47. Trahison


     Arthur regardait droit devant lui, pétrifié. Il apercevait confusément dans l'obscurité de multiples silhouettes toujours plus nombreuses à chaque instant. Des gardes armés d’arbalètes les tenaient en joue. D'autres avaient la main posée sur leur épée. Certains, enfin, brandissaient des torches enflammées. Le jeune homme crut distinguer dans leur lueur Charles d'Aspignan.

Tassilon poussa un grognement. Arthur tourna aussitôt son regard vers lui. L'elfe gisait sur le sol, un carreau d'arbalète planté dans la poitrine.

Le jeune homme se laissa tomber à côté de lui, paniqué. Il observa avec horreur la flaque de sang qui s'élargissait sur l'herbe autour de son compagnon.

— Athanasios, lança une voix ferme qu'Arthur reconnut aussitôt.

Il leva les yeux vers Absalom qui s'avançait vers lui d'un pas tranquille.

— Athanasios, répéta le mage blanc. Rends-toi et il ne te sera fait aucun de mal.

Arthur sentait son pistolet s'appuyer contre sa jambe. Il pourrait le saisir, le braquer sur Absalom et...

— Non, murmura faiblement Tassilon qui, comme d'habitude, semblait avoir deviné ses pensées.

Arthur serra les dents.

— Je pourrais…

— Tu ne pourrais rien du tout ! Tu te ferais tuer avant même de l'avoir saisi, imbécile ! Et, même si tu arrivais à tirer, tu serais capable de rater ton coup !

Le jeune homme soupira avec agacement. Même grièvement blessé, le Prince Noir ne pouvait s'empêcher de le sermonner. Il n'avait cependant pas complètement tort. Arthur était un très mauvais tireur. Il se releva donc très lentement, les mains en l'air.

— Je me rends, déclara-t-il à voix haute.

Des soldats s'avancèrent vers lui avec méfiance. Deux d'entre eux le saisirent rudement par les bras. Un troisième le fouilla et sortit son arme qu'il présenta à Absalom.

— Où t'es-tu procuré cela ? demanda le mage blanc, troublé.

Arthur ne répondit rien. Il n'avait pas l'intention de donner la moindre information. Il regarda en direction de Tassilon avec inquiétude. D'autres soldats s'étaient approchés de l'elfe et l'avaient remis sur ses pieds sans douceur aucune après avoir arraché le carreau de sa poitrine.

— Emmenez-les dans les cachots, ordonna Charles d'Aspignan.

Le jeune homme fut entraîné en direction du château. L'un des gardes qui le tenait lui était familier. Il s'était battu à ses côtés lors de l'attaque des elfes noirs.

Ils pénétrèrent dans le bâtiment principal et parcoururent les couloirs avant de descendre un escalier étroit qu'Arthur n'avait jamais emprunté et qui sentait l'humidité. Il se retrouva face à une cellule fermée par des barreaux en métal semblable à celle qu'il avait occupée au palais de Tolone. Les gardes ouvrirent la porte et le poussèrent à l'intérieur.

Le jeune homme se laissa tomber sur le sol, découragé. Il s'approcha de Tassilon qu’on avait jeté à côté de lui. Le prince était dans un piteux état. Sa blessure saignait toujours et il semblait avoir du mal à garder les yeux ouverts. Trois gardes, postés devant leur cellule, les observaient avec attention.

Arthur déchira un morceau de sa tunique et entreprit de tenter d'en faire un pansement pour Tassilon. La bande de tissu se retrouva aussitôt imbibée de sang.

Arthur réfléchit. Il devait faire quelque chose. Ses pouvoirs pourraient peut-être lui servir...

— N'y pense même pas ! chuchota furieusement Tassilon. Tu dois garder cet atout secret ! Et, étant donné ta faible maîtrise de ta magie, tu réussirais surtout à me cramer le torse!

— Mais tu vas te vider de ton sang si je ne fais rien, protesta le jeune homme à mi-voix.

— Pas dans l'immédiat. Les elfes noirs sont plus résistants que les humains. Et ça m'étonnerait qu'on me laisse mourir. Je suis un prince, après tout, et donc un prisonnier de valeur.

— Je suis désolé de ce qui s’est passé, murmura Arthur, tout est de ma faute. Si je n'avais pas perdu mes souvenirs...

Le Prince Noir secoua la tête.

— Pas seulement. Quelqu'un nous a trahi. Ils nous attendaient. Ils savaient parfaitement que nous allions venir ce soir et ont fait venir Absalom.

