56. Dans les airs

     Arthur finit par s'arrêter et fouilla dans son sac à dos.

— Tiens, ta pièce d'identité, me dit-il d'un ton froid en me tendant une petite carte plastifiée sur laquelle figurait une photographie me représentant. Nous sommes supposés être Kevin et Jessica Brouet. Un frère et une sœur, si cela peut te rassurer...

Puis il se remit en route en direction d'une file qui s'était formée devant une barrière.

Je le rattrapai.

— Arthur, commençai-je, j'ai juste fait une remarque au sujet de ton passé. Je ne voulais pas dire que je te considérais actuellement comme un mage noir. Sans tes souvenirs, tu es quelqu'un de plutôt sympathique.

Le jeune homme soupira.

— Ce n'est pas ça, Charlotte. C'est juste que...Oh, et puis tant pis.

Je fronçai les sourcils.

— Quel est ton problème ?

Il me jeta un regard frustré.

— Rien, marmonna-t-il finalement. Je suis un peu tendu par les événements, je crois. Et inquiet pour le bon déroulement du plan. À commencer par le franchissement des contrôles de sécurité de l'aéroport...

J'observai deux hommes vêtus d'une tunique orange vif qui laissaient passer les voyageurs un par un après avoir regardé des cartes semblables à celles qu'Arthur venait de me confier. Cette épreuve ne me semblait pas insurmontable.

— En quoi ce franchissement est-il difficile ?

Le jeune homme jeta un regard méfiant autour de lui avant de se pencher vers moi.

— Nous avons de fausses cartes d'identité, me murmura-t-il. Je ne sais pas dans quelle mesure elles peuvent faire illusion. Et j'ai un couteau et une arme à feu sur moi.

— Et ?

— Et c'est interdit d'en posséder dans ce pays. Et d'autant plus lorsqu'on prend l'avion.

Je levai les yeux au ciel. Les Terriens étaient parfois fort déconcertants. J'imaginais bien la tête de mon frère Robert si on lui interdisait de trimbaler son épée avec lui.

— Pourquoi en as-tu pris, alors ?

Arthur se mordit la lèvre.

— Nous ne savons pas ce qui nous attend une fois de retour à Mundus. Peut-être aurons-nous besoin de nous défendre...Katsuo m'a donné un étui spécial sur lequel Athanasios avait, paraît-il, jeté un sort pour le rendre indétectable.

— Bon. Tout va bien alors.

Arthur hésitait toujours.

— Mais et si le sortilège ne fonctionne plus ? Ou si...

Je le poussai en avant, agacée.

— Cesse donc de tergiverser et allons-y !

Les hommes en orange nous laissèrent passer sans même lire les informations écrites sur nos cartes. Il nous fallut déposer notre sac sur une surface qui avançait toute seule. Puis nous nous retrouvâmes devant une sorte de portique blanc que nous devions franchir.

Arthur s'avança avec un tel air de culpabilité sur le visage que je ne compris pas pourquoi les hommes d'armes qui le gardaient ne l'arrêtèrent pas aussitôt. Ces derniers ne semblaient cependant pas avoir noté quoi que ce soit d'étrange et je suivis bientôt le jeune homme.

— On a réussi, chuchota Arthur en récupérant son sac avec un mélange de surprise et de soulagement. J'ai l'impression d'être devenu un vrai criminel !

— Il ne manquerait plus que cela, soupirai-je.

Nous nous assîmes sur des bancs dans une vaste salle. Je me tournai aussitôt vers le jeune homme.

— Pourrais-tu à présent m'expliquer comment nous allons pouvoir franchir la porte d'Édimbourg ? Et pourquoi ma présence est nécessaire ?

Arthur prit une profonde inspiration.

— J'ai fait quelques recherches. Le gardien de la porte d'Édimbourg se nomme Guiffart de Longueville et est un vieil ami de ton oncle, Philippe. Je suis sûr qu'il a entendu parler de ton enlèvement. Je me ferai passer pour un autre otage en me grimant un peu. Nous prétendrons nous être évadés. Nous expliquerons que le manoir se trouve sur Terre, quelque part dans les Highlands, d'où notre présence en Écosse. Nous lui demanderons son assistance. Il nous laissera certainement passer.

— Et préviendra aussitôt mon oncle.

— Qui ne sera pas joignable parce qu'il assistera à un concert de musique baroque en compagnie du gardien de la porte de Versailles.

— Euh... comment le sais-tu ?

— J'ai organisé cet événement, bien entendu. Je sais ton oncle particulièrement amateur de Lully.

