44. Brunehaut
Les rudoiements infligés par le Prince Noir ne se révélèrent pas suffisants pour mettre fin à l'enthousiasme d'Arthur lorsqu'il me rejoignit ce soir-là.
Déambulant avec fébrilité dans l'espace pourtant bien étroit de ma cellule, il me raconta avec force détails les derniers événements.
— ...Je suis donc toujours un mage, conclut-il, ravi. Et puissant !
— C'est très bien, répondis-je patiemment, mais cela ne règle pas nos problèmes. As-tu pu avancer dans nos projets ?
Il se laissa tomber sur une chaise, l'air un peu déçu.
— Non, reconnut-il. Mais mes pouvoirs pourront sans doute nous aider à nous échapper !
— Peut-être.
L'expression du jeune homme s'assombrit.
— D'un autre côté, cela rendra mon acceptation par l'autre camp encore plus difficile, remarqua-t-il, sa bonne humeur envolée. Je leur semblerai potentiellement dangereux...
— Pas avec ton caractère actuel, lui assurai-je.
Il ne manquait plus qu'Arthur change d'avis au sujet de notre fuite.
Il soupira.
— Comment peux-tu en être sûre ?
Je tapai du pied sur le sol, agacée.
— Parce que je connais ma famille, tout de même ! Cet abominable prince des elfes n'est pas la seule personne vers qui tu puisses te tourner. Nous te cacherons quelque part. Sur Terre, peut-être. Je suis certaine que Sigebert serait prêt à t'aider à franchir la porte intermondiale si je lui demandais.
Il me regarda d'un air perdu.
— Quel Sigebert ? De qui parles-tu ?
— Sigebert de Beaumont, le fils du gardien.
Arthur se souvenait fort bien du jeune noble qu'il avait rencontré aussitôt après son arrivée à Mundus. Il l'avait tout de suite trouvé antipathique.
— Lui ? Pourquoi m'aiderait-il ?
— Parce que c'est mon fiancé. Je peux lui demander cette faveur.
— Ton...tu es fiancée ?
— Bien sûr que oui. J'ai dix-huit ans après tout. Il serait grand temps que je commence à fonder une famille.
— Avec Sigebert de Beaumont?
— Pourquoi pas lui ?
— Il est boutonneux et arrogant, déclara le jeune homme d'un ton convaincu.
Il continuait à m'observer avec un mélange d'horreur et de stupéfaction.
Je croisai les bras, ne comprenant pas bien cette soudaine hostilité.
— Il a certes un physique pour le moment un peu ingrat, mais cela passera avec l'âge. Et je trouve personnellement que c'est quelqu'un de charmant et issu d'une excellente famille.
Arthur se releva, soudain en colère.
— Je ne vois pas comment ce Sigebert accepterait de m'aider. Robert était mon ami, mais quand il a appris qui j’étais, il m’a repoussé.
— Tu le connais, c’est à cause de son tempérament fougueux. Il pensait que tu n’avais fait que lui tendre un piège et te servir de lui. Il changera d’avis…
— Je ne suis pas certain d'avoir besoin de son aide. Et encore moins de celle de ce boutonneux !
Sans rien ajouter de plus, Arthur se releva et quitta la pièce d'un pas raide.
Alors que j'étais encore en train d'essayer de m'expliquer la réaction pour le moins déroutante d'Arthur, la porte de ma cellule s'ouvrit sur le Prince Noir.
Je me levai aussitôt pour reculer le plus loin possible de lui. Il s'adossa contre un mur en me jetant un regard hautain.
— Qu’essayez-vous de faire au juste, petite humaine ?
Je fronçai le nez.
— Je ne cherche qu'à venir en aide à Arthur.
— Pour votre information, je le connais depuis bien plus longtemps que vous. Je sais ce dont il a besoin pour être heureux. Et ce n’est pas de passer sa vie en prison, contrairement à ce que vous avez l’air de penser.
Je me tournai vers lui, offusquée.
— Vous ne faites que vous servir d’Arthur. Vous ne savez même pas ce qu’il souhaite réellement. Vous n'êtes intéressé que par ses pouvoirs. Et vous osez vous prétendre son ami ? Depuis qu’il est ici vous passez votre temps à le tourmenter !
D’un geste vif, il me gifla si fort que je manquai de tomber. Il me saisit par le col, approchant son visage à quelques centimètres du mien.
— Vous êtes en train de devenir bien trop gênante, l'humaine. Prenez garde, un accident est si vite arrivé…
Il me lâcha. Je refusai cependant de m'avouer battue aussi vite.
— Pourquoi ne pouvez-vous seulement le laisser tranquille ? Arthur ne redeviendra sans doute jamais celui qu'il était. Pourquoi ne le laissez-vous pas partir et vivre sa vie ailleurs.
Il me jeta un regard incrédule.
— Êtes-vous donc assez naïve ou sotte pour croire qu'Absalom laisserait Athanasios « vivre sa vie ailleurs », selon votre expression ?
