57. Duel à l'aéroport
— Elle ne nous attaquera pas devant tous ces gens, n’est-ce-pas ? demandai-je en continuant à fixer la créature avec méfiance.
L’ominosus avait adopté la forme d’une adorable fillette aux yeux innocents. Les autres voyageurs passaient à côté d’elle sans lui prêter attention, tandis que je ne parvenais pas à en détacher les yeux.
Arthur inspira.
— Non, répondit-il lentement. Les ominosi ne sont supposés passer à l’action que lorsque leur proie est isolée. Rose ne pourra rien tenter au milieu de cette foule. Du moins je l’espère.
La petite fille nous adressa cependant un sourire éclatant.
— Arthur, chantonna-t-elle d’une voix mélodieuse. Mon cher Arthur. Tu m’as tant manqué.
Son rictus s’accentua. Des dents démesurées s’échappèrent de sa bouche grande ouverte. De longues griffes avaient remplacé ses mains délicates. Puis tout son corps enfla comme un monstrueux ballon noir.
L’instant d’après, une créature de cauchemar nous faisait face.
Nous restâmes pétrifiés un instant. Si la silhouette de la petite Rose était passée inaperçue, il n’en allait pas de même pour cette abomination surgie de nulle part. Quelques personnes se mirent à crier. D’autres semblaient juste surprises. Peut-être pensaient-elles qu’il s’agissait d’un canular particulièrement réaliste organisé par l’une de ces émissions de caméra cachée que je me souvenais d’avoir vues chez mon oncle Philippe.
Réagissant le premier, Arthur me poussa sur le côté.
— Va te mettre à l'abri quelque part, m'ordonna-t-il. C'est après moi que cette créature en a.
Puis il partit en courant à toute allure, écartant les autres voyageurs sans grande douceur.
*
Arthur filait à toute allure au milieu de la foule, cherchant désespérément un plan. Un coup d’œil derrière son épaule lui permit de constater que la créature s’était bien lancée à sa poursuite. Le jeune homme se frayait très difficilement un passage à travers la foule en panique tandis que le monstre semblait ne pas avoir besoin de toucher le sol pour se déplacer et glissait dans les airs comme un sinistre fantôme.
L’ominosus bondit. Arthur se jeta sur le côté. La gigantesque mâchoire le manqua de peu et s’enfonça dans l'épaule d'une femme en veste et tailleur qui ne s'était pas écartée assez vite. Cette dernière cria tandis qu'un flot de sang coulait de sa blessure. La bête, cependant, ne s'intéressait déjà plus à elle et darda à nouveau son regard sur Arthur.
Le jeune homme reprit sa course, cogitant à toute vitesse. Cette fois-ci, Robert n'était pas là pour lui venir en aide. Tassilon non plus. Il allait devoir se débrouiller par lui-même. Si seulement il avait eu une épée sous la main...
Pris d'une subite illumination, Arthur se souvint de la présence dans la poche de sa veste du pistolet que Katsuo lui avait fait emporter. Malgré ses mains qui tremblaient sous l’effet de la panique, il réussit à sortir son arme de son étui et se retourna pour faire face à la créature. Elle n'était qu'à deux mètres de lui, ses longues dents prêtes à l'attaquer à nouveau.
Le jeune homme fit feu. A cette distance-là, il était impossible de rater sa cible, même pour un tireur aussi déplorable que lui. La balle transperça l’ominosus duquel s’échappa un liquide noir gluant.
Le monstre poussa un bref hurlement strident puis se redressa. Le trou causé par le projectile s’était refermé.
Arthur tira à nouveau jusqu'à vider son chargeur. La créature parvenait à se régénérer à chaque fois.
Le jeune homme laissa tomber sur le sol son arme désormais inutile. Robert et lui avaient pourtant réussi à détruire irrémédiablement les deux premiers ominosi, plusieurs mois auparavant. Qu’avaient-ils donc fait de particulier ?
Arthur se laissa une demi-seconde de réflexions. Robert avait coupé la créature en deux. Quant à lui, il avait utilisé un morceau de plastique incandescent pour mettre feu à la bête. La conclusion était logique : sans doute fallait-il endommager suffisamment le corps de ce monstre pour qu’il lui soit impossible de se reconstituer.
Le jeune homme n'avait pas d'épée sur lui, mais il était très habile à manier le feu.
Il se souvint que Philippe d’Aspignan avait mentionné à plusieurs reprises la stricte interdiction de révéler l’existence de Mundus. Il se rappela que le Prince Noir lui avait bien recommandé de ne pas montrer ses pouvoirs. Il songea qu'il se trouvait dans un hall d’aéroport terrien extrêmement fréquenté et truffé de caméras. Puis il se dit que tout cela lui était au fond bien égal. Il n'avait pas d'autre choix.
Ecartant largement les bras, Arthur se représenta une grosse boule de feu qui ne tarda pas à se matérialiser devant lui. Il poussa alors les mains en avant et envoya son projectil sur le monstre. L’ominosus en flammes hurla à nouveau. Il fut réduit en cendre en moins de trente secondes.
