4. La demeure du magicien

Tout en continuant à discourir, les deux garçons s'étaient éloignés de la clairière. Arthur constata avec soulagement que ses jambes continuaient à obéir sagement à ses ordres, même s'il peinait un peu à suivre Robert qui marchait à grandes enjambées. 

— Où sommes-nous exactement ? S'enquit Arthur. 

— Dans des bois dont le nom m'échappe, dans une ville limitrophe à Versailles. Mon oncle habite juste à côté.

La forêt se termina brusquement sur une route en macadam sur laquelle une petite voiture grise venait de s'engager. C'était un véhicule tout ce qu'il y a de plus ordinaire, mais Robert la regarda avec fascination jusqu'à ce qu'elle disparaisse au détour d'un tournant.

— C'est vrai que c'est si exotique, ne put s'empêcher d'ironiser Arthur qui ne comprenait pas comment quelqu'un qui pratiquait la magie pouvait trouver un intérêt quelconque dans quelque chose d'aussi banal.

Robert eut l'air légèrement vexé.

— Mon monde est tout à fait différent ! Nous n'avons pas du tout les mêmes transports !

— Ah oui, demanda Arthur, très intéressé, vous avez des tapis volants ? Ou alors vous voyagez à dos de dragon ? C'est bien plus impressionnant qu'une simple voiture !

Le jeune homme s'imaginait un peu l'autre monde comme ceux des romans de fantasy qu'il avait lus. Du moins qu'il pensait avoir lus. Bizarrement, il avait le contenu en tête d'un certain nombre de livres, mais ne pouvait se rappeler les avoir tenus un jour en main.

— Ne t'enthousiasme pas trop, marmonna Robert, soudain sombre, c'est pas toujours si extraordinaire. Surtout en tenant compte des événements de ces dernières années...

— Que s'est-il passé ? Voulut avidement savoir Arthur.

L'apprenti chevalier éluda la question d'un geste de la main.

— Je te raconterai cette histoire une autre fois.

Il semblait avoir tout à fait oublié qu'il avait l'intention d'effacer la mémoire d'Arthur.

Ils traversèrent la rue et s'arrêtèrent devant une petite maison toute blanche entourée d'un minuscule jardin parfaitement entretenu. Les fenêtres étaient masquées par des rideaux en dentelle. Le tout avait l'air très... très ordinaire, très peu impressionnant. Ce n'était pas du tout ainsi qu'Arthur s'imaginait la maison d'un magicien. Cela manquait de portes en bois épais avec un anneau de fer en forme de tête de dragon pour frapper, de tours sombres et chancelantes avec des escaliers en colimaçon à marches inégales sur lesquelles il fallait grimper avec précaution, de vastes cheminées d'où sortaient de la fumée bleue ou rose selon la potion que l'on préparait, de plantes épineuses grimpant sur les murs et envahissant le jardin, d'arbres morts étalant leurs branches nues comme des griffes, de corneilles posées sur le toit en croassant, de hiboux aux yeux étincelants entrant par la fenêtre un rouleau en parchemin jauni dans le bec, de chats noirs tranquillement installés sur la rambarde du perron, d'autres animaux bizarroïdes inconnus, de lumières étranges jaillissant des fenêtres, de bruits curieux, de hurlements à glacer le sang, de fantômes passant à travers les murs comme s'ils n'existaient pas, de pierres tombales, de loups garous hurlant, de pleine lune dans une nuit sans étoile, bref, tout manquait !

Robert dut sentir son étonnement mêlé de déception, lui sourit, poussa la petite barrière et murmura :

Domus vera

La maison, après un court moment d'hésitation, parut brusquement grandir. Le petit jardin eut l'air d'exploser, sa superficie augmenta jusqu'à atteindre la taille d'un stade de foot tandis que des arbres sortaient de sol dans tous les sens en déroulant leurs branches. La maison, quant à elle, commença par tripler de volume sur le côté, puis s'étira vers le haut, jusqu'à ressembler à une étrange tour passablement biscornue. Les petits rideaux de dentelle avaient fait place à de lourdes tentures de velours rouge. Ce n'était pas encore tout à fait la maison du parfait magicien, mais il y avait incontestablement du progrès.

