51. L'agent double


Arthur passa plusieurs heures caché à l'abri des arbres. Il avait choisi de s'asseoir à une position stratégique qui lui permettait de demeurer invisible tout en observant le château de Beaumont. Il se servit généreusement dans les provisions que Robert lui avait fournies et déjeuna en compagnie du placide Hannibal.

Il resta parfaitement silencieux, caché parmi les fourrés. Quelques animaux passèrent. Il eut notamment la désagréable surprise de voir glisser à quelques mètres de lui un long serpent blanc à la tête triangulaire et aux pupilles d'un rouge sang qui l'ignora superbement.

Le jeune homme hésitait sur la marche à suivre. Plus il attendait et plus il courait des risques d'être découvert. Sa fuite devait avoir été constatée depuis un moment déjà. Absalom en était très certainement informé. Il était probable que le mage se doute rapidement qu'Arthur chercherait à gagner la porte intermondiale. Il savait bien que le jeune homme se sentait plus à l'aise sur Terre qu'à Mundus.

D'un autre côté, Arthur ne savait pas comment il pourrait s'introduire dans le château sans se faire arrêter. La famille de Beaumont et une part de leurs hommes devaient être en train d'assister au tournoi d'été. Ce n'était pas pour autant que la forteresse avait été laissée sans protection. Le jeune homme avait déjà entraperçu plusieurs gardes et serviteurs passer sur le chemin de ronde au sommet des remparts.

C'est au moment où Arthur s'apprêtait à tenter malgré tout sa chance qu'il aperçut enfin la personne qu'il souhaitait rencontrer.

Prenant son casque sous le bras, Arthur sortit de l'ombre et s'approcha de la servante.

- Bonjour Jeannette, lança-t-il à voix haute.

La jeune femme se tourna aussitôt vers lui et blêmit.

Dans l'éclat effrayé qui traversa un instant ses yeux, Arthur lut ce qu'il n'avait fait que supposer. Jeannette savait parfaitement qui il était. Et elle avait quelque chose à se reprocher.

La servante s'était cependant reprise.

- Bien le bonjour, messire Athanasios. Que puis-je pour votre service ?

Arthur garda un visage neutre.

- J'ai besoin de traverser la porte intermondiale. Immédiatement.

Jeannette resta immobile un instant, hésitante.

- Il n'est pas dans vos habitudes de surgir ainsi à l'improviste, messire. Son altesse le Prince Noir m'avait annoncé que vous deviez revenir il y a deux jours. Puis j'ai eu vent de votre arrestation. Rien n'est donc prêt pour votre passage.

Arthur lutta contre la panique qui l'envahissait. Il ne pouvait pas se permettre de perdre davantage de temps.

- J'ai besoin de partir maintenant, insista-t-il.

La servante haussa les épaules avec pragmatisme.

- Le château est par chance pratiquement désert. Peut-être pourrions-nous tenter d'entrer tout simplement en espérant ne pas subir trop de questionnement.

Le jeune homme l'approuva d'un signe de tête soulagé et enfila à nouveau son casque pour camoufler ses traits.

Il avait risqué gros en entrant en contact avec Jeannette. Si son hypothèse s'était révélée erronée, la servante aurait pu donner l'alerte contre lui. Il se souvenait cependant fort bien de leur première rencontre. Il avait alors été persuadé que Jeannette avait immédiatement reconnu qui il était. Elle s'était comportée de manière fort curieuse. Et il se rappelait qu'elle avait en sa possession un bracelet bien trop précieux pour sa modeste condition. Le jeune homme connaissait à présent assez bien la manière de procéder d'Athanasios et Tassilon lorsqu'ils souhaitaient s'attacher les services de quelqu'un. Il était évident que Jeannette avait été achetée pour leur faciliter l'accès à la porte intermondiale lorsqu'ils en avaient besoin.

Il venait également d'obtenir la confirmation très intéressante d'une autre de ses suppositions : si Tassilon avait prévenu la servante qu'il souhaitait se rendre au château de Beaumont, c'est qu'il avait l'intention de franchir la porte pour gagner la Terre avec Arthur après leur expédition à Aspignan. Oui. Il ne pouvait avoir que raison. Cela signifiait bien que...

