41. L'armurier


— ...Nous nous réfugierons alors auprès de ma famille, conclus-je d'un ton satisfait.

Arthur et moi avions commencé à élaborer notre plan d'évasion. Après mûres réflexions, nous avions estimé plus prudent de ne pas chercher à libérer tous les otages. Nous reviendrons les secourir dans un second temps avec des renforts.

— La première chose que tu vas devoir faire, repris-je, est de réussir à découvrir où se trouve exactement ce manoir.

Le jeune homme acquiesça sans grande conviction. Je le voyais s'agiter sur sa chaise depuis un moment.

Je fronçai les sourcils.

— Quel est ton problème ?

— Il y a quelque chose que je ne t'ai pas dit, marmonna-t-il sans me regarder.

Je lui jetai un regard encourageant pour le pousser à continuer. Il finit par se lancer d'un ton hésitant.

— Lorsque j'étais dans les prisons royales, Robert est venu me voir. Il était furieux d'avoir découvert que j'étais... l'un des partisans d'Athanasios. Il pensait que j'avais fait semblant d'être amnésique pour l'espionner ou je ne sais quoi d'autre.

Je balayai l'argument d'un geste de la main.

— Robert peut être parfois têtu, mais il a un bon fond. Si tu m'aides à m'évader, il comprendra que tu es définitivement passé de notre côté et oubliera toutes tes erreurs passées.

Il détourna le regard.

— Je n'en suis pas si sûr...

— Puisque je te le dis ! m'impatientai-je, ne comprenant pas son obstination.

— Robert est quelqu'un de très droit. Il ne pourra pas faire abstraction de tout. Et même s'il le pouvait, le roi ou Absalom me feraient retourner en prison.

— Le roi n'a pas à être au courant, Absalom non plus. Ne fais-tu pas confiance à ma famille ? Je croyais que tu les connaissais bien.

Il regardait toujours ailleurs.

— Ce n'est pas ça...Je leur fais confiance, mais... Il y a des éléments dont tu ne disposes pas. Il y a des éléments dont je ne dispose pas non plus. Qui sait ce que j'ai fait lorsque j'avais encore mes souvenirs ? J'ai dû causer beaucoup de mal.

Je posai une main sur son bras avec douceur.

— Tu es quelqu'un de bien, Arthur. Je peux le sentir. Ce que tu as fait jadis n'a pas d'importance pour moi. C'est ce que tu vas faire à partir de maintenant qui compte.

Il me jeta un regard étrange.

— Vraiment ? Es-tu réellement prête à tout me pardonner.

— Bien sûr que oui ! Enfin, ce n'est pas non plus comme si tu avais été Athanasios lui-même, n'est-ce pas ?

Il m'adressa un sourire un peu crispé.

— Oui. Ce n'est pas comme si j'avais été Athanasios...

*


Arthur traversa le jardin avec morosité. Devait-il continuer à taire sa véritable identité ? Charlotte finirait inévitablement par découvrir la vérité un jour ou l'autre... Avait-il seulement raison de vouloir fuir avec elle ? Comment serait-il reçu par les Aspignan ? Tenir la promesse qu'il avait faite à Robert de sauver sa sœur serait-il suffisant pour être pardonné ?

Au fond de lui, le jeune homme se demandait s'il souhaitait réellement s'échapper et renoncer à tout jamais à retrouver son passé et ses pouvoirs.

Arthur se rappela soudain qu'il devait une nouvelle fois rejoindre Tassilon. La perspective de se faire rudoyer par l'elfe lui était encore plus déplaisante que d'habitude.

« Oh et puis zut, je n'irai pas », songea-t-il, d'humeur rebelle.

Se retrancher dans sa chambre n'avait pas été la meilleure des idées. Le jeune homme décida donc de s'engager à travers une série de bosquets et d'arbustes entre lesquels il se dissimula. Tout ceci manquait certes de virilité, mais le Prince Noir ne cessait de le traiter comme un enfant désobéissant, alors autant se comporter comme tel...

Cid le rejoignit soudain d'un battement d'ailes. La corneille semblait lui avoir pardonné son accueil peu chaleureux. Perchée sur son épaule, elle entreprit de croasser bruyamment pour manifester son contentement.

— Moins fort, s'inquiéta le jeune homme. Tu vas nous faire repérer !

— Coucou! chuchota soudain une voix à quelques centimètres de là.

Arthur fit un bon en l’air tandis que Cid s'envolait précipitamment en piaillant d'effroi.

Un garçon un peu plus âgé que lui aux traits asiatiques s’était faufilé jusqu’à lui sans le moindre bruit.

— J’ai entendu dire que tu étais de retour, lui dit son interlocuteur avec un grand sourire. Alors je suis revenu également.

— Ah…euh…oui, bredouilla Arthur qui n’avait pas la moindre idée de l’identité de la personne à qui il s’adressait.

