46. La forêt au clair de lune
Arthur ouvrit un œil agacé. Il était allongé à même le sol, sur quelque chose de dur. Des arbres de haute taille le surplombaient. Il tourna la tête et constata que Tassilon se trouvait à quelques mètres de lui, en train de s'occuper de détacher deux chevaux.
— Est-il vraiment nécessaire de m'endormir à chaque fois que nous quittons ou entrons dans mon manoir ? bougonna le jeune homme en se redressant sur les coudes.
Combien de temps avait-il au juste été inconscient ? Lui qui espérait pouvoir glaner quelques informations…
Il se releva tant bien que mal en regardant autour de lui. Pour autant qu'il puisse en juger dans l'obscurité du crépuscule naissant, l'elfe et lui se trouvaient au bord d'un sentier qui traversait une forêt. Il espérait qu'ils n'étaient pas trop éloignés du château d'Aspignan. Malgré la douceur de la nuit, il n'avait pas particulièrement envie de chevaucher pendant des heures.
— Bien sûr que c'est nécessaire, répondit Tassilon en haussant un sourcil. Il est indispensable que tu ignores tout de l'accès à la forteresse. Si tu étais capturé, je suis certain que tu révélerais tout ce que tu sais avec les méthodes adéquates. Mettons-nous en selle sans plus tarder avant de ne plus rien y voir du tout.
Arthur déglutit à la perspective de subir ces fameuses méthodes. Le Prince Noir n'avait cependant pas tort. Il ne voyait pas l'intérêt de souffrir pour une cause qu'il ne soutenait pas, ou plutôt plus.
— Je n'ai pas l'intention d'être capturé, répliqua-il, jugeant peu prudent de faire part de sa dernière pensée.
Il se hissa sur sa monture, toujours plongé dans ses réflexions.
Se faire prendre était pourtant un risque important. Il allait mener aujourd'hui sa première opération active depuis qu'il avait bien malgré lui changé de camp.
Le jeune homme vérifia rapidement qu'il avait toujours bien sur lui le pistolet que lui avait donné Katsuo, espérant de tout cœur ne pas en avoir besoin. Il avait catégoriquement refusé l'épée que Tassilon voulait lui faire emporter, affirmant que cela l'entraverait plus qu'autre chose. Que ferait-il cependant s'il trouvait Robert en face de lui ? Il était hors de question qu'il tire sur son ancien ami.
L'elfe enfila sur son épaule un sac à dos terrien qui contrastait curieusement avec son équipement habituel. Ils portaient tous les deux des vêtements noirs qui se fondaient parfaitement dans l'obscurité.
— Allons-y, ordonna-t-il en éperonnant son cheval.
Ils avançaient dans une quasi pénombre. La pleine lune, qui apparaissait timidement entre les feuillages, éclairait à peine le chemin.
— C'est encore loin ? se plaignit Arthur qui se sentait las malgré son sommeil forcé.
— Nous devrions arriver à la tombée de la nuit, répondit Tassilon.
Le jeune homme se plongea dans le silence, bercé par le trot régulier de sa monture. Il songea à Charlotte à qui il n'avait pas eu le temps de reparler avant de quitter le manoir et se trémoussa sur sa selle.
— Tu crois qu'elle va me pardonner ? demanda-t-il au Prince Noir avant d'avoir pu s'en empêcher.
— Qui ça ?
— Charlotte, bien sûr !
L'elfe prit le temps de réfléchir à la question.
— Je ne m'y connais pas bien en humaine, finit-il prudemment par répondre, mais une femme elfe t'arracherait la tête pour lui avoir ainsi menti.
Arthur soupira, guère rassuré.
— Charlotte est souvent féroce…
— Mais je doute qu'elle ait assez de force pour te décapiter. Elle est un peu maigrichonne.
— Elle a un corps très bien ! protesta automatiquement Arthur. Euh...je veux dire...enfin, je ne pense pas non plus qu'elle irait jusque-là.
Il jugea plus utile de ne pas poursuivre davantage la conversation et se concentra sur le chemin qui montait à présent en pente douce.
Le château d'Aspignan apparut au sommet d'une colline.
Arthur fut aussitôt saisi par une vive nostalgie. Cette forteresse avait été sa maison pendant un certain temps. Il y avait coulé des jours heureux. Il aurait tant aimé pouvoir y être accueilli comme invité plutôt que de devoir s'y introduire clandestinement.
— Nous allons contourner le village et nous engager ensuite sur le chemin principal menant au château, chuchota Tassilon. J'espère que tu reconnaîtras l'entrée du passage secret.
— Sans problème, mentit Arthur en essayant de montrer plus d'assurance qu'il n'en avait.
Il n'avait en réalité emprunté le chemin qu'une seule fois, en plein jour, guidé par Robert, plusieurs mois auparavant. A l'époque le paysage était recouvert de neige alors qu'ils se trouvaient à présent en plein été.
L'elfe noir lui jeta un regard qui indiquait clairement qu'il était loin d'être dupe. A son grand dam, Arthur n'arrivait jamais à cacher quoi que ce soit à Tassilon. Ce dernier semblait lire en lui comme dans un livre ouvert. Sans doute était-ce lié au fait qu'ils avaient passé une grande partie de leur enfance ensemble. Ou alors peut-être était-il tout simplement un acteur déplorable.
