Chapitre 10: Encore
Tout est blanc autour de moi. Un décor infini, vide et d'une blancheur parfaite.
J'entends des pas qui se rapprochent. Je me retourne pour faire face à... moi-même.
Mon double s'arrête à un ou deux mètres de moi avant de me demander:
- Qui es-tu?
Je ferme les yeux quelques secondes pour me redonner contenance.
Encore.
Je suis encore dans ce rêve.
- Je suis Johanna, finis-je par répondre.
Elle me dévisage quelques secondes avant de répéter:
- Qui es-tu?
- Ça fait une semaine que tu me poses cette question trois fois par nuit, tu n'en as pas marre?
Nouveau silence. Et encore une fois elle me demande:
- Qui es-tu?
- En fait tu es amnésique c'est ça?
Oups.
J'avais oublié que moi aussi.
Bravo Johanna, crédibilité zéro!
Soudain, je repense aux mots de la chouette. Je ne sais pas si se fier aux paroles d'un volatile est la meilleure idée du siècle, mais je n'ai aucune autre piste.
La vérité. Il faut que je cherche la vérité.
Laquelle, je ne sais pas, mais autant essayer.
- Comme apparemment je ne sais pas qui je suis et que donc j'ai tout faux, peut-être que tu pourras me renseigner, toi? demandé-je.
Mon double me dévisage scrupuleusement.
- Alors tu ne te souviens vraiment de rien... murmure-t-elle.
- Wow, quelle perspicacité! raillé-je.
Elle me lance un regard noir.
- Je te rappelle que de ton côté tu as eu besoin de l'aide d'un oiseau pour penser à me poser une question.
- Urgh.
Son air fier m'agace. Et le pire c'est qu'elle a raison.
- Mais ne nous écartons pas du sujet, reprend mon sosie. Il est temps pour toi d'apprendre qui tu es. Ou plutôt qui tu n'es pas. Parce que c'est la seule chose que je sais sur toi.
Je fronce les sourcils.
- Comment ça?
- Premièrement tu n'es pas Johanna. Tu n'as pas 17 ans. Tes parents ne tiennent pas une librairie.
Je garde le silence en attendant la suite.
- Deuxièmement, Johanna a les yeux noirs, pas bleus. Et tu sais pourquoi?
À ce moment-là elle fait une pause, comme si elle tentait de refouler une multitude de sentiments qui l'envahissaient.
- Parce que JE suis la véritable Johanna. Et tu n'es pas moi.
C'est à ce moment que je me rends compte que la fille en face de moi me ressemble en tous points, sauf à un détail près.
Contrairement à moi, qui ait les yeux bleus, les siens sont noirs.
***
Je me réveille en sursaut, dégoulinante de sueur.
- C'est pas possible, murmuré-je.
Encore sous le choc, je me lève. J'erre dans ma chambre tel un fantôme, jusqu'à ce que j'arrive devant mon bureau.
Mécaniquement, j'ouvre le tiroir du bas pour prendre ma photo de classe d'il y a deux ans. Je la regarde fébrilement.
Noirs.
Les yeux de la Johanna de la photo sont noirs.
***
Je suppose que je n'ai pas besoin de préciser que le lendemain matin je suis comme éteinte.
En me voyant dans le miroir, je me rends comte que j'ai plus l'air d'un pâle ectoplasme que d'un être humain. J'ai le teint blême et maladif, les yeux hagards.
J'ai l'air de débarquer d'un autre monde.
Je ne prends même pas la peine de mettre un peu de maquillage pour masquer les dégâts, encore moins de me coiffer.
J'enfile un jean et un teeshirt (toujours noirs, évidemment) avant de souhaiter une bonne journée à mes parents et de sortir.
Pour aller au lycée il faut que j'aille à gauche. Je pars vers la droite.
C'est la première fois que je sèche. Je dirais même plus: c'est la première fois qu'il me vient ne serait-ce que l'idée de sécher.
Mais aujourd'hui j'ai trop de questions. Je ne peux pas aller à l'école comme si de rien n'était.
Qui suis-je? Si je ne suis pas Johanna, alors qui suis-je?
Comment se fait-il que mes parents ne m'aient jamais parlé du changement de couleur de mes yeux? Comment se fait-il que je puisse parler à une chouette?
Pourquoi ce rêve incessant? Et si c'est un rêve, alors c'est qu'il est généré par mon cerveau, sur la base de ce que je connais. Alors comment peut-il me parler de détails inconnus ou insoupçonnés de moi-même?
Toutes ces questions s'agitent dans ma tête, bourdonnent comme un essaim d'abeilles dans ma boîte crânienne.
Mes pas me mènent au parc municipal. Je repère un arbre pas trop haut dans lequel je peux grimper, et je m'y installe.
Je ferme les yeux. Le contact avec la nature m'apaise un peu. Pendant quelques instants je réussis à vider mon esprit.