— Oncle Philippe ne restera pas éternellement à écouter des violons. Il finira bien par rentrer chez lui.

— Oui, mais nous serons passés. Il est inévitable que la nouvelle de ton évasion se répande assez rapidement. Il nous faudra agir d'autant plus vite une fois à la Montagne Blanche.

— Et comment feras-tu pour libérer Tassilon ?

Le jeune homme m'adressa un sourire mystérieux.

— Ça c'est mon affaire, ma chère Charlotte.

Je le pressai de questions, mais il semblait disposé à ne pas m'en dire davantage. Je finis par croiser les bras d'un air boudeur et observai par la grande baie vitrée d'immenses avions qui ne m'inspiraient pas la moindre confiance. Lorsque notre vol fut annoncé, je me levai sans le moindre entrain.

— Tout va bien ? s'inquiéta Arthur.

— Tout va pour le mieux, grommelai-je. Je voyage avec l'un des plus terrifiants mages noirs de tous les temps pour aller délivrer le sanguinaire prince des elfes noirs, et tout cela en utilisant un moyen de locomotion aérien.

— Oh, me dit-il avec un demi sourire. C'est le vol qui te fait peur ?

— Tu n'as entendu que la fin de ce que je viens de dire ou quoi ?

Il paraissait de plus en plus amusé.

— Tu as peur de moi ?

— Je devrais ?

— Peut-être bien.

Nous nous regardâmes dans les yeux pendant quelques secondes. Je finis par détourner le regard, un peu gênée.

— Robert m'a un jour raconté que tu avais accompagné jadis ton père sur la Montagne Blanche, commenta Arthur comme si de rien n'était. Qu'étiez-vous au juste allés faire chez les elfes ?

— Le roi avait chargé mon père d'une mission diplomatique. J'avais insisté pour venir avec lui. A l'époque, j'étais obsédée par l'histoire de la princesse disparue. En as-tu déjà entendu parler ?

Le jeune homme hocha la tête.

— Ta mère l'a un jour mentionnée. Elle parle de la disparition de la fille unique de la reine des elfes alors qu'elle était encore un bébé.

— Exactement. On raconte que la reine est prête à exaucer le vœu le plus cher de celui qui lui ramènera la princesse. J'en avais conclu qu'il s'agissait d'une personne extrêmement puissante et j'avais terriblement envie de la rencontrer.

— Et alors, à quoi ressemble-t-elle ?

Je pinçai les lèvres.

— Aucune idée. Je n'ai pas eu le droit de lui être présentée.

Nous dûmes montrer une énième fois nos fausses cartes avant de pouvoir monter dans l'avion. Je m'assis sur un siège très étroit avec une certaine appréhension.

— Tout va bien se passer, m'assura Arthur. Si tu veux, tu peux me tenir par la main comme tout à l'heure.

Je lui lançai mon regard le plus glacial.

— C'est hors de question. Et qu'est-ce que tu en sais ? Tu es déjà monté dans l'un de ces monstres de métal?

Arthur haussa les épaules.

— Je l'ignore.

— C'est bien ce que je pensais !

Je m'enfermai dans le silence pendant que l'avion commençait à rouler et pris un point d'honneur à ne pas sembler effrayée.

Le vol se révéla cependant bien moins désagréable que ce à quoi je m'étais attendue. On n'y était bien moins secoué que lors d'un voyage en chariot et je ressentis un certain plaisir à observer le minuscule paysage par la fenêtre jusqu'au moment où l'avion s'engagea dans les nuages. Nous commençâmes à redescendre après un temps qui me sembla ridiculement court et l'avion se posa.

— C'était une expérience extraordinaire ! m'exclamai-je avec enthousiasme tandis que nous empruntions une passerelle pour gagner l'aéroport.

— Hm, oui..., marmonna Arthur.

Je l'observai du coin de l'œil. Il avait un teint légèrement verdâtre et j'avais remarqué pendant le voyage qu'il avait pris soin d'éviter soigneusement de regarder par la petite fenêtre.

— Allons-nous tout de suite à la porte intermondiale ? demandai-je alors que nous traversions un grand hall.

Arthur ouvrit la bouche pour me répondre et se figea, regardant avec des yeux écarquillés quelque chose devant lui. Son visage était devenu blême. Je me tournai aussitôt dans cette direction et ne vis rien de spécial si ce n'est une petite fille vêtue d'une robe rose qui nous observait fixement.

— Le dernier ominosus, prononça Arthur d'une voix blanche. Il nous a retrouvés.

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