50. Le grand tournoi d'été


Deux jours entiers se passèrent sans que Robert ne revienne le voir. Absalom s'était également abstenu de toute visite. Seuls les gardes rôdaient dans le couloir pour apporter des repas à heure régulière.

Arthur fut réveillé ce matin-là par des éclats de voix inhabituels dans la cour. Le jeune homme se redressa avec une certaine inquiétude. Que pouvait-il bien se passer? Son transfert vers Tolone allait-il avoir lieu? Il avait besoin de plus de temps. Comment Robert pourrait-il le libérer une fois de retour dans la prison du palais royal? La surveillance des cachots y était bien plus sévère que celle du château d'Aspignan.

La cellule était éclairée par un étroit soupirail qui s'ouvrait à deux mètres de hauteur sur l'un des murs qui jouxtait la cour haute du donjon. Arthur posa le pied sur une pierre inégale et se hissa en face de l'ouverture pour s'accrocher aux barreaux qui en fermaient l'accès. Son visage se trouvait au niveau du sol et il vit passer devant lui de nombreuses paires de jambes. D'autres silhouettes passaient au loin dans un joyeux brouhaha. Deux hommes portaient des bancs et des planches de tables. Des servantes les suivaient avec des nappes et des victuailles.

« On dirait plutôt qu'une fête est en train d'être organisée», se dit Arthur.

Il entendit soudain du bruit derrière lui et s'empressa de dégringoler de son perchoir. Il se retourna et se retrouva face à Robert.

Le chevalier sortit une grosse clef et entreprit de déverrouiller la porte.

- Nous avons très peu de temps, déclara-t-il. Enfile ça!

Il lança à Arthur un tas de vêtements et un casque que le jeune homme ne parvient pas à attraper et qui tomba sur le sol dans un bruit tonitruant.

- Chuuuut! protesta Robert en jetant un regard méfiant en direction du couloir.

Arthur se figea. Le vacarme sembla heureusement être passé inaperçu.

- Où sont passés les gardes? demanda-t-il à mi-voix en dépliant les habits.

Il avait en main une tunique de bonne facture et une cotte de mailles.

- Tout le monde est parti assister à la première manche. Je suis en train de tout rater, se plaignit le chevalier qui avait pris son air de martyr.

Arthur n'était pas plus avancé.

- La première manche de quoi?

Il enfila rapidement la tunique.

- Du grand tournoi d'été, bien sûr! C'est la première fois que je suis officiellement autorisé à y participer, maintenant que je suis adoubé, comme tu le sais.

Arthur croyait bien se rappeler avoir entendu parler de ce fameux tournoi pendant les journées d'hiver qu'il avait passées au château. Il s'était imaginé à l'époque pouvoir y assister. S'il s'en souvenait bien, l'événement se déroulait tous les ans à Aspignan et rassemblait les chevaliers vassaux et amis de la famille.

Le casque que lui avait amené Robert couvrait entièrement son visage, à l'exception d'une fente en face de ses yeux.

- Je ne peux pas croire que je suis en train de manquer le tournoi pour aider Athanasios à s'évader, bougonna Robert tandis qu'ils traversaient le couloir effectivement désert.

Arthur fronça les sourcils.

- Je ne suis pas Athanasios.

Robert haussa les épaules.

- Oui, bon, tu comprends ce que je veux dire...

Arthur comprenait très bien. Cette réflexion le déprimait cependant profondément. Si le chevalier lui-même peinait à le différencier du mage noir, comment pourrait-il être accepté par d'autres?

Le grand tournoi d'été semblait être un événement majeur à Aspignan. A l'exception des serviteurs qui continuaient à courir ça et là pour mettre en place ce qui devait être un banquet, l'ensemble des habitants du château ainsi que les villageois étaient tassés sur un large pré à l'extérieur des murailles. Même les gardes de la grande porte d'entrée s'étaient volatilisés.

Arthur était néanmoins soulagé d'avoir le visage camouflé dans ce lieu où il était trop connu.

