6. Leçon de magie
La semaine qui suivit ne laissa dans l'esprit d'Arthur qu'une impression assez floue. Robert passait la plupart de son temps à gesticuler de manière complexe avec son épée. Il avait proposé à Arthur de s'entraîner avec lui, mais ce dernier, après quelques essais calamiteux, avait bien vite renoncé. Il arrivait à peine à soulever l'arme et Robert ne cessait de la lui arracher des mains pour lui montrer le mouvement correct, ce qui l'agaça rapidement. Le jeune homme avait au moins acquis une certitude : peu importe son origine, il n'était assurément pas un chevalier.
Lassé de rester à regarder son nouvel ami sans rien faire, il avait emprunté à Philippe d'Aspignan des livres consacrés à Mundus ainsi que des grimoires de sortilèges divers et variés qu'il dévorait inlassablement. Curieusement, il comprenait le latin de mieux en mieux et il parvint même, au bout de quelques jours, à traduire approximativement un peu de grec ancien. Ces deux langues, qui lui étaient presque inconnues il y a peu, s'incrustaient dans son esprit avec une facilité déconcertante. Peut-être venait-il bien de Mundus, finalement ? Cela dit, il pouvait également les avoir étudiées dans un lycée terrien. Oui, cela ne pouvait pas constituer une preuve.
Un fait, cependant, le frustrait au plus haut point: il ne réussissait pas à produire de la magie. Pas la moindre petite étincelle. Quelle que soit la langue qu'il utilise.
Dépité, il devait se contenter d'observer Philippe travailler.
L'emploi du temps de l'oncle de Robert semblait pour le moins flexible. On le voyait rarement émerger avant dix heures sonnées, une éternelle tasse de café à la main. Il disparaissait ensuite une bonne vingtaine de minutes derrière son journal en papier à l'ancienne qu'il continuait de se faire livrer tous les jours. Après avoir consulté ses mails, il prenait une petite collation composée de biscuits secs tout en écoutant de la musique baroque. Il partait ensuite s'occuper du déjeuner en sifflotant des airs d'opéra. Ce n'est qu'après une courte sieste digestive, suivie d'un nouveau café, qu'il se mettait réellement au travail. Ce dernier ne semblait pas non plus particulièrement exténuant. D'après ce qu'Arthur pouvait constater, il consistait essentiellement à parcourir plusieurs ouvrages en griffonnant des notes d'une écriture hâtive presque illisible. Ce n'était que de temps en temps que Philippe pratiquait réellement de la magie. Prononçant des formules à haute voix, il faisait se déplacer des chaises, rangeait ses livres sans se déplacer ou fermait les rideaux d'un claquement de doigts.
Arthur le soupçonnait de frimer un peu, pour l'impressionner.
Le magicien semblait fort satisfait de disposer d'un public plus attentif que son neveu pour écouter ses grands discours sur la magie.
— L'important n'est pas tant la formule que la volonté, dit-il un jour à Arthur après le déjeuner.
Robert s'était empressé de filer dans le jardin, son épée sous le bras.
— Il faut vraiment vouloir que le sort fonctionne. Hm...Prenons l'exemple de cet objet.
Il poussa au centre de la table sa tasse de café encore à moitié pleine.
— Si je veux changer sa couleur pour la faire passer du rouge au bleu, il ne faut pas seulement que je dise novus color, mais que je visualise le coloris souhaité avec tout mon esprit.
Il se lança sur le champ dans une démonstration pour illustrer son propos. Fasciné, Arthur regarda le rouge de la tasse passer du violet au bleu. Le liquide lui-même avait pris une curieuse teinte lilas.
— Puis-je faire une tentative ? demanda-t-il à Philippe qui inspectait son café d'un air suspicieux.
— Je t'en prie.
Renonçant prudemment à terminer sa boisson, le magicien poussa la tasse plus loin pour la mettre en face du jeune homme. Ce dernier ferma les yeux un instant pour mieux se concentrer, puis les rouvrit. Il imagina fermement la porcelaine devenir verte.
— Novus color ! prononça-t-il d'une voix claire tout en pensant de toutes ses forces « vert ! vert ! vert ».