Je me demande sans arrête qui je suis; mais au fond, pourquoi me remettrais-je en question à cause d'un rêve? Qui plus est, peu importe qui j'étais ou je ne sais quoi. Je suis moi.
Quant à mes yeux... Je sais pas, un changement lié à la puberté? Un peu comme certaines personnes ont leur nature de cheveux qui change. Et mes parents ne m'auraient rien dit en songeant à cette éventualité. Peu probable et pas très convaincant comme explication, mais pour l'instant c'est la seule que j'ai, et je me rassure comme je peux.
Pour le rêve, il s'explique par le subconscient. On m'a montré des photos de moi précédemment, sur le coup je n'ai pas remarqué que la couleur de mes yeux était différente mais mon cerveau a enregistré l'image. Ceci expliquerait cela.
Et en ce qui concerne la chouette... Et si... Et si je pouvais communiquer non seulement avec cette chouette, mais aussi avec toutes les autres et tous les animaux en général? Car je suis convaincue que ce n'est pas le fruit de mon imagination. J'ai clairement entendu sa voix dans ma tête.
Je rouvre mes yeux et j'observe autour de moi. Au bout de quelques instants, j'aperçois un écureuil dans un arbre voisin. Je plante mon regard dans le sien, essayant d'établir un lien. Ça marche! Il me fixe sans bouger!
... Avant de détourner la tête et de se barrer.
Je suis une idiote. Comment est-ce qu'un truc pareil pouvait marcher?
Je soupire en appuyant le dos de ma tête contre le tronc de mon arbre.
« Ça ne marche pas parce que tu ne peux le faire qu'avec les oiseaux. » fait une voix dans ma tête.
Je sursaute. Je cherche du regard la créature qui m'a parlé.
« Sur ta gauche. »
Je m'exécute et je vois un petit moineau. Si la voix de la chouette avait un timbre assez mystérieux et velouté, quasi mythique, celui du moineau est plutôt gai et aigu.
« Alors... Je peux vraiment communiquer avec des animaux? » demandé-je au petit oiseau.
« Comme je l'ai dit, avec les oiseaux seulement. »
« Wow. C'est... C'est... Cool. Mais comment est-ce possible? »
« Je ne vois pas pourquoi tu es surprise. »
« Bah en même temps, quel être humain normalement constitué ne serait pas surpris dans ce genre d'occasion? »
« Mais tu... »
Cependant le moineau n'a pas le temps de finir sa phrase, car un les siens l'appelle.
« Je dois y aller. À plus! »
Je le regarde s'envoler.
Pourquoi a-t-il eu l'air gêné en voyant ma surprise? Ma réaction est plutôt normale! D'ailleurs, pourquoi n'est-il pas surpris de pouvoir parler à une humaine, lui? Est-ce que tous les oiseaux sont comme ça?
Tant pis, je demanderai au prochain avec lequel j'aurai l'occasion de parler.
***
Le soir commence à étendre ses ombres fantomatiques. L'air s'est rafraîchi, aussi je frissonne.
Je jette un coup d'œil sur mon téléphone pour voir l'heure. 19h36.
Il est largement temps que je rentre à la maison. Je constate que j'ai reçu pas mal de messages de la part des deux Léa et de Jonathan.
Il y en a même un d'un numéro inconnu:
Johanna,
En tant que délégué de la classe, il est de mon devoir de m'informer sur ton absence. Premièrement parce que tu n'as pas prévenu la vie scolaire (ce qui je te rappelle est obligatoire) et deuxièmement pour savoir si tu vas bien. Réponds-moi dès que tu reçois ce message, certains s'inquiètent à ton sujet.
Cordialement,
Jean-Eudes
Je pouffe de rire en lisant son message. On dirait plus un mail professionnel qu'un SMS visant à se renseigner sur l'état d'une camarade de classe.
Je ne lui réponds même pas. Ni à lui, ni à personne d'autre d'ailleurs.
Depuis mon dialogue avec le moineau, je n'ai parlé à aucun autre oiseau. Cette connection mentale me demande beaucoup d'énergie, et je me sentais fatiguée.
Je descends de mon arbre et prends le chemin du retour.
C'était une bonne journée. Je suis certes heureuse d'avoir séché les cours, mais surtout d'avoir trouvé un terrain d'entente avec moi-même. À présent je me sens apaisée.
Et surtout, je me suis découvert un don.
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Heyyy!!
Chapitre un peu plus long que d'habitude, j'espère que ça vous a plu!
Les pièces du puzzle commencent à se mettre en place; et pour être honnête, j'ai eu du mal à ne pas donner trop de révélations d'un coup dans les deux derniers chapitres, entre le rêve et le moineau!
Enfin bref, finalement je suis plutôt contente du résultat, je pense avoir réussi à trouver un juste milieu. N'hésitez pas à me donner votre avis dans les commentaires! (J'adore quand il y a des commentaires, ça me fait toujours hyper plaisir, alors soyez sympas... *fait les yeux doux en espérant que ça marche...*)
Sur ce, à la prochaine!
- Nalvera
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