52. Retour à la case départ
Les yeux d’Arthur mirent quelques secondes à s’habituer à la vive luminosité dorée qui régnait dans le salon de la demeure du gardien de la porte de Versailles.
Clignant des paupières, le jeune homme posa son casque sur un tapis. Il était si déroutant de se retrouver soudain, habillé comme il l’était, dans le décor rococo de cet hôtel privé. On pouvait entendre par la fenêtre entrouverte les bruits de la circulation automobile qu’Arthur avait presque oubliés.
Le jeune homme poussa un soupir de bien-être. Il avait l’impression d’être de retour chez lui après un périlleux voyage. Il lui semblait tout à coup que Mundus n’avait été qu’un rêve transformé en cauchemar.
Le parquet du couloir craqua.
— Eh oui, mon cher ami, comptez sur moi pour remporter notre prochaine partie de cartes, lança avec détermination une voix qu’Arthur ne connaissait que trop bien.
Le jeune homme n’eut que le temps de bondir tête la première derrière un canapé de style Louis XV avant que Philippe d’Aspignan et Henri de Folleville ne surgissent dans la pièce.
— Sachez que je ne compte pas me laisser faire sans combattre, assura le gardien de la porte de Versailles. Tiens, que fait cet heaume ici ?
Arthur sentit son sang se glacer. Il avait laissé son casque à côté de la porte !
— Il est manifestement d’origine mundussienne, commenta l’oncle de Robert avec nostalgie. Sans doute l’un des voyageurs d’entre les mondes l’aura-t-il oublié. Cela me fait regretter d'être en train de manquer le grand tournoi d'été...
Henri de Folleville semblait méfiant.
— Mon dernier visiteur remonte il est vrai à seulement deux jours, lorsqu’on est venu m’annoncer l’heureuse nouvelle de la seconde capture d’Athanasios. Mais, tout de même, je suis passé plus d’une fois dans le salon sans rien remarquer…
— Ah oui, le jeune Arthur, renchérit Philippe d’un ton peiné. Je l’ai bien connu, ce petit. Cela a été pour moi une telle surprise d’apprendre sa véritable identité. Il semblait être un garçon si poli et attentif, toujours prêt à m’interroger sur mon travail. Les apparences peuvent être parfois si trompeuses… Permettez que je m’asseye ?
— Bien entendu, prenez donc place. Je vais ranger ce casque.
Arthur entendit des pas se diriger vers sa cachette et se recroquevilla encore davantage. Il suffisait que le gardien se penche dans sa direction pour l'apercevoir. Le jeune homme se rappelait qu’à leur première rencontre Henri de Folleville avait paru effrayé. Il espérait de tout son cœur que cela signifiait qu’il travaillait pour lui, comme Jeannette. Mais, s’il se trompait…
Le casque fut posé sur une table ronde, non loin du canapé. Arthur osa lever les yeux… et croisa le regard terrifié du gardien.
Ils s’observèrent une longue seconde, manifestement aussi effrayés l’un que l’autre. Puis Henri de Folleville détourna les yeux. Bredouillant une vague excuse à propos d’un rendez-vous urgent qui lui était sorti de la tête, il expliqua à l’oncle de Robert que leur partie devait être reportée. Puis il attendit que le magicien ait claqué la porte d’entrée avant de se tourner lentement vers le canapé.
— Que voulez-vous ? demanda-t-il d’une voix blanche.
Arthur sortit de sa cachette et escalada le canapé avec autant de grâce que possible.
— Disposez-vous d’un moyen quelconque de contacter les elfes noirs de mon manoir ? s’enquit-il en se remettant sur ses pieds tant bien que mal.
Le gardien hocha la tête avec raideur.
Arthur sentit son cœur faire un bond.
— Parfait, lança-t-il avec soulagement. Eh bien, envoyez-leur donc un message pour leur demander de venir me chercher ici.
