38. Une étrange énergie
Je toisai ce garçon vêtu de cette façon si cavalière. Qu'est-ce que tout cela signifiait ? Que savait-il sur ma famille ?
- Que voulez-vous dire par là ?
Il ouvrit la bouche pour me répondre, mais fut grossièrement interrompu par la porte de la chambre qui s'ouvrit à la volée sur le Prince Noir.
Je reculai aussitôt, peu désireuse de me trouver trop près de cet odieux personnage. Il ne m'accorda cependant pas la moindre attention.
- Alors, demanda-t-il à cet Arthur avec un sourire tordu, que penses-tu de ton cadeau ?
Le jeune homme fronça les sourcils.
- Quel cadeau ?
L'elfe me désigna du menton, me faisant sursauter d'indignation.
Arthur était devenu rouge comme un pivoine.
- Je...Je ne veux pas d'une servante ! protesta-t-il.
- Je ne suis pas une servante ! m'offusquai-je.
Le Prince Noir haussa les épaules.
- Je sais que tu adores ces nobliaux. Je pensais que cela te ferait plaisir d'en avoir un auprès de toi...
- Pas de cette façon là !
- Je ne suis pas une servante, répétai-je plus fort.
L'elfe se tourna vers moi, agacé.
- Bon, vous, dégagez, puisqu'on ne veut pas de vous. L'un de mes hommes se trouve dans le couloir et va vous ramener dans votre cellule.
Je quittai la pièce avec toute la dignité qu'il me restait.
- Je sais très bien que tu fais cela pour humilier les Aspignan et non pour me faire plaisir, remarqua Arthur dès que la porte se fut refermée.
- Vraiment ? commenta le Prince Noir d'un ton faussement innocent. Que dirais-tu de faire un petit tour dehors. Tu as dormi près de vingt-quatre heures d'affilées.
Vingt-quatre heures? Cela ne pouvait leur avoir permis qu'un déplacement réduit.
- Bonne idée, accepta le jeune homme qui mourait d'envie d'aller explorer les lieux.
Tassilon haussa un sourcil.
- Tu devrais peut-être t'habiller avant.
- J'aimerais bien, répondit sèchement Arthur. Si seulement je pouvais disposer d'un minimum d'intimité ! Que l'on cesse donc d'entrer dans ma chambre comme dans un moulin !
Comme l'elfe ne faisait pas mine de bouger, il finit par prendre les habits qu'il avait sélectionnés sous le bras et alla s'enfermer dans la salle de bain en bougonnant.
- Tu as meilleure allure, observa Tassilon avec entrain lorsque le jeune homme le rejoignit une minute après.
Arthur ne répondit rien et se contenta de suivre le Prince Noir lorsqu'il franchit le seuil de la porte.
La chambre d'Athanasios était visiblement perchée au sommet d'une tour ronde à laquelle on accédait par un escalier en colimaçon percé de meurtrières. Le jeune homme regarda avec curiosité par l'une des étroites fenêtres. Le bâtiment dans lequel il se trouvait était entouré par un jardin assez vaste recouvert d'herbe et de quelques rares arbres. D'immenses murailles, plus hautes encore que la tour, masquaient entièrement le paysage alentour.
- Ce sont des barrières de protection, n'est-ce-pas ? demanda Arthur en se rappelant celles qui camouflaient la maison de Philippe d'Aspignan aux yeux des Terriens.
- Ne cherche pas à en savoir trop, le prévint Tassilon d'un ton mauvais.
Le jeune homme soupira en se détachant de la meurtrière. Que s'imaginait donc l'elfe ? Qu'il allait s'enfuir, se précipiter auprès d'Absalom pour lui révéler où se trouvait le repaire d'Athanasios ? Ce n'était à la réflexion un plan pas si mauvais que cela...Pourrait-il monnayer cette information en échange de son immunité ? Permettre la libération des otages du mage noir serait une preuve certaine de sa bonne volonté. Il pourrait emmener Charlotte avec lui.
L'escalier finit enfin par s'ouvrir vers l'extérieur. Arthur descendit la dernière marche avec un certain soulagement. Il ne se sentait pas à l'aise avec l'altitude. Etait-il différent sur ce point d'Athanasios ? Pourquoi ce dernier aurait-il sinon choisi de s'installer dans un tel endroit ?
A présent qu'il en était sorti et s'en était éloigné de quelques pas, Arthur eut la nette impression que la tour était légèrement de travers, ce qui n'acheva pas de le rassurer...
Le reste du bâtiment était composé d'un corps de logis en pierres grises assez délabré. Quelques elfes, hommes comme femmes, en sortaient et entraient à intervalle régulier, saluant leur prince au passage. Et peut-être Arthur également, après tout. Ce dernier ne se sentait pas très à l'aise en leur présence. Il ne pouvait s'empêcher de songer aux impitoyables guerriers qui les avaient jadis attaqués lors de son périple avec les Aspignan pour gagner la capitale.