Robert jeta un regard languissant en direction du grand rassemblement, mourant visiblement d'envie de s'y précipiter. Arthur tourna également la tête avec curiosité. Le pré était entouré de palissades en tissus colorés derrière lesquels s'élevaient des gradins en bois remplis à craquer. Le jeune homme en était assez proche pour pouvoir y reconnaître Charles et Jeanne d'Aspignan sur la tribune d'honneur. Il entendait la foule encourager bruyamment des participants.

- Ne va t-on pas s'étonner de ton absence? demanda-t-il à Robert.

- J'ai trouvé une excellente excuse, se rengorgea le chevalier. J'ai expliqué que je voulais aller inspecter en personne mon destrier à l'écurie. Cela m'a permis de demander au palefrenier une seconde monture qui te servira à t'éloigner d'ici le plus vite possible. Le garde chargé de d'apporter le déjeuner se rendra très vite compte de ta disparition et donnera immédiatement l'alerte. Tu vas gâcher mon premier tournoi, finalement.

Il regarda Arthur avec indignation.

Le jeune homme eut une petite moue d'excuse. Sa culpabilité n'allait cependant pas plus loin que cela. Il n'avait après tout jamais demandé à être enfermé!

Un cheval gris à l'air placide les attendait sur la place du village.

- Voici Hannibal, expliqua Robert en caressant l'animal avec affection. Une brave bête qui t'amènera où tu le souhaites. J'ai accroché une sacoche contenant plusieurs jours de vivres.

Arthur se sentit rempli de gratitude.

- Je ne te remercierai jamais assez, déclara-t-il avec sincérité.

- Où vas-tu aller maintenant, s'enquit son ami en observant Arthur se hisser sur sa selle.

Le jeune homme s'installa tant bien que mal et saisit maladroitement les rênes.

- Il serait préférable que tu l'ignores.

- Tu as sans doute raison, soupira le chevalier. Je vais évidemment être le premier soupçonné. Tout cela va m'apporter une montagne d'ennuis. J'espère que cela en vaudra la peine...

- Je te rendrai ta sœur, promit solennellement Arthur.

Ils échangèrent un bref regard qui se passait de mots.

- Je t'ai aidé aujourd'hui en souvenir de notre ancienne amitié, conclut Robert. Mais si jamais tu retrouves un jour la mémoire, tu deviendras mon ennemi et je te tuerai.

Arthur sourit.

- Je n'en attendrais pas moins de toi.

Puis il éperonna sa monture qui s'élança à travers le village en fête.

Alors qu'il avait dépassé la dernière maison, Arthur se tourna une dernière fois vers le château avec un soulagement mêlé de tristesse. Il observa flotter au vent la bannière aux armes des Aspignan. Puis Hannibal s'engagea à travers les bois et la forteresse disparut de sa vue.

Le jeune homme soupira en se laissant bercer par le galop de sa monture. Les arbres se succédaient à vive allure. Sa vision était en partie entravée par son casque et il avait trop chaud mais n'osait pas l'enlever de peur d'être reconnu. Il croisa un groupe de voyageurs qui avançaient gaiement en direction du village et ne lui accordèrent pas la moindre attention.

Arthur ne pouvait cependant s'empêcher de jeter de réguliers regards nerveux dans son dos. Sa fuite devait probablement avoir été constatée. On allait se lancer à sa poursuite. Et il n'y avait que deux routes opposées qui partaient d'Aspignan. Il aurait aimé pouvoir se réfugier à l'abri des bois mais craignait de se perdre s'il quittait le chemin.

Au bout d'un certain temps, le jeune homme crut dépasser l'endroit où il s'était réveillé en compagnie de Tassilon quelques jours plus tôt.

« Je devrais avoir effectué la moitié du trajet », songea-t-il.

Il avait chevauché sur cette même route plusieurs mois auparavant dans un contexte bien différent.

Il devait être proche de midi lorsqu'il arriva enfin à destination.

Arthur tira sur les rênes d'Hannibal pour que le cheval s'arrête à l'abri des arbres. Puis il posa pied à terre en observant avec attention le château de Beaumont.

La partie la plus difficile de son plan allait commencer.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top