Le jeune homme sentit soudain une main attraper son bras. Il se retourna, prêt à se défendre, mais vit qu'il ne s'agissait que de Charlotte.
*
—Il faut que nous nous éloignions d’ici au plus vite, lui dis-je d'un ton pressant.
La plupart des voyageurs courraient déjà vers les portes de l’aéroport, mais d'autres avaient les yeux fixés sur nous. Je vis plusieurs personnes brandir ces objets qui servaient aux Terriens à téléphoner et à prendre des photos. J'imaginais qu'ils avaient filmé la créature, et donc les actions peu conventionnelles d'Arthur... C'était évidemment un problème, mais il nous fallait parer au plus urgent.
Arthur me saisit par la main et m'entraîna en direction de la sortie. Nous nous mêlâmes à la foule sans trop de difficulté, zigzaguant au milieu des bagages abandonnés. Personne ne sembla avoir envie de nous arrêter. Tous voulaient sortir d'ici le plus vite possible. Quelques policiers arrivèrent par une autre porte et regardèrent autour d'eux, cherchant la source du danger.
Une fois à l'extérieur, nous continuâmes à courir droit devant nous avant de nous engouffrer à la suite d’autres gens dans un tram bondé.
— Nous devons absolument atteindre la porte intermondiale au plus vite, me dit Arthur d'un ton tendu tandis que le véhicule se mettait en mouvement.
— Tu as été filmé.
— Je sais.
Nous échangeâmes un même regard angoissé. Les autres passagers autour de nous braillaient dans une langue que je ne connaissais pas. Certains regardaient quelque chose sur leur téléphone et je craignais que la vidéo du combat d’Arthur ne circule déjà sur internet.
Le jeune homme semblait avoir la même inquiétude et s’était réfugié dans un coin, à moitié caché par un porte-bagages. Je le vis sortir de son sac à dos une perruque de cheveux blonds bouclés qu’il enfonça sur sa tête.
Je le regardai. Ce n'était pas extraordinairement convainquant.
— Je l'avais prise pour tromper le gardien de la porte, m'expliqua Arthur avec une petite grimace d'excuse. Je ne pensais pas que j’allais autant attirer l’attention.
— Tu crois que le gardien a le signalement d'Athanasios ?
— J’en suis même certain. Mon portrait a été placardé dans tout le royaume. Je suppose que ceux qui gardent les accès entre les mondes ont été les premiers à recevoir ma photo.
— Et tu estimes que changer de cheveux sera suffisant ?
—Avant mon petit numéro de l’aéroport, peut-être. Maintenant, je l’ignore...
Il se tut et regarda le passage défiler par la fenêtre du tram. Les grands bâtiments industriels avaient laissé place à des rangées de maisons grises identiques les unes aux autres.
Nous finîmes par descendre. Une petite bruine tombait du ciel, éparpillée dans toutes les directions par un grand vent, et il faisait frais pour une journée d’été. Arthur dut mettre une main sur sa tête pour empêcher sa perruque de s’envoler.
Je me tournai vers lui.
— Peux-tu me dire à présent où se trouve la porte intermondiale ?
Le jeune homme fit une petite grimace.
— A vrai dire, je ne dispose pas de renseignements très précis. La demeure se trouverait quelque part dans une ruelle de la vieille ville.
Nous montâmes en direction long d’une longue rue située sur une hauteur. Elle était envahie de touristes que la pluie n’avait manifestement pas découragés. De nombreuses petites sentes partaient de cette avenue entre les boutiques de souvenirs.
Je soupirai à l’idée de la quête qui nous attendait. Arthur avait déjà commencé à explorer une première impasse. Je lui emboîtai le pas sans grand entrain.
— J’en ai assez ! m’exaspérai-je après avoir descendu puis remonté en vain une troisième ruelle. Qui a eu l’idée stupide de construire une ville en pente avec des escaliers partout ?
— Un grand nombre de cités de Mundus sont construites sur le même modèle, observa Arthur qui scrutait chaque maison avec attention.
Je grinçai des dents. J’avais horreur d’être prise en tort.
— Moui, bon, mais ce n’est pas une raison…
Je suivis le jeune homme qui s’engageait déjà vers la descente suivante.
— Tu es sûr que tu ne t’es pas trompé de ville, au moins ? insistai-je, d’humeur maussade.
J’avais mal aux jambes à force de marcher, j’étais frigorifiée par l’humidité qui régnait en ces lieux et j’avais faim. Je jetai un regard mauvais à la maison la plus proche de moi. Et écarquillai les yeux.
— Arthur, regarde !
Le jeune homme me rejoignit aussitôt et leva les yeux vers le bâtiment que je pointais du doigt. Par-dessus le seuil d’entrée, on pouvait parfaitement distinguer les mots suivants : Januae Mundi, les portes de Mundus.
Nous avions trouvé la demeure du gardien.
Arthur eut un sourire satisfait.
— J'imagine qu'il faut sonner ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top