Le jeune homme regarda vers sa gauche, essayant désespérément de reconnaître quelque chose. Le passage secret se trouvait bien du côté gauche, n'est-ce-pas ?
— Athanasios, siffla le Prince Noir entre ses dents, si nous sommes venus ici pour rien…
— J'ai autant envie que toi de récupérer mes souvenirs, le coupa fermement Arthur. Je vais retrouver le passage. Arrête de me mettre la pression, ça me bloque !
Au même instant, il crut reconnaître un arbre particulièrement penché. N'était-ce pas celui sur lequel il s'était appuyé pour gravir la petite pente montant vers le château ? Il se laissa descendre à terre et quitta le chemin, suivi de près par son ami. Les feuilles crissaient sous ses pas et il avait l'impression qu'à tout instant une troupe de soldats allait leur tomber dessus, attirée par tout ce vacarme. Tassilon se déplaçait pour sa part sans le moindre bruit.
— Je crois bien que c'est par là, souffla Arthur, soulagé.
Il escalada encore un peu plus la pente. L'entrée du passage se trouvait normalement à quelques mètres d'ici. Le jeune homme ne voyait presque rien. Tâtonnant dans le noir, il se sentit soudain tomber dans un trou. Tassilon le rattrapa in extremis en le saisissant par le poignet.
— Voilà l'entrée, lui dit Arthur avec un petit sourire.
— Bien joué, fut bien obligé de reconnaître le Prince Noir.
Il fit remonter le jeune homme, posa le sac à dos à côté de lui et en sortit un petit objet noir accompagné d'une télécommande et d'un petit ordinateur. Il l'alluma et le fit s'envoler.
Arthur se posta à côté de lui pour regarder les images qu'envoyait la caméra infra rouge attachée au drone. Il était étrange d'utiliser à Mundus le matériel terrien sophistiqué que leur avait remis Katsuo. Le jeune homme eut une pensée pour Robert qui serait assurément ravi de posséder un tel jouet.
— Il y a trois soldats sur le chemin de ronde, remarqua Tassilon. Rien de bien méchant. Ils n'ont pas l'air d'être en alerte. Nous devrions pouvoir nous infiltrer sans problème.
Il fit revenir le drone et le rangea soigneusement dans son étui qu'il camoufla sous un buisson.
L'elfe se laissa glisser dans le trou et sortit une lampe torche pour éclairer la roche tandis qu'Arthur le suivait tant bien que mal.
— Tu risquerais de tomber sinon, dit-il d'un ton quelque peu méprisant. Maladroit comme tu es.
Le jeune homme préféra ne pas répliquer et se contenta de descendre aussi vite qu'il le pouvait. La montée lui sembla plus aisée que la première fois. Les entraînements successifs que lui avaient fait subir Robert et Tassilon devaient finalement porter quelques fruits.
Le Prince Noir éteignit la lumière lorsque Arthur arriva devant la porte et le rejoignit sans un bruit, n'ayant visiblement aucune difficulté à se déplacer dans l'obscurité. Le jeune homme sortit la clef qu'ils avaient empruntée à Charlotte, s'apprêtant à la mettre dans la serrure. Tassilon le retint cependant.
— Arthur, lui dit-il d'un ton inhabituellement sérieux. Si jamais nous avons à nous défendre contre quelqu'un, n'utilise surtout pas tes pouvoirs. Je ne veux pas qu'Absalom découvre que tu possèdes cette magie. Si possible, n'essaie d'ailleurs même pas de combattre. Tu n'arriverais qu'à te faire tuer.
Arthur accepta d'un vague signe de tête.
— Si tout se déroule normalement, nous ne devrions pas du tout avoir à nous battre, n'est-ce-pas ?
Sans attendre de réponse particulière, il déverrouilla la porte d'entrée, actionnant le mécanisme magique qui l'avait tant émerveillé quelques mois auparavant. Il crut percevoir à cet instant précis un curieux bourdonnement qu'il ne s'expliqua pas. L'elfe le poussa pour passer devant lui.
— Contente toi de me suivre, lui souffla-t-il.
Il ouvrit alors le battant et pénétra avec prudence à l'intérieur des remparts. Arthur s'y engagea à son tour, regardant autour de lui. Il ressentait un mélange d'angoisse et d'excitation à l'idée de retourner clandestinement dans ce lieu si familier. De ce qu'il pouvait voir dans le noir, rien ne semblait avoir changé. La mélancolie lui serra à nouveau le cœur. Il avait tant envie de retourner plusieurs mois auparavant, quand tout était plus simple, quand il était encore dans le bon camp et n'avait à se soucier que de découvrir son identité.
Le jeune homme perçut à ce moment-là une sorte de sifflement suivit d'un cri. Tassilon fut projeté sur le sol avec un bruit sourd. L'instant d'après, avant qu'Arthur n'ait eu le temps de comprendre quoi que ce soit, ils se retrouvèrent encerclés par des dizaines de soldats en armes.
Ils étaient tombés dans un piège.
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