Chapitre 18: Exister

Ma main gribouille machinalement sur le papier, tandis que je soupire une énième fois. Je regarde à nouveau l'heure, exaspérée.

39 minutes. Ça fait 39 minutes que Dorothée est sensée être là. Nous nous étions donné rendez-vous à 16h à la bibliothèque, mais elle n'est toujours pas arrivée.
Peut-être que j'ai trop espéré de sa part finalement.

Je retourne à mes gribouillis. Je griffonne encore quelques silhouettes, quelques esquisses de personnes ou d'objets qui croisent mon regard, quelques fantaisies soudaines sortant tout droit de mon imagination.

Soudain, je sens la présence de quelqu'un qui se penche par dessus mon épaule.

- Tu es douée.

Je me retourne pour voir Lucas, les yeux pétillants comme d'habitude.

- Merci.

Je retourne à mon occupation.

- Qu'est-ce que tu attends? me demande-t-il en s'asseyant à côté de moi.

- Quelqu'un.

- Qui?

- Personne.

- Euh... Tu te contredis là! s'exclame-t-il en riant.

- J'attends une personne ça te va?

- Houlà, tu es de mauvaise humeur toi.

- Naaaaaaannn, tu crois?

- Calme-toi, je t'ai rien fait moi!

- Oui je suis de mauvaise humeur et tu l'as remarqué, devrais-je te féliciter?

- ...

- Pourquoi t'es encore là? m'agacé-je.

- Pourquoi est-ce que tu es énervée?

- Parce que la personne que j'attends est en retard! C'est bon, c'est fini l'interrogatoire? Tu veux savoir ce que j'ai mangé au petit-dej' aussi??

- Oh, pardon pardon... Bon ben je te laisse alors.

Il part et je me prends la tête dans les mains.

« T'avais qu'à pas voler mon corps si tu voulais pas des règles douloureuses avec supplément humeur de chien. » dit Johanna.

« Merci Jo pour tes conseils si avisés. »

« N'empêche que c'était pas une raison pour l'envoyer bouler de la sorte. »

« Arrête, t'aurais fait pareil. » répliqué-je.

« De un, tu n'en sais rien. Et de deux, ce n'est pas une raison. »

« Tu ne l'as pas complètement nié... »

« Tss tss tssss... » siffle-t-elle.

« T'es un serpent ou quoi? »

« Tu sais quoi? Tu m'énerves. »

« Nan mais sérieusement, c'était quoi ce tss? »

« C'était rien. Un délire de ma vie passée avec Lydie. »

« Oh. »

Je retourne mon attention sur mes dessins.
Je fronce les sourcils. Je ne fais pas les yeux comme ça d'habitude! On dirait qu'ils ont été dessinés par un gamin de primaire!

« Ne critique pas mes talents artistiques s'il-te-plaît. »

« Johanna? Mais tu... »

« Je t'avais pourtant prévenue que je n'ai jamais cessé de lutter. Et ce n'est que le début... »

À ce moment, Dorothée entre dans la salle et se précipite à mes côtés, mettant fin à ma discussion avec l'autre moi-même.

- J'apprécie ta ponctualité, lui lancé-je d'un ton cassant, toujours préoccupée par l'incident avec ma main.

- Désolée, il a fallu que je sème mes toutous. C'est dingue comme elles sont collantes...

- C'est normal, tu les as élevées comme ça.

Elle me jette un regard noir.

- Bon, reprend-elle, est-ce qu'on peut aller dans un coin à l'abri des regards?

- Toujours ta peur que les autres se rendent compte que tu es intelligente?

Elle baisse les yeux, gênée.

- OK, j'ai compris... cédé-je.

Nous nous dirigeons dans un coin de la bibliothèque, un peu dans l'ombre et dissimulées par des étagères.
Après que nous nous soyons installées, Dorothée me demande:

- Bon, alors où est-ce que tu as des problèmes?

- Euh... Ben... Dans tout. Tout ce qui est purement littéraire et non linguistique je veux dire. Je n'ai pas de problème avec l'orthographe par exemple.

« Idiote. »

« Tais-toi. »

- OK, je vais poser ma question autrement: par où est-ce qu'on commence?

- Mmh... par définir les différents mouvements littéraires puis les registres?

- Tu ne connais même pas ça?

- Eh bien disons que c'est plutôt flou...

- OK je vois. Alors pour commencer, comme tu le sais déjà, les mouvements littéraires fonctionnent principalement par période. Par exemple, le classicisme a eu lieu pendant le Grand Siècle, c'est-à-dire le XVIIe siècle. Ensuite, chaque mouvement a des caractéristiques précises et des thèmes privilégiés, comme par exemple les mythes antiques chez les Parnassiens. Sans compter le fait que...

Dorothée passe ainsi une vingtaine de minutes à m'expliquer en général les bases appuyées d'exemples, avant de passer aux détails. Elle ne fait que parler tandis que je m'applique à prendre des notes.
Après deux heures consécutives, nous commençons à nous lasser et nous nous donnons rendez-vous la semaine suivante, même lieu, même heure (en espérant qu'elle ne soit pas en retard).