Il s’agissait… d'un humain ? Que faisait-il ici parmi les elfes noirs ?

— Je suis Katsuo, expliqua le garçon qui avait visiblement perçu son trouble. Ton armurier.

— Mon… armurier ?

Tout cela n’avait absolument aucun sens. Comment est-ce que ce garçon avait- il pu se retrouver à travailler avec un redoutable mage noir ? Pour lui fournir des armes, qui plus est.

— Comme tu me l’avais demandé la dernière fois, j’ai apporté deux caisses de ceci, dit Katsuo en sortant de sa poche un pistolet qu’il fit négligemment tourner entre ses doigts.

— Range ça ! protesta Arthur, horrifié.

Qu’est-ce qu’une arme à feu terrienne venait faire sur Mundus ?

— Que fais-tu ici au juste ? s’enquit le jeune asiatique sur le ton de la conversation. As-tu entamé une partie de cache-cache ?

— Quasiment, soupira Arthur. J’espérais pouvoir échapper un moment à Tassilon.

— Oh, d’accord, répondit Katsuo qui semblait trouver cela parfaitement normal et s’assit en tailleur à côté de lui. Alors, quel est le plan ?

— Quel plan ?

— Je suppose que tu vas essayer de récupérer tes souvenirs, non ? Le Prince Noir n’a encore rien mis en place ?

— J'ai l'impression que si, même s’il refuse de m'en parler. Il n’apprécie pas du tout que je sois devenu…si inutile.

— Tassilon a été très affecté par ta disparition, lui assura Katsuo qui semblait vouloir le consoler. Nous te pensions tous mort.

Le jeune homme eut un sourire triste.

— C'est comme si je l'étais. Si Athanasios l'était, du moins. Je suis devenu une toute autre personne.

Les branches du buisson s’écartèrent brusquement sur un Prince Noir furibond.

— Salut Tass'! s’exclama joyeusement Katsuo. Cela faisait longtemps. Viens donc te joindre à nous.

Il tapota une place vide sur le sol à côté de lui.

L’elfe lui adressa froidement un tout petit signe de tête.

— Je ne te savais pas ici.

— Je viens tout juste d’arriver. Je n’ai appris que très tardivement la merveilleuse nouvelle de la résurrection d'Athanasios.

— Hm. Je ne sais pas si l’on peut parler d’une résurrection…

Il se tourna alors vers Arthur qui se recroquevilla sous sa colère.

— Quant à toi, puis-je savoir ce que tu fais ici ?

— Euh…eh bien, je me disais…puisque Katsuo vient tout juste de revenir, pourquoi est-ce qu’on ne ferait pas une journée de pause pour que je puisse refaire connaissance avec lui ?

Le Prince Noir le foudroya du regard.

— Certainement pas. Dis au revoir à ton nouvel ami.

Katsuo lui jeta un regard désolé.

— Bon, bah à plus tard Athanasios. J’ai hâte de découvrir ta nouvelle personnalité. Elle m’a l’air…intéressante.

Le jeune asiatique se leva alors et s’éloigna d’un pas guilleret en direction du bâtiment principal.

— Qui est-ce, ce Katsuo? demanda Arthur pour satisfaire sa curiosité et gagner un peu de temps. D’où est-ce qu’il vient ?

— C’est un Terrien. Il nous procure des armes modernes. Je ne sais pas grand-chose de lui. C’est quelqu’un d’assez bizarre, je dois dire.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’armes à feu? Tu veux vraiment les utiliser sur Mundus ?

— C’est toi qui les as commandées. Tu as estimé qu’il pourrait être utile d’en fournir aux elfes de mon armée.

— Mais c’est…c’est déloyale d’en utiliser face à des guerriers ne disposant que d’une épée !

Tassilon haussa les épaules.

— Et alors ? Le principal c’est de gagner, non ?

— Non ! Enfin si, mais…bref, passons. Pourquoi ne m’as-tu jamais encore parlé de Katsuo ? Comment veux-tu que je redevienne moi-même si tu ne me dis jamais rien ?

— Je t’en dis le moins possible parce que je n’ai pas confiance en toi, observa froidement Tassilon. Tu pourrais très bien t’échapper et courir auprès de tes chers nobliaux pour lui raconter tout ce que tu as appris.

— Ce n’est pas vrai ! protesta Arthur avec indignation, même s'il s'agissait en réalité de la stricte vérité. Je suis ton ami. Tu devrais me faire un peu plus confiance.

Le Prince Noir saisit soudain le jeune homme par son col.

— Non, dit-il d’un ton menaçant. Tu n’es pas mon ami. Tu n’es pas le vrai Athanasios. Tu as son corps, son apparence, mais à l’intérieur tu es quelqu’un de complètement différent. J’ai besoin de toi parce que tu es le seul moyen de le faire revenir. Sinon je n’hésiterais pas une seule seconde à t’éliminer.

Il relâcha alors Arthur avec dégoût.

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