— Athanasios ? répétai-je sans comprendre. Athanasios est mort.
L'elfe haussa un sourcil, surpris. Puis ricana.
— Voilà qui est intéressant. Je constate avec plaisir que votre cher ''Arthur'' a conservé un certain goût pour la manipulation.
Il s'éloigna alors sans un autre mot tandis que je réfléchissais au sens de ses paroles et prenais douloureusement conscience de la vérité. Arthur m'avait menti.
*
Quelques heures après, alors qu’Arthur s’entraînait seul à utiliser ses pouvoirs, il aperçut une jeune elfe à la longue chevelure blonde se diriger d’un pas décidé en direction des quartiers de Tassilon. Elle était suivie de près par un homme très grand à l'air patibulaire.
Le jeune homme posa à terre le banc en bois qu’il avait réussi à élever de quelques centimètres pour observer les nouveaux venus. Il était certain de n'avoir encore jamais croisé ces deux elfes. Il y avait quelques femmes dans l’armée du Prince Noir, mais aucune ne se comportait avec l'assurance et la prestance de celle-ci dont la beauté était loin de passer inaperçue.
— Voici Brunehaut, la cousine de Tassilon, expliqua soudain Katsuo qui maîtrisait à la perfection l’art de surgir brusquement sans faire le moindre bruit aux moments les plus inattendus. Derrière elle c’est Grégoire, son amant. Un type peu commode qui s'obstine à ne vouloir utiliser que des armes blanches. Va savoir pourquoi.
Le prénom de la première avait piqué l'attention d'Arthur et il étudia la jeune femme plus attentivement.
— Brunehaut, dis-tu ? Que sont-ils venus faire ici ? Tassilon m'a dit un jour que tous les elfes noirs n'étaient pas du côté d'Athanasios. Je veux dire de mon côté.
— Brunehaut fait plus ou moins partie de tes soutiens. Ça dépend des moments. Je crois que notre cher Tass' l’avait chargée d’enquêter avec Grégoire au sujet de tes souvenirs. Ils sont plutôt doués pour obtenir des informations, ces deux là. Je préfère d'ailleurs ne pas savoir comment.
Arthur observa la princesse et son ami disparaître à l’intérieur du manoir. Avaient-ils pu découvrir quelque chose ? Tassilon lui en ferait-il part ? Il semblait s'être rapproché un tout petit peu de lui depuis que le jeune homme était capable d’utiliser ses pouvoirs spéciaux, mais ce n’est pas pour autant que l’elfe lui faisait confiance.
— Allons participer à cette petite réunion de famille, décida soudain Arthur avec une audace qui l’étonna lui-même.
— Bonne idée, l’approuva Katsuo qui paraissait très amusé par la situation.
Les deux jeunes hommes s’avancèrent en direction du bâtiment. Les deux gardes elfes postés devant la porte leur jetèrent un regard circonspect mais finirent par juger qu’ils devaient probablement avoir le droit d’être là et les laissèrent passer. Arthur entra sans frapper dans la salle qui servait de bureau à Tassilon en s’efforçant de montrer plus d’assurance qu’il n’en avait en réalité.
Vue de près, Brunehaut était encore plus éblouissante. Son visage aux traits fins reflétait une grande douceur très certainement trompeuse. Arthur n’avait jamais encore rencontré d’elfe noir faisant preuve de délicatesse. L’expression de la princesse se modifia cependant instantanément lorsqu’elle vit à qui elle avait affaire et fut remplacée par une petite moue dédaigneuse. Elle partageait visiblement le mépris de son cousin pour celui qu’il était devenu.
Le jeune homme alla se poster aux côtés de Tassilon pour lui faire face.
— Bonjour Brunehaut, lui dit-il. Quelles informations apportes-tu ?
La princesse échangea un regard muet avec son cousin pour lui demander sans doute si elle pouvait parler. Arthur s’était à moitié attendu à ce que son meilleur ami officiel le balance hors de la pièce par la peau du cou. Le Prince Noir, qu’il n’osait pas regarder, s'en abstint cependant car Brunehaut finit par ouvrir la bouche de mauvaise grâce.
— Nous avons trouvé la piste des souvenirs d'Athanasios. Après lui avoir arraché sa mémoire, Absalom a transporté son corps dans l’autre monde, en utilisant la porte du château de Beaumont. Il est ensuite revenu seul à Mundus. Un informateur l’a vu porter entre ses mains une fiole de parfum recouvertes de feuilles d’or sur laquelle est gravée un motif en forme de dragon. Il s’agit très certainement du récipient contenant les souvenirs volés. Notre espion a ensuite eu l'opportunité d'accompagner le mage humain jusqu’à un autre château, voisin du premier. Absalom s’est entretenu avec le seigneur du lieu pendant quelques minutes avant de repartir à nouveau, les mains vides. La fiole a certainement été cachée là-bas et s’y trouve sans doute encore.
— Quoi? s’exclama Arthur sans réussir à cacher sa surprise. Mes souvenirs se trouvent au château d’Aspignan ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top