- Et n'oublie pas de tout retenir d'ici la prochaine fois! me lance-t-elle en partant.

Je réunis mes affaires et je sors à mon tour de la bibliothèque.

« C'était très intéressant. » commenté-je intérieurement.

« Oui. On voit que c'est une passionnée. » approuve Johanna.

« Par contre tes remarques sarcastiques incessantes ont un peu tout gâché. »

« Il faut bien que je profite du fait d'être dans ta tête pour te pourrir la vie! »

« Tu pourrais très bien simplement essayer de cohabiter. »

« C'est toi qui m'a volé mon corps, je ne vois pas pourquoi c'est moi qui devrait chercher à m'accommoder de la situation. » rouspète-t-elle.

« J'en ai marre de ton discours. Toujours le même. Si jamais l'ancienne moi t'a véritablement fait ça, je m'en excuse. Cependant, je n'ai même plus conscience de qui j'étais avant, aussi je me considère comme une personne tout à fait différente, donc innocente dans cette histoire. Alors si tu pouvais nous dissocier et arrêter de radoter comme une vieille, ça m'arrangerait. »

« Je ne peux pas te considérer comme deux personnes différentes. »

« Tu ne peux pas te montrer un tant soit peu compréhensive pour une fois? »

« Pour moi, tu es l'esprit qui s'est emparé de mon corps et qui a tout oublié après ça. Une seule et même entité. Indissociable. C'est aussi simple que ça. Il n'y a pas que moi qui doit essayer de comprendre. Toi non plus tu ne fais aucun effort.»

...

Elle a raison.
Depuis le début je l'appelle "la folle", "l'autre", etc. Je ne l'ai jamais véritablement considérée comme un être humain, du fait que nos seules interactions ont lieu dans ma tête. Par moments j'en viens même à douter de son existence et à penser qu'elle n'est qu'une chimère créée de toutes pièces par mon imagination.
Maintenant que j'y pense, toutes ces pensées ont dû la blesser.

« ... Je comprends. » capitulé-je.

« Alors ne me reproche pas de te faire cette réflexion. »

Ma jambe droite se met soudainement à refuser de m'obéir pendant que je marche, et je me casse lamentablement la figure.

« Je vois que je m'améliore... » constate-t-elle.

« Tu... Quoi??? »

Je sens un tas d'émotions monter en moi. Colère, frustration, agacement...
Inquiétude.

- PUTAIN MAIS TU VAS ARRÊTER OUI??? J'EN AI MARRE DE TOI ET TES COUPS BAS À LA CON!!

Je l'ai crié à voix haute, mais je n'en ai rien à faire.
L'autre Johanna est en train de gagner du terrain.

Non seulement elle est à présent capable de rester éveillée presque toute la journée et d'en profiter pour me briser les cacahuètes, mais elle est également capable de contrôler temporairement des parties de mon corps.

« Désolée de te reprendre, mais théoriquement c'est MON corps. »

Comment est-ce que j'ai pu, ne serait-ce qu'un instant, éprouver de l'empathie envers elle?
Je serre les dents.
Je ne veux pas.
Je ne veux pas qu'elle prenne les commandes. Je ne vais pas me laisser faire.

J'ai beau avoir tout oublié des précédentes années de mon existence, je ne veux pas que le moi de maintenant disparaisse.

Je veux exister.

Exister pour continuer à fréquenter mes amis.
Exister pour découvrir le monde.
Exister pour en apprendre plus sur moi-même.
Exister pour laisser une trace de mon passage.
Exister pour connaître la vérité.

Exister pour vivre, tout simplement.

Et ce n'est pas une écervelée qui va m'en empêcher.


















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Heyy!!

Premièrement...
JE SUIS DÉSOLÉE!! T_T
Désolée d'avoir mis plus d'un mois pour sortir ce chapitre,
Désolée de ne même pas l'avoir fait particulièrement long,
Désolée, tout simplement désolée.
Veuillez me pardonner quand même 🙏

Pour tout dire, comme je l'ai déjà mentionné auparavant, je n'étais pas du tout – mais alors DU TOUT – inspirée.
Cependant...
L'inspiration est revenue! 😃 (D'où la sortie de ce chapitre.)

Alors, au cas où certains lisent cette histoire depuis le début, bah... Pardon et merci d'avance de ne pas abandonner, je suis déterminée à la finir! ^^

Alors non, ce looooong mois de pause n'annonce pas la fin, juste un grand trou de manque d'inspi...

Voilà voilà, c'était juste au cas où certains se posaient la question. (Soit dit en passant, les « certains » en question ne doivent pas être nombreux... Alors pourquoi j'écris tout ça moi?? 😅)

Enfin brefouille brefons,

À la prochaaaaaiiiiiine!!!
(Et cette fois-ci je prendrai moins d'un mois pour écrire le chapitre suivant XD)

- Nalvera

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