Jeannette le tira cependant de ses réflexions.

- Est-il vrai que vous auriez perdu la mémoire ? demanda-t-elle avec curiosité.

- C'est ce qu'il se dit, répondit évasivement Arthur. Peut-être est-ce vrai. Ou peut-être non.

Ils avancèrent en direction du pont-levis. Le garde qui se tenait près de la porte était un adolescent aux traits enfantins boudeurs qui les regarda venir vers lui avec morosité.

- Ce page d'Aspignan est envoyé par sire Sigebert pour venir récupérer une lance oubliée, expliqua Jeannette avec aplomb en désignant Arthur.

Le soldat eut une moue compatissante.

- Vous aussi vous êtes donc privé du tournoi ? demanda-t-il d'un ton geignard.

Arthur acquiesça.

- Oui. Ce sont toujours les mêmes qui font tout le travail pendant que les autres s'amusent, n'est-ce-pas ?

Sa voix résonnait étrangement à travers le casque fermé.

- A qui le dîtes-vous, soupira le garde.

Puis il les laissa passer sans plus de cérémonie.

La cour était bien moins animée que la première fois qu'Arthur l'avait traversée. Quelques enfants courraient çà et là en se battant avec des épées en bois sous la vague surveillance d'un groupe de vieilles femmes qui filaient la laine à l'ombre du château en bavardant.

« Si je devais assiéger Beaumont, je le ferais le jour du grand tournoi d'été », songea Arthur avec une certaine réprobation devant tant de nonchalance.

Puis il s'en voulut aussitôt d'avoir eu une telle pensée digne d'Athanasios.

Jeannette ouvrit une porte vermoulue qui donnait sur un escalier s'enfonçant dans les profondeurs.

- Après vous.

Le jeune homme descendit en frissonnant. Il faisait aussi froid dans la crypte qu'en plein hiver. Il aperçut bientôt les premiers gisants et passa avec circonspection à côté de l'effigie funéraire de la grande-tante Isabeau.

Puis il se trouva face à la porte intermondiale.

- Il suffit de pousser la poignée, expliqua Jeannette qui l'avait rejoint. N'importe quelle personne dotée d'un minimum de pouvoirs magiques peut actionner le mécanisme.

Après une ultime hésitation, Arthur se décida enfin à lever le bras, fit coulisser le mécanisme d'ouverture et poussa les lourds battants.

La porte s'ouvrit sur le néant dans un grincement sourd.

Juste avant de franchir le portail, Arthur se tourna une dernière fois vers Jeannette.

- Je sais que vous travaillez également pour Absalom, lui dit-il d'un ton neutre.

La servante sursauta. Arthur eut le temps de voir à nouveau un éclat de terreur traverser ses yeux avant qu'elle ne se ressaisisse.

- Que voulez-vous dire, messire ?

- Absalom était au courant de notre venue. Parce que vous l'avez prévenu aussitôt après avoir été contactée par le Prince Noir. Vous vouliez obtenir encore plus d'argent, je suppose. Je vous imagine mal poussée par quelque noble raison.

Le visage de la servante avait pris un ton blafard.

- Je...non. Croyez-moi, je...

Le jeune homme la coupa d'un geste de la main.

- Il est inutile de le nier. Je ne vous punirai pas pour cette fois, car j'espère pouvoir utiliser votre contact à mon profit. Mais je ne tolérerai plus le moindre faux pas. Est-ce clair ?

- Très...très clair.

Arthur lui lança un long regard impassible avant de hocher sèchement la tête.

- Vous serez désormais sous haute surveillance jour et nuit. Toute désobéissance me sera aussitôt rapportée. Rappelez-vous que vous ne travaillez que pour moi.

Puis il fit un pas en avant et s'engagea dans l'obscurité glaciale du passage entre les mondes.

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Bonjour à tous!

Je ne suis pas forcément très satisfaite de ce chapitre. J'espère que les deux révélations autour du rôle de Jeannette sont claires et pas trop artificielles?

Avez-vous deviné pourquoi Arthur veut se rendre sur Terre? ☺

PS: qui a vu l'allusion à l'histoire d'Edana, The frozen Throne? ^^

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