7. Athanasios
La journée du lendemain se révéla maussade. Robert lui-même dut renoncer à sortir devant le rideau de pluie qui s'était impitoyablement abattu sur le jardin. Assis dans le salon sur le fauteuil le plus proche de la fenêtre, il regardait avec morosité le déluge emporter avec lui les dernières feuilles jaunies que l'automne finissant n'avait jusque-là pas encore réussi à arracher des branches.
Arthur se sentait également d'humeur mélancolique et ne parvenait pas à focaliser son attention sur le livre qu'il tenait ouvert à la même page depuis un certain temps. Sa concentration était troublée par le clapotis des gouttes d'eau qui, poussées par les bourrasques, venaient s'abattre par vagues sur les vitres. Les yeux fébriles du jeune homme ne cessaient de se relever pour se promener tout au long de la pièce. Ils finirent par s'arrêter sur une petite étagère en bois, garnie de quelques photographies auxquelles il n'avait jusque-ici pas encore prêté attention. Il ne tarda pas à reconnaître sur l'une d'entre elles un Robert plus jeune d'une dizaine d'années en train de poser devant la monumentale statue équestre du Roi Soleil qui gardait l'entrée du château de Versailles. Une petite fille légèrement plus âgée le tenait par la main. Elle avait les cheveux aussi blonds que lui et le même sourire espiègle.
-Est-ce l'une de tes sœurs ? Demanda Arthur en pointant du doigt le cliché.
Il savait que l'apprenti chevalier était issu d'une famille nombreuse.
Un éclair de tristesse traversa les yeux de Robert.
-Oui, répondit-il simplement. C'est Charlotte.
L'évocation de sa sœur semblait lui causer de la peine sans qu'Arthur puisse en comprendre la raison.
Il hésita.
-Est-ce que...est-ce qu'il est arrivé quelque chose à Charlotte ?
Robert avait à nouveau le regard tourné vers la fenêtre. Pendant un moment, Arthur pensa qu'il n'allait pas lui répondre.
-Athanasios.
L'apprenti chevalier avait parlé d'une voix si basse que le jeune homme ne fut pas certain d'avoir bien compris.
-Athanasios ? Répéta-t-il pour s'en assurer. Qui est Athanasios ?
Il était persuadé de n'avoir jamais rencontré ce nom dans l'une de ses lectures.
Robert soupira.
-Je ne cesse d'oublier que tu es ignorant de tout, ou presque. Athanasios était un magicien. Un mage noir. Il a surgi de nulle part il y a deux ans de cela, allié aux elfes noirs. Personne n'avait jamais entendu parler de lui. On raconte qu'il disposait d'une puissance surhumaine et qu'il pratiquait une magie inconnue. Pendant un temps, lui et ses troupes ont semé la terreur et la désolation, en particulier dans le royaume de Galva dont je suis originaire. On ne pouvait plus circuler sans prendre le risque d'être détroussé ou bien pire. C'est pour cette raison que je n'ai pas pu aller me faire adouber chevalier à la cour du roi Charles alors que je suis âgé de seize ans révolus.
Il était évident qu'il s'agissait aux yeux de Robert de l'un des crimes les plus impardonnables commis par Athanasios.
-Je t'entends depuis tout à l'heure parler de lui au passé, remarqua Arthur qui avait tout de suite noté ce détail.
Dévoré par la curiosité, il referma machinalement son livre qui n'avait plus d'utilité depuis un moment et le posa sur un buffet, accordant toute son attention à son ami.
-Athanasios n'est plus, lui précisa l'apprenti chevalier avec une féroce satisfaction. Il y a de cela un peu plus de deux mois, un mage étranger aux grands pouvoirs s'est opposé à lui. Il l'a défié en combat singulier, l'a vaincu et l'a tué.
-Comment se nomme ce mage étranger ? Voulut se faire préciser Arthur.
-Absalom.
