54. Confrontations
Arthur se réveilla quelques heures plus tard avec un désagréable mal de dos. Il avait posé un instant la tête sur la table ronde et s'était manifestement endormi, courbé en deux.
— Croa croa!
Cid se tenait à côté de la fenêtre et tapait son bec contre le carreau pour demander à sortir. C'était certainement ce bruit qui avait tiré le jeune homme de son sommeil.
— CROA CROA!
Arthur leva les yeux au ciel.
—J'arrive, j'arrive...
Il s'étira avec un gémissement et se dirigea vers la fenêtre. Il aperçut alors un attroupement d'une vingtaine d'elfes au milieu de la cour. Odoacre, le général de Tassilon, se tenait au milieu d'eux et semblait parlementer. Arthur était trop loin pour entendre leurs paroles, mais les guerriers semblaient mécontents.
— CROA CROA CROA !!
— Un instant !
Le jeune homme ouvrit la vitre, s'attirant les regards des elfes noirs qui se turent aussitôt. La corneille s'envola avec indifférence dans un grand bruissement d’ailes.
Arthur referma la fenêtre, un peu gêné. Il supposait que la conversation qu’il avait surprise devait être directement liée à la disparition du Prince Noir. Après avoir hésité un instant, il décida de venir se mêler à la conversation et franchit résolument la porte. Les elfes le regardèrent avancer avec l'air impassible qui caractérisait leur peuple.
— Que se passe-t-il ? Y a-t-il un problème ? demanda Arthur en s'adressant à Odoacre.
Ce fut cependant une elfe qu'il ne connaissait pas qui lui répondit.
— Bien sûr qu'il y a un problème ! Notre prince a été capturé.
— Des mesures ont été prises pour remédier à cette situation, assura le jeune homme en s'efforçant de paraître convainquant.
L'elfe haussa un sourcil d'une façon qui rappelait curieusement celle de Tassilon.
— Et quelles sont ces mesures ?
— Vous n'avez pas à les connaître, répliqua sèchement Arthur.
Il regarda la femme droit dans les yeux jusqu'à ce qu'elle détourne la première le regard. Elle finit par incliner la tête avec raideur et tourna les talons, accompagnée par les autres elfes, à l'exception d'Odoacre.
— Comment se présente la situation ? lui demanda le jeune homme.
Le général fit la grimace.
— Mes hommes sont agités suite à l'absence du prince. Certains parlent de retourner auprès du roi Odilon.
— Pensez-vous qu'ils le feront ?
— Si son altesse ne revient pas bientôt, oui. Ils ont besoin d'un chef pour les commander et leur offrir de beaux combats.
Arthur réfléchit.
— Brunehaut ne pourrait-elle jouer la remplaçante ? Elle est la cousine de Tassilon, et donc une nièce du roi, n'est-ce-pas?
— La princesse est l'enfant orpheline d'une sœur du roi Odilon. Ses parents vivaient loin de la cour et sont morts il y a vingt ans alors que la petite n'avait qu'un an ou deux. Notre souverain l'a fait venir auprès de lui et l'a élevée comme sa fille. Sa légitimité pourrait être suffisante pour mener nos troupes, mais j'ai cru comprendre qu'elle ne souhaitait pas s'en mêler.
Arthur soupira.
— Oui. J'ai l'impression qu'elle ne m'apprécie pas particulièrement.
Odoacre ne prit même pas la peine de nier ce fait.
Le jeune homme continuait cependant à songer à ses plans. Pour être tout à fait honnête, il n'avait pas particulièrement l'utilité d'une armée d'elfes en ce moment. Les guerriers du Prince Noir ne lui faisaient pas confiance et il savait de son côté ne pas pouvoir se reposer sur eux. Mais que dirait Tassilon s’il trouvait le manoir vide à son retour ? Encore fallait-il que son sauvetage réussisse…L’expédition qu’Arthur souhaitait mener à la Montagne Blanche était risquée. Il était néanmoins inconcevable de ne rien tenter. D’autant que, si Robert avait dit la vérité, c’était également là que se trouvait la fiole des souvenirs d’Athanasios…
Arthur se donna une gifle mentale. Non, il ne devait songer qu'au sauvetage du prince. Il n'avait de toute façon pas l'intention de retrouver la mémoire, n'est-ce-pas ?
— Essayez de convaincre vos hommes de rester, finit-il par dire à Odoacre qui attendait patiemment la fin de sa réflexion.
Le général hocha la tête et prit à son tour congé.
Arthur prit une profonde inspiration pour se donner du courage. Il avait encore une personne bien plus redoutable qu’une troupe d’elfes en colère à affronter. Il se dirigea avec l’enthousiasme d’un condamné à mort vers le quartier des prisonniers et toqua timidement à la porte de la cellule de Charlotte.
*
— Quoi ? demandai-je sèchement.
La porte s’ouvrit et je vis entrer un Arthur hésitant. Je lui lançai aussitôt mon regard le plus méprisant et détournai les yeux, feignant l’indifférence.
Sa venue soulevait cependant en moi d’angoissants questionnements. La dernière fois que je l’avais vu, Arthur était venu m’arracher ma clef permettant d’ouvrir le passage secret du château d’Aspignan. Qu’était-il allé y faire ? Est-ce que cela pouvait avoir un lien quelconque avec ses souvenirs ? Athanasios pouvait-il être de retour ?
