Chapitre 19: Ennemie

Ce matin j'arrive en cours épuisée.
L'autre Johanna a passé son temps à me faire des coups bas: pendant que je me brossais les dents elle faisait dévier ma main, ce qui a eu pour effet de me barbouiller de dentifrice; quand je voulais me démêler les cheveux elle s'arrangeait pour qu'ils se retrouvent en bataille; et mes pieds s'emmêlaient sur le chemin du lycée sans que je n'aie rien demandé.

Bref. La totale quoi.
Je n'ose même pas imaginer ce que ça va être pour la prise de notes...
Ah bah tiens, justement... On commence par géo. Pourquoi fallait-il que ça tombe sur la matière où il faut prendre des notes et avec le prof qui me déteste??
Oh mon karma, pourquoi m'as-tu abandonnée?

Le prof entre en classe, le cours commence.
Et pendant ce temps, ma main droite essaie d'arracher les pages de cours de mon cahier pour en faire des boulettes de papier tandis que ma main gauche lutte désespérément pour l'en empêcher. Ce qui fait que j'ai l'air d'une demeurée, ou d'une toxico qui essaierait de résister contre l'envie irrépressible de prendre son « calmant ».

Et évidemment, à force d'attirer l'attention (malgré moi) de mes voisins de classe, j'attire celle du prof quand il se rend compte que tous les regards convergent vers moi.
Et merde...

- Johanna! Que fais-tu, encore?

- Un bras de fer en solo Monsieur, répliqué-je.

- Vraiment? Et que dirais-tu d'aller montrer ta force au proviseur, mmh?

- Vite fait là, comme ça, ça ne me tente pas vraiment.

- Alors arrête tes pitreries.

- Je vais essayer, Monsieur.

- Fais plus qu'essayer ou tu sais ce qui t'attend.

Je soupire.
Concentre-toi Johanna, concentre-toi...
J'inspire un grand coup et j'essaie de faire le vide dans ma tête. Littéralement.

Il faut que j'empêche l'autre folle de continuer à agir, ou sinon cette histoire va mal se finir.

« Tu ne réussiras pas. » me susurre-t-elle.

« Si tu essaies de m'en convaincre c'est parce que tu as peur... Peur que je réussisse. Ce qui signifie que tu sais que je vais gagner cette partie. »

« Ne te réjouis pas trop vite. Quand bien même tu réussirais cette fois, tu ne ferais que gagner une bataille, pas la guerre. »

« Mais les victoires des batailles mènent à la victoire de la guerre. » rétorqué-je.

« Tu te la joues philosophique maintenant? »

« ...Dit celle qui a commencé à sortir un proverbe. »

« Tout l'art est de le sortir au bon moment. » dit-elle.

« Sauf que maintenant, c'est toi qui vas sortir de ma main! »

« ... Ou pas. »

« Ne me fais pas rire. Je sais que tes forces s'amenuisent, je le sens. Tu peux prendre temporairement le contrôle d'un de mes membres, mais tu es limitée. Ça t'épuise. »

« Mpf! Je vais te laisser pour cette fois. Mais je te préviens: la prochaine fois, je n'abandonnerai pas aussi facilement. »

***

La matinée est passée à une lenteur pas possible.
Je. N'en. Peux. Plus.

Après ma forte lutte intérieure, Johanna s'est « endormie » et j'ai été tranquille... Cependant j'avais du mal ne serait-ce qu'à garder les yeux ouverts!

- Johanna?

- ... Mouais?

Je me retourne vers Léa J, et elle laisse s'échapper un hoquet de surprise en voyant ma tête de déterrée.

- Euh... Tu viens? On va manger. Les garçons nous attendent dans le couloir.

Je me traîne jusqu'à l'endroit indiqué, où Léa M. discute joyeusement avec un des amis de Jonathan.

- Hey Jo! me salue gaiement Jonathan.

- Salut... répondé-je, sur le point de m'endormir sur place.

- Tu vas bien?? Tu as l'air d'un zombie.