Arthur sursauta intérieurement. Ce nom lui semblait vaguement familier, comme s'il s'agissait de celui d'une connaissance lointaine qu'il n'aurait pas vue depuis longtemps. Il fouilla dans son esprit pour essayer de se rappeler quelque chose à son sujet mais n'y rencontra que le vide désormais habituel qui caractérisait sa mémoire. Aurait-il pu entendre Philippe mentionner ce mage au cours des derniers jours ? Non. Il était prêt à en mettre sa main à couper.
-Que s'est-il passé ensuite ? Après la mort d'Athanasios ? La situation s'est-elle rétablie ?
Robert fit une petite grimace.
-Plus ou moins. Disons qu'elle est en voie d'amélioration. La plupart des elfes noirs se sont dispersés après la chute d'Athanasios. D'autres errent toujours dans les campagnes en commettant de petits raids et chevauchées que les armées royales ne parviennent que fort difficilement à contrer.
Contemplant la pluie qui continuait à tomber dru, Arthur se remémora les informations qu'ils avait lues les jours passés au sujet des elfes et qui l'avaient beaucoup intéressé. Il avait été stupéfait d'apprendre que ces êtres, qu'il considérait comme des créatures de légendes, existaient réellement sur Mundus et semblaient même en être les habitants primitifs. En profond désaccord sur l'attitude à adopter quant à l'irruption des humains il y a des siècles de cela, ils s'étaient divisés en deux peuples bien distincts. Si les elfes blancs préféraient vivre entre eux et se mêler le moins possible aux affaires humaines, les elfes noirs, bien plus sauvages et cruels, combattaient les hommes à chaque occasion qui leur était offerte.
-Athanasios a enlevé ma sœur, lâcha soudain l'apprenti chevalier, qui avait lui aussi les yeux rivés sur la fenêtre sur laquelle la pluie dégoulinait à vive allure.
Son ami tourna aussitôt la tête vers lui. Robert continuait à regarder droit devant lui
-Elle et de nombreux autres, poursuivit-il, le visage dur et fermé. Il les a emmenés dans son repaire, comme otages. Personne ne connaît leur sort exact. Je suis néanmoins intimement persuadé que Charlotte est toujours vivante. On raconte qu'Absalom sillonne les deux mondes pour tenter de localiser la forteresse d'Athanasios. Certains pensent qu'elle pourrait se trouver sur Terre. Après mon adoubement, je le rejoindrai dans sa quête. Je capturerai le Prince noir et ce serait bien le diable si je n'arrive pas à le faire parler !
Il se leva d'un bon, manifestement prêt à mettre sa menace à exécution sur le champ. Arthur n'aurait pas aimé être à la place de ce Prince noir.
-Qui est donc cette personne ? S'informa-t-il.
-Le Prince noir ? Il est le fils et héritier d'Odilon, le roi des elfes. On raconte qu'il est très proche d'Athanasios, même si ce dernier est apparemment un humain, et qu'il serait son ami. Très certainement son unique ami, si tu veux mon avis.
De cela, l'apprenti chevalier avait l'air fermement convaincu.
Arthur était désolé de la perte dont Robert avait été victime. Il espérait de tout cœur qu'il puisse retrouver un jour Charlotte. Ses pensées se tournèrent vers sa propre famille. Avait-il également des frères et sœurs, en train de s'inquiéter pour lui à l'heure actuelle ? Il était bien évidemment incapable de le savoir. A vrai dire, il peinait même à l'imaginer. Il ne ressentait aucun manque dû à l'absence d'un être cher. En réalité, il n'éprouvait presque rien. Les émotions étaient-elles à ce point-là liées aux souvenirs ?
-Tout va bien ? Lui demanda Robert, toujours debout.
Arthur lui adressa un pâle sourire.
-Oui. Je suis juste... un peu déboussolé.
L'apprenti chevalier haussa un sourcil.
-Si tu es déjà déboussolé sur terre, je n'ose imaginer tes réactions lorsque nous gagnerons Mundus.
Son ami se mit à rire de bon cœur. La découverte de l'autre monde allait certainement lui réserver de multiples surprises. Ce voyage ne lui procurait aucune appréhension, seulement une immense impatience.
Il était alors loin de se douter de tous les ennuis qu'il allait y rencontrer.
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