Henri de Folleville le regardait à une certaine distance avec un mélange de crainte et de répulsion. On aurait dit qu’il faisait face à une araignée vénéneuse particulièrement dangereuse.
Le jeune homme se demanda ce qu’Athanasios avait bien pu faire pour le forcer à obéir. Il était évident que cet homme n’agissait pas de son plein gré.
« Athanasios détient probablement sa femme, ses enfants et même son poisson rouge et menace de les découper en petits morceaux », déduisit-il sombrement.
— Impossible, finit par répondre le gardien avec froideur. Votre nouvelle évasion va bientôt être connue partout. Des soldats vont franchir la porte pour m’en avertir. Il ne serait bon ni pour vous ni pour moi qu’ils vous trouvent ici…
— Que proposez-vous alors, le questionna Arthur, pris ou dépourvu.
Il jeta un regard en coin à la porte intermondiale qui pouvait s’ouvrir à tout instant. Combien de temps s’était-il écoulé depuis son départ d’Aspignan ? L’après-midi était déjà bien avancée.
Henri de Folleville continuait à se tenir éloigné.
— Je peux téléphoner au contact habituel de votre manoir. Je vous déposerai ensuite à un point de rendez-vous convenu.
Arthur approuva d’un signe de tête nerveux. Le gardien le laissa seul un instant avant de revenir quelques minutes plus tard avec des vêtements à la mode terrienne qu’il tendit au jeune homme et un trousseau de clefs.
— C’est arrangé.
Ils traversèrent le couloir sans plus attendre et sortirent dans la rue pour prendre place dans une voiture argentée.
Henri de Folleville conduisait les yeux rivés sur la route. Il laissa Arthur sur une petite place au centre de laquelle trônait une statue en bronze. Puis il redémarra aussitôt.
Arthur regarda la voiture disparaître avec une curieuse impression. Il avait été fort désagréable de se sentir si peu le bienvenu. Le gardien semblait lui vouer une haine profonde et n’avait eu qu’une hâte : se débarrasser de lui au plus vite.
« Ma vie a tout de même pris un bien étrange tournant », songea Arthur en se laissant tomber sur l’un des bancs. « La plupart des gens me haïssent alors que je ne leur ai rien fait. Quant aux alliés d’Athanasios, ils me méprisent tout autant. Je ne peux satisfaire personne ».
Il jeta un regard suspicieux à un groupe de passants qui traversaient joyeusement la place. Qui donc allait venir le chercher ? Et si le gardien l’avait trahi ? Et si, à la place d’un elfe noir, il voyait surgir Absalom ? Le mage oserait-il l’attaquer devant des témoins terriens ? La magie était supposée devoir rester secrète. Mais si…
— Coucou Arthur ! s’exclama soudain une voix joyeuse.
Le jeune homme se retourna aussitôt pour voir Katsuo se diriger vers lui en agitant le bras. Son ami était vêtu d’un short et d’une chemise à carreaux rouges à manches courtes et avait accroché le cordon d’un appareil photo autour du cou. Ses yeux étaient protégés par des lunettes de soleil et ses cheveux recouverts par un chapeau de paille démesuré.
— Je me suis déguisé en touriste au cas où nous serions surveillés, expliqua Katsuo à mi-voix. Soyons discrets !
Probablement pour parfaire son camouflage, il s’affaira aussitôt à mitrailler la statue en bronze.
Arthur leva les yeux au ciel.
- Que s’est-t-il passé ? chuchota son ami, toujours concentré sur sa tâche. Où est Tassilon ?
Le jeune homme se mordit la lèvre.
— Nous sommes tombés dans un piège. Absalom nous attendait et nous a capturés. J’ai pu m’enfuir, mais Tassilon a été emmené par des elfes blancs.
Katsuo laissa retomber son appareil photo.
— Plutôt mauvais, ça.
—A qui le dis-tu, commenta Arthur avec morosité. Qu’allons-nous faire, maintenant ?
— Nous allons commencer par nous éloigner d’ici à bord de mon véhicule. Mieux vaut ne pas traîner trop longtemps au même endroit.
