elle se mit à envier leur insouciance et leur liberté, elle qui est enfermée dans le Paradis, cage dorée dont elle ne peut s'échapper que sous forme de chouette blanche comme neige.
Elle voulait une vie où elle pourrait tomber amoureuse, rire, vieillir, et enfin mourir; car elle savait que la mort n'était qu'un commencement, qu'elle ouvrait les portes du jardin d'Eden et offrait un repos éternel.
Elle savait que la mort faisait partie de la vie, et que c'était la fugacité de l'existence qui la rendait si belle et unique, si pleine de sens.

Alors qu'une nuit Séraphys observait sa protégée dormir paisiblement, elle eut une idée: prendre sa place et ainsi gagner la vie si précieuse qu'elle rêvait d'avoir.

Elle se renseigna ainsi dans les vieux grimoires de magie noire sur un rituel permettant de prendre possession d'un autre corps.

Or au moment de passer à l'action, elle hésita.
Elle sut qu'elle faisait le mal; elle se rendit compte de la folie qu'elle était en train de commettre.
Au lieu de protéger l'humaine, elle lui écourtait ses jours. Pire même: elle effaçait son âme.
Et pourtant, elle choisit d'aller jusqu'au bout de son acte, bien que ce soit en pleurant et en demandant pardon à son Créateur pour son péché.

Le lendemain elle se réveilla dans le bon corps, mais amnésique.

Ce moment d'hésitation avait eu une incidence sur le rituel, et en avait subtilement changé le résultat: elle avait réussi la manœuvre, certes, mais elle ne se souvenait plus de rien la concernant, et l'esprit faible de l'humaine était resté, n'attendant qu'à être éveillé.


Les liens se firent vite dans mon esprit:

Les chouettes blanches sont les Veilleuses.
Les Veilleuses sont les anges gardiens des humains.

La jeune humaine victime de l'envie de Séraphys est Johanna.

Et Séraphys c'est moi.


Je suis un ange déchu.

Celle qui s'est laissée tentée par le mal, et qui l'a réalisé malgré ce que lui dictait sa conscience.

Je suis un monstre.

***

Je me redresse de mon lit, toute tremblante et pleine de sueur.
Je me prends la tête entre les mains.
Je me souviens de tout. Tout.

Qu'est-ce que j'ai fait?

Les larmes coulent, coulent et roulent le long de mes joues.



Voilà pourquoi je peux communiquer avec les oiseaux: j'ai le pouvoir des anges gardiens.

Voilà pourquoi j'ai les yeux bleus: c'est l'unique preuve physique indiquant que Séraphys a pris la place de Johanna.

Voilà pourquoi je suis dans ce corps.

Voilà pourquoi je suis amnésique.

Voilà pourquoi la chouette me déteste.

Et voilà pourquoi maintenant moi aussi je me déteste.



Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine. Mes côtes forment une cage, qui se resserre un peu plus à chaque instant.

La gravité de mes fautes me pèse trop.

S'il m'est déjà arrivé de penser être au fond du gouffre, je suis à présent dans un gouffre sans fond.

Je veux disparaître, là, maintenant, tout de suite.
Et ça tombe bien car c'est exactement ce qui va se passer.

« ... ou pas. » dit Johanna.

« Pardon? » m'exclamé-je.

« Ma chance est passée, c'est tout. Je n'ai plus de place dans ma propre vie, ne le vois-tu pas? »

« Non non non non non, tu ne vas pas me dire que... »

« Tu as changé, Séraphys. Tu n'es plus celle qui a volé mon enveloppe corporelle. Tu es celle qui as subi les fautes de l'ancienne toi. Tu es une nouvelle Séraphys. Comme un phénix, tu renais de tes cendres. »

« Qu'est-ce que tu racontes Johanna? Arrête, ce n'est pas drôle! »

« Ce n'est pas une blague. Je n'ai jamais été aussi sérieuse. »

Je deviens hystérique, le visage rouge et les yeux lâchant des litres d'eau salée.

« Alors dis-moi que tu me détestes! Dis-moi que tu vas reprendre ce que je t'ai volé! Dis-moi que je mérite de ne plus exister! Dis-moi... Dis-moi que je suis un monstre! »

« Ce n'est pas ce que je pense. Je t'aime bien, au fond. » répond-elle calmement.

« Mais... »

« Vis heureuse, Séraphys. Je te laisse tout. Fais-en bon usage. »

Puis je sens son esprit partir, s'envoler très loin et me laisser seule avec moi-même.

Non...

Non.........

Non non non non non non non non non non non!

NOOOOOOONNNNN!!!

Un cri s'échappe de ma poitrine.

- REVIENS!! REVIENS IDIOTE!! Regarde... Je te la rends, ta vie! Je sais à quel point tu l'aimes... Alors reviens... Reviens la savourer enfin pleinement... Reviens...

Je m'écroule au sol, abattue.

Alors c'est ça, ma punition?
De vivre avec cette culpabilité jusqu'à la fin de mes jours?

Pourquoi n'a-t-elle as repris son corps?
Pourquoi?

POURQUOI??

Pour la première fois dans cette vie, je me mets à prier. Dans la panique, je récite la première prière qui me vient à l'esprit.

Notre Père,
Qui es aux cieux,
Que Ton nom soit sanctifié,
Que Ton règne vienne,
Que Ta volonté soit faite, sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour,
Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé.
Et ne nous laisse pas entrer en tentation,
Mais délivre-nous du mal,
Amen

Je la redis, encore et encore, comme si ma vie en dépendait.

Oui, pardonne mon offense de la même façon que Johanna m'a pardonnée.
Oui, délivre-moi du mal.
Sauve-moi.

Pitié, que quelqu'un me sauve.

Ou alors il faut que moi, je me sauve.
Dans tous les sens du terme.
Y compris celui de fuir.

Même si c'est lâche.

Car je ne pourrai pas continuer la même vie qu'avant, pas en sachant ce que j'ai fait.

Je ne pourrai jamais me le pardonner, jamais.

Jamais.

Je ne peux pas rester ici. Il faut que je bouge.
Il faut que je parte.
Le plus loin possible.

Ma main tremblante arrache une page blanche d'un carnet, sur laquelle je me mets à écrire frénétiquement.

Je ne sais plus dissocier les gouttes de sueurs des larmes qui glissent jusqu'à mon menton.


Voilà, il y en a deux.
L'une restera ici, et je déposerai l'autre chez Jonathan.

Ce sont mes lettres d'adieux.


Je me glisse par la fenêtre et descends habilement le long de la gouttière jusqu'au sol.

Ma silhouette se faufile parmi les ombres, avant de s'y fondre complètement.

Quelques perles de rosée s'échappent de mes yeux, et scintillent à la pâle lueur de la lune.




Dans le silence froid de la nuit, le cri d'une chouette retentit.

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