8. Un écho du passé
Au grand dépit d'Arthur, le départ vers l'autre monde continuait à rester en attente. Une journée succédait à une autre. La lumière du soleil pâlissait chaque fois un peu plus tandis que l'hiver arrivait.
L'impatience du jeune homme ne cessait de croître au fur et à mesure des jours qui s'écoulaient. Il ne pouvait se défaire de la tenace impression de ne pas être à l'endroit où il aurait dû se trouver. Il lui semblait, même si Arthur était bien incapable de dire pourquoi, qu'une tâche l'attendait ailleurs. Une tâche importante. Il lui était de plus en plus insupportable de rester là, inactif, et n'avait plus qu'une hâte, se lancer enfin dans la chasse de ses souvenirs. Et quel lieu pouvait être plus indiqué pour cela que Mundus ?
Philippe, pour sa part, ne semblait pas pressé de laisser partir ses invités et trouvait toujours une bonne excuse pour les retenir encore un peu.
— Voilà Noël qui arrive, dit-il d'un ton plaintif aux alentours du premier décembre, alors que son neveu venait d'envisager un voyage en fin de semaine. Une fête dédiée à la famille, que je vais passer seul. Encore une fois. J'en ai l'habitude, mais enfin...
— Noël n'est même pas fêté sur Mundus, remarqua Robert avec bon sens.
Son oncle lui jeta un regard de chien battu.
— Que veux-tu ? Je vis expatrié sur Terre depuis maintenant si longtemps que j'en ai adopté les coutumes. J'aperçois tous les ans mes voisins se recueillir entre proches tandis que je reste solitaire dans ma demeure bien trop vaste pour une seule personne...
— Bon, concéda Robert, toujours prêt à se laisser manipuler. Peut-être pourrions-nous rester quelques jours de plus.
La petite moue du magicien se transforma aussitôt en sourire enfantin.
— Vraiment ? Il conviendrait alors de décorer la maison pour l'occasion.
Il se leva d'un pas guilleret et disparut vers un petit cagibi attenant à l'entrée où l'on ne tarda pas à entendre de grands bruits de remue-ménage. Il revint bientôt avec un carton surmonté d'un minuscule sapin encore emballé dans un filet.
— Je l'avais acheté au cas où, leur avoua-t-il en arrachant les ficelles.
— Que vas-tu pouvoir mettre comme décorations sur un arbre aussi petit ? demanda l'apprenti chevalier qui observait le chétif conifère avec une certaine condescendance.
Philippe lui fit un clin d'œil.
— Tu oublies que je suis un mage et que la taille des objets n'a pas de limite pour moi, lui dit-il, l'air très content de lui-même.
Il plaça avec application son sapin au centre de la pièce et marmonna :
— Allons bon, que je me souvienne de la formule correcte...Ah, voilà. Incrementum !
Il y eut comme une explosion. Stimulé par l'enthousiasme de Philippe, le sapin se mit à pousser de manière démesurée. Ses rameaux s'étirèrent dans tous les sens tandis que son sommet se rapprochait dangereusement du haut de la pièce. D'un vigoureux coup de branche, il envoya valser le lustre qui s'écroula à quelques centimètres de l'endroit où se tenait Robert. Puis, toujours insatisfait de sa taille, l'arbre continua de croître parallèlement au plafond qu'il n'avait pas réussi à percer. Il finit par s'arrêter en face d'un mur, plié en deux mais tenant par miracle encore debout.
Le magicien contempla l'étendu des dégâts, un peu penaud. Le salon jusqu'ici assez propre avait pris une certaine allure de forêt vierge. Des centaines de petites branches parsemaient les fauteuils en velours. Les débris du lustre gisaient éparpillés un peu partout. Un tableau ancien avait été éventré et pendait le long du mur, à moitié décroché.
— Oh...Hm... Je vais arranger cela. Il est évident que cet arbre prend un peu trop de place. Même si j'ai toujours été plus doué pour l'agrandissement que pour le mouvement l'inverse, pour tout vous avouer. Hm... Comment faire ?
Robert échangea un regard à la fois exaspéré et inquiet avec Arthur.
— Allons faire un tour, proposa judicieusement l'apprenti chevalier en époussetant les aiguilles de sapin qui couvraient ses cheveux et ses vêtements. Pourquoi n'irions-nous pas passer l'après-midi à Paris ?
Son ami approuva aussitôt cette idée qui lui semblait moins périlleuse que de rester dans cette pièce. Lorsqu'il revint avec son manteau et ses chaussures, Philippe, perché sur un escabeau, semblait avoir renoncé à son sort de rapetissement et était en train de s'appliquer à enrouler une gigantesque guirlande dorée autour de la cime du sapin penchée à 90 degrés.
— Après tout, cela décorera le plafond, dit-il avec bonne humeur.
Arthur espéra qu'aucun voisin n'aurait à mettre les pieds dans le salon. A moins que le sapin ne soit inclus dans le sort de camouflage.
Profitant du fait que l'apprenti chevalier n'était pas encore arrivé, le jeune homme questionna Philippe au sujet de la curieuse impression de déjà vu qu'il avait ressentie en entendant le nom du magicien Absalom.
— D'après le peu que je sais au sujet du sortilège d'amnesia, lui répondit Philippe qui essayait à présent d'accrocher une monstrueuse étoile en plastique rose à paillettes sur la pointe de l'arbre, il arrive que certains souvenirs de liens très forts ou d'événements marquants ou traumatisants restent sous forme d'échos dans la mémoire effacée. Pourrais-tu s'il te plaît me passer la boîte de cheveux d'ange ?
— Je pourrais donc avoir connu Absalom ? insista Arthur en lui tendant l'objet réclamé.
— Peut-être, même si cela serait assez étonnant. Tu en auras plutôt entendu parler. Absalom est un mage très indépendant, toujours par monts et par vaux. Il est rare d'avoir l'occasion de le rencontrer. Moi-même je n'ai jamais eu cet honneur. Mais cela viendra sans doute un jour. Après tout, il paraît qu'il est encore très jeune. Hm... Il va falloir que j'agrandisse à leur tour les guirlandes. J'ai bien peur de ne pas en avoir d'assez longues.
Robert descendit à ce moment-là l'escalier en trombe. Il avait dans les mains un petit appareil photo.
— Je profiterai de notre excursion pour prendre quelques clichés à montrer à ma famille, expliqua-t-il à Arthur. Peut-on y aller maintenant ?
Il regardait avec méfiance le sapin qui ne semblait pas avoir tout à fait décidé s'il n'allait pas tout compte fait s'écrouler.
— Je suis prêt, lui répondit son ami en enfilant une paire de gants.
Ils sortirent dans l'air vivifiant de ce début d'après-midi et traversèrent rapidement le jardin. L'apprenti chevalier claqua la porte de la grille d'entrée. Lorsque Arthur se retourna, le manoir de Philippe d'Aspignan était redevenu une innocente petite maison blanche.
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