9. Une silhouette dans la brume
Les rues que les deux amis parcoururent baignaient dans une épaisse purée de pois qui rendait la visibilité presque nulle. Après avoir rejoint tant bien que mal une petite gare presque déserte, ils montèrent dans un train qui devait les amener jusqu'à la capitale. Assis l'un en face de l'autre, les jeunes hommes n'échangèrent que peu de mots durant le trajet assez bref.
Robert, le visage tourné vers la vitre, observait avec sa fascination habituelle le paysage brumeux défiler. Armé de son appareil photo, il mitraillait à rythme régulier tout ce qui présentait à ses yeux un quelconque intérêt.
Arthur était plongé dans ses pensées. Il tentait, une fois de plus, de faire remonter en lui quelques souvenirs. Il savait bien qu'il n'avait que peu d'espoir d'y parvenir puisque le sortilège d'amnesia les lui avait arrachés. Pourtant, à présent que le jeune homme avait appris que des échos pouvaient subsister, il ne pouvait s'empêcher d'espérer en ressentir de nouveaux. Peut-être ne s'agissait-il que de misérables miettes de mémoire, mais, pour un amnésique comme lui, elles se révélaient extraordinairement précieuses.
-Regarde, lui dit Robert, tout excité. On a une vue sur cette espèce de grande tour tout en métal très célèbre. Comment s'appelle-t-elle déjà ?
Son ami jeta un vague regard en direction de la tour Eiffel dont le sommet amputé disparaissait dans le brouillard. S'y était-il déjà rendu ? Il connaissait bien sûr ce monument, mais comme une personne ayant lu un dépliant touristique à son sujet. Peut-être s'agissait-il d'ailleurs d'un faux souvenir ? Philippe d'Aspignan avait évoqué cela. Les éléments impersonnels qui restaient dans sa mémoire pillée n'étaient peut-être aucunement authentiques. Mais comment pouvait-on distinguer un vrai souvenir d'un faux ? Etait-ce seulement possible?
Arthur ressentit tout à coup une vive douleur au niveau du front. Il plaqua les mains sur sa tête, ayant la douloureuse impression qu'une longue d'aiguille avait été plantée dans son cerveau.
- Ça ne va pas ? s'inquiéta Robert en se détournant de la fenêtre.
Arthur abaissa les bras avec lenteur.
- Si, si. C'était juste... Je ne sais pas trop. J'avais mal. Mais ça va mieux.
De fait, la douleur était déjà en train de s'estomper. Mais le jeune homme se sentait épuisé et haletait, le cœur battant, comme s'il venait de courir sur une longue distance. Il ferma les yeux et appuya sa tête contre la vitre, en quête d'un peu de fraîcheur.
- Tu es sûr que ça va, insista Robert. Tu veux rentrer à la maison ?
Arthur ouvrit les yeux et s'efforça de sourire.
- Tout va bien. C'est peut-être lié à mes troubles de mémoire. J'avais aussi mal à la tête quand nous nous sommes rencontrés.
- C'était la même sensation?
- Non, reconnut son ami, c'était plus long mais moins violent. Ce que je viens de subir ressemblait à une sorte de flash.
-Tu as quelque chose ? demanda Robert, très intéressé.
- Pas vraiment. Bien que pendant quelques secondes j'aie cru saisir...
Arthur ne savait pas très bien comment s'exprimer. C'était comme si une lumière s'était allumée une fraction de seconde dans une pièce sombre avant de s'éteindre aussitôt, avant qu'il ne puisse percevoir clairement quoi que ce soit. Il ne s'agissait pas d'un souvenir. Plutôt de quelque chose qui venait de se déclencher à l'intérieur de lui. Mais quoi ?
Le train ralentit. Robert jeta un coup d'œil par la fenêtre.
- Nous arrivons au terminus. Il n'est pas trop tard pour faire demi-tour...
- Je vais très bien, assura une nouvelle fois Arthur, un brin agacé de cette sollicitude.
Le jeune homme n'avait pas l'intention d'abandonner aussi facilement. C'était la première fois qu'il sortait réellement depuis son éveil dans la clairière, plusieurs semaines auparavant. Jusqu'à présent il s'était contenté de brèves promenades aux alentours de la maison de Philippe. La douleur avait de toute façon presque entièrement disparu à présent.
Désireux de prouver sa bonne forme physique, il se leva pour se diriger vers les accès de sortie du train qui entrait dans la gare de Saint-Lazare. Ses jambes tremblaient encore un peu, mais il parvint à s'avancer avec une relative assurance.
Lorsque les portes automatiques s'ouvrirent, une foule dense et bigarrée se pressa sur le quai. Les deux amis se firent aussitôt happer par le mouvement. La gare était bondée de voyageurs pressés ou en attente, courant par-ci ou par-là. Elle évoqua à Arthur une gigantesque fourmilière en pleine activité. Le jeune homme se sentait très mal à l'aise au milieu de toutes ces personnes, comme s'il n'avait pas sa place parmi eux. Il avait l'impression d'être...différent. Ce terme manquait certes de précision, mais c'était le seul qui lui venait à l'esprit pour le moment. Oui. Il n'était pas comme ces gens-là, même s'il aurait été bien en peine d'expliquer pourquoi.
Ils finirent par trouver une sortie. Robert avançait à vive allure. Arthur n'était cependant pas tout à fait certain qu'il savait où il allait. Le brouillard ici aussi masquait presque entièrement la lumière du jour et les voitures, qui ne cessaient de les dépasser, roulaient les phares tout allumés.
L'apprenti chevalier fronça le nez en sentant leurs gaz d'échappement.
- J'adore votre technologie, mais elle a tout de même de sérieux inconvénients. A bien des égards, Mundus est plus pur.
Continuant à avancer droit devant eux, ils passèrent le long des arcades des galeries Lafayette sous lesquelles des passants s'arrêtaient pour admirer les installations de Noël placées dans les vitrines. Des oursons en peluche, animés par des ficelles, bougeaient leurs petites pattes chaussées de minuscules skis en bois, sous les regards émerveillés de quelques enfants collés contre les vitres.
- Voilà quelque chose qui plairait à mon oncle, observa Robert qui paraissait très amusé.
Arthur frissonna.
- N'allons pas lui donner des idées ! Qui sait ce qu'il inventerait encore...
Alors qu'il s'apprêtait à suivre son ami qui avait repris sa marche, les yeux du jeune homme s'accrochèrent sur une petite fille brune, vêtue d'une robe et d'un manteau roses, qui devait avoir neuf ou dix ans. Elle le regardait fixement, les lèvres étirées dans un sourire mystérieux. Il y avait quelque chose de très curieux à son sujet. Tandis que les autres passants semblaient se noyer encore davantage dans la brume, la fillette devenait de plus en plus visible, comme si elle était la seule personne réelle dans un monde peuplé de silhouettes fantomatiques. La foule passait de part et d'autre d'elle sans lui prêter d'attention. Arthur avait l'impression qu'il était le seul à pouvoir la voir. Mais ce n'était pas là ce qu'il y avait de plus étonnant. Non. Un fait pour le moins étrange venait de se produire. Arthur connaissait cette enfant. Il en avait la certitude absolue. Il se sentait même capable de retrouver son prénom. Elle s'appelait...Elle s'appelait...
- Rose ?
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