59. D'eau en crocs


     Le temps sembla se figer. Guiffard de Longueville observa la perruque d'un air interdit puis baissa son regard sur Arthur qui n'avait passé que la moitié de son corps dans l'ouverture. Une expression de compréhension s'afficha alors sur le visage du vieillard.

— C'est Athanasios ! Attrapons-le! rugit-il.

Pris d'un brusque élan de bravoure, le gardien se jeta à plat ventre sur le sol et s'agrippa à la cheville droite d'Arthur qui se trouvait encore sur Terre. Le jeune homme dut se retenir aux rebords de la porte pour ne pas se laisser entraîner.

Je regardai la scène de l’autre côté, indécise. Mon instinct me poussait à aider Arthur. Ma raison me dictait de ne pas soutenir publiquement Athanasios.

J'avais toujours été une personne raisonnable. 

Guiffard tirait de plus en plus fort, démontrant par là même une robustesse impressionnante pour un homme de son âge.

Arthur dégagea une main et fouilla dans sa poche. Il en sortit un long couteau qu'il enfonça sans hésiter dans l'un des avant-bras du gardien qui cria de douleur et lâcha prise. Le jeune homme en profita pour achever de glisser par la porte et se releva.

Je regardai la lame tâchée de sang, choquée.

— Viens ! me dit rudement Arthur en me saisissant la main.

Il me tira vers l'avant. Nous nous mîmes à courir. Je n'avais pas la moindre idée de l'endroit où nous nous trouvions. Il devait s'agir d'un château de Mundus. J'aperçus quelques meubles et tapisseries en traversant à toute allure une enfilade de pièces aveugles. Il n'y avait en revanche nulle âme qui vive.

— C'est étrange, souffla Arthur au bout d'un moment. Ils ne nous poursuivent pas.

Je tendis l'oreille, hors d'haleine. Il est vrai que nous n'entendions que les battements frénétiques de nos cœurs et le bruit de nos pas qui résonnaient sur les dalles du sol.

Le jeune homme finit par s'arrêter et regarda autour de lui avec méfiance.

— Il se passe quelque chose de très étrange. De la magie.

Au même instant, un petit filet d'eau vient mouiller nos semelles.

— D'où vient ce liquide ? m'étonnai-je.

Arthur m'adressa un signe d'ignorance. Nous ne remîmes à courir. Le petit filet s'était transformé en ruisseau puis en rivière. Nous pataugions de plus en plus difficilement. L'eau atteignit nos genoux au bout d'à peine une minute. Au bout de deux nous en avions jusqu'à la taille.

Je m'accrochai au jeune homme.

— Je... je ne sais pas nager, avouai-je, effrayée.

Arthur se mordit la lèvre.

— Et moi je ne me souviens pas de l'avoir fait un jour. Il faut que nous trouvions une sortie au plus vite.

Cette maudite demeure semblait cependant ne posséder ni porte ni fenêtre. L'eau nous monta jusqu'au cou.

— Monte sur mon dos, me lança Arthur d'un ton pressant. On va bien voir si je suis capable de nager ou non.

Je lui obéis aussitôt et accrochai mes mains autour de son cou. Il apparut que le jeune homme savait plus ou moins flotter. Il avança tant bien que mal en agitant les bras, alourdi par mon poids. Des flots d'eaux tourbillonnaient autour de nous. Terrifiée, je ne cherchais même pas à comprendre comment ce déluge surnaturel avait pu envahir aussi rapidement le château. L'inondation n'allait pas tarder à monter jusqu'à plafond et nous noyer.

Nous atteignîmes soudain un petit espace encore à sec. Arthur s'y posa. Je me laissai tomber à côté de lui, trempée jusqu'aux os et grelottant de froid et de peur.

— Qu'est-ce que c'est que ce cauchemar ? demandai-je en claquant des dents.

— Oh, me répondit le jeune homme d'un ton pensif, ce n'est pas un rêve. J'ai appris à faire la différence entre un songe et la réalité, crois-moi.

L'eau léchait déjà les rebords de notre refuge.

— Peu importe ! m'emportai-je. Fais quelque chose et vite !

Il regarda d'un air concentré les flots qui nous rattrapaient.

— Hm. Cette eau est causée par un sortilège, je peux le sentir. Une magie très puissante et ancienne.

— Je suis moi aussi tout à fait intéressée par ce phénomène, le coupai-je. Mais je te signale que nous n'allons pas tarder à périr. Il y a donc peut-être plus urgent que d'étudier le pourquoi du comment.

Arthur m'adressa un regard désapprobateur.

— Voyons, Charlotte. Il est toujours important de connaître l'origine de ses problèmes afin de mieux les régler.

Il ignora mon regard furibond et ferma les yeux un instant.

— Je pense pouvoir gérer cela, dit-il finalement avec un petit sourire satisfait.

Il leva sa main gauche, paume vers le bas, et fit un ample geste de bras vers la gauche. Le flot d'eau suivit aussitôt l'impulsion qu'il avait donnée. Soulevant son autre main, il se mit à réaliser des mouvements de balancier.

Je le regardai faire, époustouflée. L'eau semblait obéir au moindre de ses ordres muets et commença lentement à refluer. Mes yeux étaient cependant fixés sur Arthur. A quel moment était-il devenu si puissant ? Concentré sur sa tâche, il paraissait parfaitement à l'aise. Jamais je ne l'avais trouvé aussi fascinant. Il en était presque effrayant.

J’ai appris bien plus tard que beaucoup de personnes restent toujours persuadées aujourd’hui qu'Athanasios n'aurait en réalité jamais perdu la mémoire. Qu'il aurait simulé son amnésie afin de se rapprocher de la cour et des personnes d'importance du royaume ou pour quelque autre obscure raison. Je n'ai jamais voulu donner crédit à cette rumeur absurde. Ce jour-là, pourtant, en observant l'aisance avec laquelle le jeune homme manipulait les éléments, j'aurais peut-être été portée à la croire.

L'eau reflua et s'abaissa à peu près au même rythme qu'elle était montée. Il ne resta bientôt que quelques flaques éparses sur le dallage.

Je constatai alors que le petit coin sur lequel nous avions trouvé refuge était en réalité une imposante armoire. Au moment où je me demandais comment nous allions descendre de là, le meuble se mit à trembler comme si quelque chose s'agitait à l'intérieur. Les portes vibrèrent puis cédèrent. L'instant d'après, deux gros animaux verts pourvus de longues mâchoires que j'avais vus jadis dans un zoo terrien en sortirent. Leur nom me revint à ce moment-là : des alligators.

— Quelle est encore cette sorcellerie ? m'exclamai-je en levant précipitamment les jambes.

— Ça, c'est une illusion, me répondit Arthur d'un ton très calme.

Avant que j'ai eu le temps de l'en empêcher, le jeune homme s'accrocha au sommet de l'armoire, se laissa glisser et sauta sur le sol. Les créatures cauchemardesques se précipitèrent aussitôt sur lui. Le premier alligator ouvrit sa longue gueule. Mais, alors que ses dents allaient se refermer sur le bras d'Arthur, il disparut purement et simplement. Son compagnon s'était également volatilisé.

— Tu vois ? me dit le jeune homme en levant la tête avec un sourire rassurant. De simples illusions. Tu peux descendre maintenant. Les méchantes bêbêtes sont parties.

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