- Merci du compliment ça fait plaisir.

- Ha ha! Nan mais sérieusement, ça va?

- Ouais ouais...

- Hey les deux tourtereaux, vous venez ou quoi? nous lance Léa M.

- Quoi? m'excamé-je. Mais on n'est pas–

- Shhhhh... Laisse-les penser ce qu'ils veulent, me murmure Jonathan en me faisant un clin d'œil.

Dans ma poitrine mon cœur s'accélère. Soudainement je me mets à avoir très chaud.

J'en profite pour me faire toute une réflexion scientifique sur le rouge qui monte aux joues quand on est gêné.
On a chaud quand on est embarrassé car  l'activité cardiaque augmente, ce qui fait que la tension augmente également, donc qu'il y a plus de sang qui circule dans un temps donné dans les vaisseaux sanguins, ce qui fait que les joues deviennent rouges et qu'on a chaud.
La question est: pourquoi la gêne fait-elle augmenter le rythme cardiaque?
La peur, je peux comprendre, et c'est d'ailleurs grâce à ce réflexe que nos organes ont plus de nutriments et de dioxygène apportés par le sang, permettant ainsi à l'individu de prendre ses jambes à son coup. Vive l'instinct de survie. Et c'est à peu près pareil pour le stress.
Mais pourquoi la gêne? Ou l'embarras?

J'en étais là dans mes réflexions quand nous nous installons à table.

- Jo? Tu es avec nous? s'amuse Jonathan en remarquant mon air concentré.

- Nan je suis sur Saturne.

- Ouais c'est bien ce que je me disais...

Je lui écrase le pied sous la table.

- Aïe!

- Tu l'as cherché!

- N'importe quoi!

- Et tu en redemandes en plus!

Je lui donne un coup dans le tibia.

- Aïe!!! Mais ça fait vraiment mal ça, tu sais?

- Je sais.

Je le regarde du coin de l'œil. Il me regarde. Je le regarde. Il me regarde.
Et nous explosons de rire.

***

Comme d'habitude, Jonathan m'attend à la sortie du lycée pour faire un bout de chemin ensemble.

- Hey, me salue-t-il.

- Hey!

- Tu es moins fatiguée que ce matin, à ce que je vois.

- Ouais, je pète la forme!

- Et d'où vient cet enthousiasme soudain?

Du fait que l'autre ne s'est pas encore réveillée... Mais ça, je ne peux pas le lui dire, évidemment.
Je n'ai pas envie qu'il me prenne pour une schizophrène.

- Je crois que c'est juste le réveil qui a été difficile, mais après avoir mangé ça allait mieux, dis-je.

- Pff...

- C'est juste moi ou tu pouffes de rire là?

- Pfrmgmprmhagtpmf!

- Hoy! insisté-je.

- Ha ha ha ha ha ha ha!!!

- Quoi??

- C'est juste que... Pfouah ha ha ha ha!

- Mais quoi à la fin?

- Je t'imagine en train de te lever du lit, avec des cernes incroyables, les cheveux en bataille et un air blasé accompagné d'un caractère d'ours!! s'exclame-t-il en riant.

Il s'arrête sur le côté du trottoir et s'appuie contre un arbre pendant qu'il hurle de rire.

- Idiot!
Je dis ça mais son rire est contagieux et nous nous retrouvons tous les deux à rire comme deux tarés dans la rue.

Au bout de longues minutes nous parvenons à nous calmer et Jonathan parvient enfin à aligner deux mots.
- Ca te dit de faire un petit détour avant de rentrer?

Je réfléchis quelques secondes.
- Tu veux pas plutôt qu'on passe d'abord chez nous pour déposer nos cartables et qu'on se donne rendez-vous juste après? Comme ça on n'a pas besoin de se les trimballer.

- OK ça me va. Où est-ce qu'on se donne rendez-vous?

- Au parc?

- Encore??

- Bah quoi c'est bien le parc... bougonné-je.

- Bon, d'accord pour le parc. Mais seulement comme point de rendez-vous! Après c'est moi qui décide de l'endroit!