Une ombre noire volante surgit brusquement du ciel droit sur Arthur, s'agrippant à ses cheveux. Le jeune homme se débattit.
- Qu'est-ce que..., bredouilla t-il en cherchant à se débarrasser de son agresseur.
Il donna plusieurs coups dans le vide et finit par mettre en fuite la créature qui se percha sur l'épaule de Tassilon en croassant avec indignation.
C'était une corneille qui le regardait avec des yeux emplis de reproches.
- C'est ta bestiole, expliqua le Prince Noir en la caressant pour la consoler.
L'oiseau frotta affectueusement son bec contre la joue de Tassilon, réclamant davantage de cajoleries.
- J'ai une corneille ?
Pourquoi fallait-il qu'Athanasios ait un animal de compagnie si typique d'un méchant ? Pourquoi pas un lapin ou un mouton? Ou un dragon, tiens. Arthur aurait tout donné pour posséder un dragon, même s'il n'était pas certain qu'ils existent réellement.
Il avança une main timide et la posa sur l'oiseau qui détourna ostensiblement la tête.
- Comment s'appelle-t-elle ?
- Cid.
Arthur sourit.
- C'est amusant comme nom, pour une corneille.
- C'est aussi ce que tu avais dit en l'adoptant. Mais tu n'avais pas daigné m'expliquer pourquoi.
- C'est à cause de la pièce, commença le jeune homme, mais Tassilon ne l'écoutait déjà plus.
- Il va falloir commencer ton entraînement, déclara-t-il en écartant grand les bras.
Déséquilibrée, la corneille s'envola à nouveau et jugea plus prudent de se réfugier dans un arbre, tournant résolument le dos aux deux jeunes hommes.
- Mon entraînement ? répéta Arthur avec méfiance.
- Oui. Tu ne peux pas rester dans ton état. C'est lamentable. Tu ne sais même plus te battre.
Arthur eut une moue vexée.
- Les Aspignan m'ont appris à me servir d'une épée.
Tassilon eut un ricanement de mépris.
- L'enseignement de tes chers petits nobliaux n'est pas suffisant. Il est temps de passer aux choses sérieuses.
Sans le moindre avertissement, il poussa brusquement le jeune homme qui, pris au dépourvu, s'écrasa sur le sol.
Arthur resta allongé sur le dos à même la terre, le souffle coupé.
- Ça ne va pas ? finit-il par pouvoir s'indigner. Qu'est-ce qui te prend ?
Il dut rouler précipitamment sur le côté pour éviter un nouveau coup en traître.
- Tu dois être prêt à te battre en toute occasion, remarqua tranquillement Tassilon. Sois toujours sur tes gardes, même auprès de tes supposés alliés.
- C'est toi mon « supposé allié » ? Parce que si tu t'imagines que... Eh ! Arrête ! Aïe ! Je suis encore fatigué par le voyage. Pourquoi ne pas commencer l'entraînement demain ?
Il reçut un coup sur l'épaule pour toute réponse.
- Tu crois que tes ennemis vont bien vouloir attendre gentiment que tu te reposes ? Non, c'est pendant tes moments de faiblesse qu'ils t'attaqueront.
- Arrête, espèce de brute épaisse !
Arthur parvint à se remettre sur ses pieds et recula pour tenter de se mettre à l'abri du Prince Noir. Tassilon avançait cependant à une vitesse surhumaine et lui porta un nouveau coup dans les côtes. Le jeune homme avait la curieuse impression que l'elfe cherchait à le mettre en colère, même s'il n'en comprenait pas bien la raison.
- Arrête ! exigea-t-il pour la troisième fois, avec aussi peu de succès.
La corneille croassait depuis son perchoir. Pour protester contre le traitement infligé à son maître. Ou au contraire pour encourager l'elfe, Arthur n'en savait rien.
Si Tassilon avait pour but de le faire sortir de ses gonds, cela fonctionnait assurément bien. Le jeune homme ne voulait qu'une seule chose : qu'on le laisse tranquille. Il était absolument furieux de ce soudain combat. Si on pouvait appeler cela un combat...
Pendant quelques secondes il se sentit envahi par une grande énergie pleine de frustration qui ne demandait qu'à exploser. Le Prince noir l'observa attentivement, comme s'il attendait quelque chose. Cette force qu'il ressentait s'estompa cependant après quelques secondes et il tomba à nouveau sur le sol avec un gémissement.
Tassilon lui jeta un regard hautain exprimant à la fois une sorte de déception et un mépris certain.
- Très bien, lui dit-il. Va te reposer, mauviette. Nous commencerons à t'exercer demain à la première heure.
Puis il tourna les talons tandis qu'Arthur se relevait péniblement, certain d'être couvert de bleus. Le jeune homme frotta ses côtes endolories. Le Prince Noir s'imaginait-il vraiment qu'il allait lui apprendre à se battre en le tabassant ? Non, il lui cachait manifestement quelque chose. Il fallait qu'il découvre de quoi il s'agissait.
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