Ne voulant pas m’exprimer la première, je me contentai cependant de fixer froidement une fissure du mur, attendant que mon interlocuteur daigne s'exprimer. Comme Arthur semblait avoir adopté la même stratégie, je finis par craquer.
— Bon alors ? À qui ai-je exactement affaire ?
Cet imbécile ne parut pas comprendre.
— Euh...à moi ?
Je tapai du pied avec impatience.
— À Arthur ou à Athanasios ?
— Oh ! À Arthur. Je veux dire...à moi, quoi.
— Je vois. On dirait que ton expédition n'a pas eu le résultat escompté...
Arthur se laissa tomber sur mon unique chaise, le visage défait.
— Non, pas du tout. C'était une catastrophe, Charlotte. Ils nous attendaient. Nous avons été capturés. Tassilon a été blessé et embarqué par des elfes blancs. Robert m'a aidé à m'échapper et j’ai réussi à revenir ici, mais je ne sais pas quoi faire. Les elfes noirs parlent de s'en aller. J'ai un début de plan, mais il y a encore tant d'éléments incertains.
Il se prit la tête entre les mains et me jeta un regard malheureux.
Je levai les yeux au ciel. S’attendait-il en plus à ce que je le réconforte ?
— Ce qui s'est passé n'est peut-être pas une si mauvaise chose, finis-je par faire remarquer.
Arthur eut l’air surpris.
— Comment la situation pourrait-elle être pire ?
— Réfléchi un peu, idiot. Nous sommes enfin débarrassés du Prince Noir. C'est lui qui rendait impossible notre évasion, après tout.
— Mais... Les elfes blancs... Robert m'a dit qu'ils allaient tuer Tassilon !
Ce fut à mon tour d’être étonnée.
— Et alors ? Je croyais que tu le détestais ?
Arthur me jeta un regard scandalisé.
— Tassilon est mon ami ! protesta-t-il vivement. Mon meilleur ami ! Je ne le déteste absolument pas. Il est certes parfois un peu...euh... brusque. Mais c’est la seule personne qui m’a aidé lorsque j’étais en prison et que tous me rejetaient.
— Robert vient juste de faire exactement la même chose, protestai-je en fronçant les sourcils.
— Oui, certes, il m’a aidé, mais dans un but précis. Même si je ne retrouvais jamais mes souvenirs, je pense que nous ne pourrions jamais plus être amis comme avant.
Le jeune homme se leva et se mit à faire des cercles tout au long de la cellule, très agité.
— Je ne peux tout simplement pas laisser Tassilon mourir, Charlotte, finit-il par me déclarer entre deux rondes.
Je pinçai les lèvres, en total désaccord avec lui sur ce sujet.
— Tu n'as en réalité jamais voulu réellement t'enfuir d'ici, l'accusai-je. La menace du Prince Noir n'était qu'une excuse.
— Non ! Je te jure que non. Je n'ai pas envie de redevenir Athanasios. Pour rien au monde !
Je le regardai avec une méfiance non dissimulée.
— Comment pourrais-je te croire, Arthur ? Tu m'as menti. Tu t'es fait sciemment passer pour quelqu'un d'autre. Pourquoi m’as-tu caché être Athanasios ? Il était pourtant évident que je finirai par l’apprendre un jour ou l’autre.
Il se mordit la lèvre, ayant visiblement espéré pouvoir échapper à cette conversation.
— Je ne t'ai pas vraiment menti, commença-t-il avec une certaine mauvaise foi. Sans mes souvenirs, je ne suis en aucun cas Athanasios.
— Tu espères t'en tirer avec une excuse pareille ?
Il eut une moue d’excuse.
— Je n'ai pas trouvé mieux...
— Tu peux dire ce que tu veux, ce n'est pas Sigebert de Beaumont qui se serait comporté de la sorte !
Arthur prit aussitôt l'air agacé qu'il adoptait chaque fois que je mentionnais mon fiancé.
— Quel est le rapport avec Sigebert de Beaumont ? Et qu'est-ce que tu en sais ? Il n'a jamais été dans ma situation.
— Sigebert est un vrai gentilhomme qui ne se permettrait jamais de manipuler aussi odieusement une femme.
— C'est facile d'être un vrai gentilhomme lorsqu'on n'a jamais eu d'autre problème que de choisir la couleur de sa tunique, commenta le jeune homme d’un ton glacial.
Je le foudroyai d’un œil noir. Arthur finit par soupirer avec quelques minutes d’un silence pesant.
— Je craignais d’être rejeté. Je voulais que tu apprennes à me connaître sans avoir d'a priori. Je t'aurais ensuite avoué un jour la vérité.
— Vraiment ?
— Euh...sans doute.
Je le toisai.
— En réalité, tu n'es qu'un lâche, Arthur Montnoir.
— Peut-être un tout petit peu, reconnut-il. Tu me pardonnes alors ?
Il me lança un regard plein d'espoir.
— J’y songerai, grommelai-je, refusant de me laisser attendrir.
Arthur eut l’audace de sourire comme s’il estimait son combat gagné d’avance.
— Parfait. Parce que j’ai besoin de ton aide.
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Bonjour à tous!
Nous entrons à présent dans la dernière grande péripétie. Plus qu'une dizaine de chapitres et le tome 1 s'achèvera ^^
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