Arthur se mordit la lèvre. Il était évidemment arrivé à la même conclusion logique.

— Je sais... Mais qui ?

Tassilon se rembrunit.

— Probablement cette fille d'Aspignan. Elle a l'air fourbe. Et il s'agit de sa propre famille.

Le jeune homme fronça les sourcils.

— Tu dis juste cela parce que tu ne l'aimes pas. Elle est enfermée dans une cellule. Comment aurait-elle seulement pu contacter le château d'Aspignan ?

Le Prince Noir lui jeta un regard suspicieux.

— Vous avez passé beaucoup de temps ensemble ces derniers temps, à comploter des projets d'évasion délirants...

Arthur sursauta.

— Quoi ? Tu t'imagines que je lui ai donné un moyen de communication ? Je ne suis pas non plus idiot. Je n'avais pas particulièrement envie de me faire capturer. Pourquoi le traître ne serait-il pas l'un de tes hommes ?

— Les elfes noirs me sont fidèles. Aucun d'entre eux n'auraient seulement l'idée de collaborer avec des humains.

— Parce que les elfes ne sont pas sensibles à l'appât du gain ? L'un d'entre eux pourrait avoir été acheté.

Tassilon se redressa, prêt à répliquer avec colère, avant de se rallonger sur le dos avec une grimace.

— Arrête de dire des bêtises. Je n'ai même plus la force de me disputer avec toi, marmonna-t-il en fermant les yeux.

Arthur s'adossa contre le mur en silence. Qu'allait-il se passer à présent ? Allait-il être jugé à nouveau, puis enfermé ? Et si la peine était durcie ? Et si le roi jugeait plus prudent de le faire exécuter ?

Il jeta un regard inquiet au Prince Noir dont le visage était encore plus pâle que de coutume.

Et quel serait le sort réservé à Tassilon ? Les Aspignan allaient-ils vraiment le faire soigner ?

Des bruits de pas se firent entendre dans le couloir.

Une petite troupe menée par Charles d'Aspignan et son fils aîné s'arrêta devant leur cellule. Arthur distingua Absalom parmi eux ainsi que... des elfes ?

Tassilon avait rouvert les yeux et les observait avancer d'un air impassible.

«  Ce sont des elfes blancs », comprit Arthur. « Bien sûr, Tassilon va leur être livré puisqu'il est leur ennemi ».

Il échangea un regard avec le prince, soudain paniqué à l'idée d'être séparé de lui. Malgré les mauvais traitements qu'il semblait prendre plaisir à lui infliger, Tassilon lui avait offert dans le même temps une forme de protection. Il était pour lui ce qui se rapprochait le plus d'un ami.

Les gardes déverrouillèrent la grille de leur cellule, laissant entrer quatre elfes.

Arthur bondit aussitôt sur ses pieds et se plaça devant le Prince Noir.

— N'avancez pas, leur dit-il de son ton le plus féroce.

Sa menace ne sembla cependant n'avoir aucun effet. L'un des elfes le prit par le bras et l'écarta du chemin sans difficulté apparente.

Le jeune homme refusa de s'avouer vaincu aussi rapidement. Il était grand temps de mettre en pratique l'enseignement de Tassilon. Il avait après tout passé les dernières semaines à se battre contre un elfe. Il se jeta donc sur son adversaire et parvint même, à sa grande surprise, à le mettre à terre. L'elfe se releva aussitôt en lui jetant un regard furieux.

— Ne t'en mêle pas, humain.

Charles et Louis d'Aspignan entrèrent précipitamment dans la cellule et saisirent chacun un bras d'Arthur pour l'immobiliser.

— Calme-toi, lui conseilla Charles.

Mais le jeune homme se débattait avec l'énergie du désespoir.

— Laissez-le tranquille ! cria-t-il aux elfes qui avaient relevé Tassilon et l'entraînaient vers le couloir.

Le Prince Noir tourna brièvement la tête vers lui une dernière fois avant d'être emmené hors de sa vue.

Arthur cessa de lutter, pris de tremblements incontrôlables.

— S'il-vous-plaît, murmura-t-il aux Aspignan sans savoir exactement ce qu'il leur demandait.

Charles le relâcha.

— Nous ne pouvons rien faire pour toi Arthur, lui dit-il d'un air triste.

Le jeune homme ouvrit la bouche pour répondre, mais fut interrompu par Absalom qui s'était à son tour faufilé dans la cellule.

— Laissez-moi seul avec Athanasios, ordonna-t-il.

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