- D'ac'!

Nous nous séparons sur ces mots.

***

Au moment d'insérer la clef dans la serrure de la porte de chez moi, une voix retentit dans ma tête.

« L'équilibre ne va pas durer. »
Cette voix... Ni masculine ni féminine, douce et profonde à la fois... C'est...

Je me retourne brusquement.
Sur une branche de l'arbre le plus proche se tient la chouette blanche.

« L'équilibre est quelque chose de fragile. » continue-t-elle.

« Quel équilibre? Si tu parles de celui entre Johanna et moi, je suis déjà au courant qu'elle reprend des forces. Mais je ne vais pas me laisser faire. » répliqué-je.

L'oiseau penche la tête sur le côté.

« Tu deviens de plus en plus perspicace. »

« Parce que je ne suis plus autant dans le flou qu'avant. »

« Et ta langue devient de plus en plus affutée. »

« Une personne perdue ne peut pas s'affirmer. J'ai trouvé un chemin entre-temps. »

« Pour être honnête, cette nouvelle ne m'arrange pas. »

Je fronce les sourcils.
« Comment ça? Tu aurais préféré que je reste la pauvre petite brebis égarée? »

« Je ne suis pas ton alliée Johanna. »

« Alors qui es-tu dans ce cas? »

« Une personne qui souhaite ta chute. »

« Je vois... Tu veux que l'autre Johanna reprenne le contrôle de mon corps... »

Mon coeur se serre à cette découverte. Je considérais cette chouette comme une sorte de guide énigmatique au milieu des ténèbres. Mais il s'avère qu'elle veut plutôt me guider vers les ténèbres que de m'en sortir.

« Elle ne prendrait pas le contrôle de ton corps, mais elle récupèrerait le contrôle du sien. » argumente-t-elle.

« Alors ce qu'elle me dit depuis le début serait donc vrai? Je lui ai vraiment volé son corps? »

« Maintenant que tu connais la vérité de source sûre, rends-le-lui. C'est la voie la plus juste à suivre. »

«  Je refuse. »

« Tu es vraiment sans coeur. »

« Non, je suis simplement déterminée à vivre. N'est-ce pas l'instinct primaire de tout être vivant? Qu'y a-t-il de mal à ça? »

« Tu as volé le corps de quelqu'un bon sang! T'es-tu posé la question, ne serait-ce qu'une seule fois, de ce que cette personne peut ressentir? Tu lui as volé sa vie!!! »

Sa voix, d'ordinaire si calme, tremble de rage. Je recule d'un pas, effrayée par son regard flamboyant qui semble me transpercer de toutes parts.

« Tu n'es qu'un être vil et égoïste. Cette discussion m'en a donné la confirmation. »

« Si tu veux vraiment que je rende son corps à sa propriétaire, alors explique-moi d'abord qui je suis et pourquoi et comment je lui ai volé son corps! »

« Changerais-tu vraiment d'avis si je te le révélais? »

« Peut-être que oui, peut-être que non. Mais au moins j'en aurai un. »

« Si tu veux vraiment le savoir, alors souviens-toi. Si tu ne peux pas te souvenir du passé en ce moment, ce n'est pas parce que tu ne le peux pas mais parce que tu ne le veux pas. Tu te voiles la face si tu penses être victime de ton amnésie. Au contraire, c'est elle qui a sauvé ton âme et qui te permet aujourd'hui d'affirmer avec un aplomb déconcertant que tu es innocente. »

À ces mots, la chouette prend son envol.

« Attends ! » l'appelé-je.

Elle me jette un dernier regard dédaigneux avant d'annoncer:



« Adieu, oeuvre de Satan. »














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Heyy!!
En fait j'ai écrit ce chapitre dans la foulée du précédent X)
Quand je disais que l'inspiration était revenue... 😂
Enfin bref, j'espère que ce chapitre vous a plu! :D
Si c'est le cas, n'hésitez pas à voter ;)
Sur ce, à la prochaine!
- Nalvera

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