Rien ne se passa. La tasse resta tout aussi bleue. Le café aussi.
Arthur échangea un regard déçu avec Philippe. Il aurait tellement aimé pouvoir disposer de quelques dons, même modestes.
— Est-il possible de développer des pouvoirs avec le temps et de l'entraînement? demanda-t-il sans grand espoir au magicien.
— Non, je suis navré. On ne peut exercer ses pouvoirs qu'à la condition d'en avoir déjà. On naît avec de la magie. On n'en obtient pas.
C'était bien ce que le jeune homme avait cru comprendre. Il ne pouvait cependant s'empêcher d'espérer... Après tout, ce n'était pas totalement invraisemblable. Une personne mal intentionnée lui avait bien jeté un sort très complexe pour lui arracher ses souvenirs. Comment dans ces conditions ne pourrait-il n'être qu'un simple Terrien sans intérêt aucun ? Il devait être quelqu'un d'important, ou au moins quelqu'un disposant d'une information importante. Rien de tout cela n'aurait de sens, sinon. Il était certain de n'être ni un chevalier ou un guerrier. Il n'était donc pas totalement absurde d'imaginer qu'il puisse être un magicien, n'est-ce-pas ?
Il regarda Philippe aller déposer la tasse bleue dans l'évier. Il savait que l'oncle de Robert en était arrivé plus ou moins à la même déduction que lui.
— Comment les magiciens gagnent-ils au juste leur vie ? le questionna-t-il à la fois pour se changer les idées mais également par réelle curiosité.
Il n'avait jamais vu Philippe faire quelque chose susceptible de rapporter des sous.
— Oh, répondit le mage en se rasseyant en face de lui avec une nouvelle tasse pleine, la plupart d'entre nous n'avons pas à nous préoccuper de ces détails bassement matériels. Je pense que tu sais que les pouvoirs se développent essentiellement dans les familles nobles ?
Le jeune homme hocha la tête. Il avait lu dans l'un des livres sur Mundus que la magie était héréditaire.
— Nous pouvons donc nous contenter de vivre des revenus de nos terres. Certaines personnes se consacrent exclusivement à la recherche de la connaissance ou tentent de mettre en place de nouveaux sorts. Ils passent la majeure partie de leur temps enfermés, vivant en ermites, et ont la réputation d'être un peu étranges.
Arthur se demanda si Philippe se considérait comme faisant partie de cette catégorie.
— Les plus audacieux s'engagent parmi les mages de combat qui ont la particularité d'être à la fois des chevaliers et des magiciens. Ils constituent une caste très fermée et extraordinairement prestigieuse.
— Robert cherche-t-il à en faire partie ? demanda Arthur en se rappelant sa première rencontre avec l'apprenti chevalier.
Philippe avala son café de travers.
— Hm, non. Robert n'a pas...Disons...Tous les nobles ne disposent pas des mêmes capacités magiques. La plupart d'entre eux en sont même totalement dépourvus. Mon neveu a quelques pouvoirs. Mais cela ne peut suffire à prétendre au titre de magicien.
Il s'interrompit un moment pour finir sa tasse jusqu'à la dernière goutte avant de poursuivre.
— Il arrive de temps en temps que la magie se développe chez quelqu'un du peuple. Rarement de manière puissante. Un magicien roturier peut se rendre utile de multiples façons, en s'engageant comme mercenaire dans une armée ou en vendant de petits objets ensorcelés.
Au ton de sa voix, il était évident qu'il ne considérait pas ces non nobles comme de véritables mages.
— Existe-t-il des lieux pour apprendre la magie ? le questionna Arthur.
Philippe se lança dans une description riche en détails de l'Académie, une vaste citadelle pourvue d'une immense bibliothèque dans laquelle des magiciens de tous les pays se rassemblaient pour étudier et échanger leurs connaissances.
Ils furent bientôt tant absorbés par leur conversation qu'ils ne firent plus attention à rien. Si l'un d'entre eux s'était levé et avait jeté un coup d'œil plus attentif vers l'évier, il aurait cependant pu constater que la tasse de tout à l'heure était à présent colorée d'un beau vert pomme.
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