Le jeune asiatique scruta du regard avec suspicion une vieille dame qui promenait son petit chien et qui s’empressa de hâter le pas en se voyant ainsi observée.
La voiture de Katsuo se révéla être une décapotable rouge vif flambant neuve.
Katsuo jeta son chapeau sur la banquette arrière et s’installa devant le volant.
Arthur grimaça.
— Je croyais que nous étions censés être discrets ?
Son ami leva vers lui des yeux innocents.
— Bah quoi ? Où est le problème ?
— Nulle part, soupira Arthur en prenant place sur le siège passager. Où allons-nous ?
Katsuo hésita.
— Tass’ nous avait donné des instructions très claires au sujet de cette information. Je suis supposé t’endormir. J’ai oublié de prendre un champignon somnifère. Ça te dérangerait si je te donnais un grand coup sur la tête?
— Oui, ça me dérangerait, bougonna le jeune homme. J’en ai assez de tous ces secrets. Tu crois que je n’ai pas compris que mon manoir se trouve ici, sur Terre ?
— Bon, bon, se rendit Katsuo. Après tout, c’est toi le chef. Surtout en l’absence du Prince Noir.
Il fit rugir le moteur et démarra en trombe en grillant un feu-rouge.
Arthur dut élever la voix pour se faire attendre à travers le vent qui sifflait dans ses oreilles.
— Tu as ton permis de conduire, au moins ?
— Non, pourquoi ?
Le jeune homme préféra ne pas répondre et s’agrippa fermement tandis que la décapotable rouge traversait les rues de Versailles à toute allure.
— Comment as-tu su pour le manoir ? cria Katsuo en donnant un coup de volant pour éviter un malheureux cycliste.
Arthur vérifia une nouvelle fois que sa ceinture de sécurité était bien attachée.
— C’était évident. Aucune recherche sur Mundus n’avait pu permettre de le retrouver. Et le fait qu’Athanasios se soit attaché les services d’une servante du château de Beaumont et du gardien de la porte montre qu’il avait besoin de faire des allers retours fréquents entre les deux mondes.
Katsuo grilla un nouveau feu rouge et passa sur la file de gauche pour doubler des automobilistes sidérés.
— C’est un peu bizarre de t’entendre toujours parler de toi à la troisième personne, tu sais? commenta-t-il en manquant d’écraser un piéton.
Arthur estimait avoir des problèmes plus urgents, comme celui d’arriver en vie à leur destination sans tuer personne.
— Et il y avait bien sûr le fait que le manoir dispose de l’eau courante et de l’électricité, poursuivit-il sans faire attention à la dernière remarque. Etrangement, c’est Cid qui m’a mis la puce à l’oreille. Les corneilles sont des oiseaux très communs sur Terre, mais je n’en ai jamais vues à Mundus.
La voiture quittait déjà les limites de la ville pour débouler sur une route de campagne. Katsuo en profita pour appuyer encore davantage sur l’accélérateur.
Arthur, plaqué contre son siège, avait l’impression de participer à une course automobile débridée. Les champs défilaient si vite qu’ils lui semblaient flous.
La voiture tourna soudain sur un simple chemin de terre qui débouchait sur une ancienne ferme en ruine.
Le Japonais se gara près du portail d’entrée dans un crissement de pneus.
Arthur s’extirpa péniblement du véhicule, les jambes en coton, et dut prendre appui contre le capot.
Katsuo récupéra tranquillement son couvre-chef.
— Où sommes-nous ? bredouilla Arthur d’une voix blanche.
Son ami lui adressa un regard malicieux.
— Domus vera.
L'instant d'après la ferme décrépie sembla exploser et le manoir d'Athanasios surgit de ses murs.
Arthur eut un sourire satisfait.
— Parfait, dit-il à Katsuo. Nous allons maintenant retrouver Brunehaut et Grégoire. J'ai quelque chose à vous annoncer.
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