— Voilà qui est mieux !

Arthur fit quelques pas et remarqua alors que la propriété était entourée par une haute muraille qui cachait complètement la vue sur la rue.

— Pourquoi des fortifications ? Vous avez peur d'être attaqués ? Parce que tu sais, depuis qu'on a inventé la poudre à canon...

— Je sais ! dit distraitement Robert en sortant une grande clef de sa poche qu'il mit dans la serrure. Le mur est là pour empêcher la magie d'être visible. Comme cela mon oncle peut faire ce qu'il veut chez lui sans se préoccuper des voisins.

— Et s'il les invite à entrer ?

— La maison leur apparaît alors telle qu'elle en a l'air de l'extérieur tant que l'on n'a pas prononcé la formule. Malgré cela, il y a généralement quelques anomalies assez difficiles à camoufler. Nous évitons donc autant que possible de recevoir des locaux. Surtout depuis le jour où un malheureux facteur s'est cassé le nez en empruntant un escalier qui n'existait pas réellement. 

La porte s'ouvrit en grinçant, dévoilant un intérieur tout aussi banal que la petite maison blanche. Il y avait bien, certes, quelques meubles anciens et des livres dont certains semblaient fort vieux et qu'Arthur imagina remplis de sorts plus intéressants les uns que les autres. Mais la porte ouverte du salon laissait aussi apercevoir une télévision à écran plat et un ordinateur dernier cri qui diffusait de la musique classique, du Lully, estima le jeune homme en se découvrant de vagues connaissances de mélomane. 

— Entre, invita Robert en le poussant à l'intérieur.

Arthur traversa un vaste couloir pour atterrir dans une cuisine à la pointe de la technologie. Au lieu de lui proposer une marmite d'yeux de grenouille sortis d'un immense chaudron noir, Robert lui présenta un pot de Nutella déjà bien entamé.

— Je n'ai pas très faim, s'excusa poliment Arthur.

Assis sur une chaise, il se contenta donc d'assister à l'impressionnant spectacle de son nouvel ami engloutissant trois énormes tartines dégoulinantes de pâte à tartiner, car les exercices physiques qu'il avait menés avaient visiblement fatigué notre apprenti chevalier.

— En fai', chest churtout la magie, expliqua Robert la bouche pleine en projetant des miettes dans toutes les directions, chest très éprouvant phychiquement. Tu es chûr que tu ne veux chrien ?

Arthur secoua la tête. Il se sentait étrangement faible, comme s'il sortait de la première fois de son lit après une longue maladie. Il avait l'impression de devoir se réhabituer au monde. Peut-être était-il en réalité en train de rêver ? Tout ce qu'il avait vu ressemblait davantage à un songe qu'au monde réel.

Un bruit de pas se fit entendre et l'oncle de Robert fit son apparition. D'une taille moyenne, il n'était pas vêtu d'une longue robe bleue à étoiles jaunes, mais d'un pantalon en velours plutôt défraîchi et d'un pull en laine. Ses cheveux ne tombaient pas jusqu'à ses pieds mais étaient châtains et coupés courts. Quand à son menton, il n'abritait pas une barbe impressionnante mais une peau rasée de près. Arthur se fit la réflexion qu'il ressemblait davantage à un employé de bureau lambda qu'à un mage issu d'un autre monde. 

Il sourit poliment à Arthur, l'air légèrement interloqué, puis se tourna vers son neveu. 

— Qui est ton ami ?

Il y eu un petit bruit de déglutition et Robert réussit enfin à avaler sa dernière bouchée.

— C'est Arthur. Il est là pour que tu lui effaces la mémoire.

— Euh, d'abord pour qu'on me la redonne ! protesta vigoureusement Arthur qui n'avait pas l'intention de se faire avoir.

— Oui, et après on l'efface !

Le magicien, qui avait suivi le débat sans tout saisir, soupira. 

— Très bien. Allons dans le salon. Vous allez tout m'expliquer depuis le début. 

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