33. Un tour à la foire
Arthur fut tiré de son sommeil par une main qui le secouait vigoureusement. Il ouvrit les yeux avec un grognement fatigué et observa avec étonnement le feuillage dense qui s'étendait tout autour de lui, éclairé par la lueur orangée du soleil couchant. Pendant quelques secondes, il se demanda où il se trouvait. Puis tout lui revint. Il était enfin libre. Un élan de bonheur le traversa et il se redressa en adressant un grand sourire à Tassilon.
- Je peux savoir ce qui te met d'aussi bonne humeur ? s'enquit le Prince Noir d'un air suspicieux.
- Je viens de passer ma première journée en liberté depuis...euh...
Le jeune homme avait perdu toute notion de temps dans son horrible cellule qui ne laissait pas passer la lumière du jour.
- Depuis trois mois et quatre jours, précisa Tassilon qui, comme tous les elfes, avait le sens du détail.
- Trois mois seulement ?
- Et quatre jours. Prends ça et mettons nous en route sans plus tarder.
Il lui mit dans la main un gros champignon d'une couleur bleutée peu engageante.
- Euh merci...Que suis-je supposé en faire ? demanda Arthur.
- T'en servir comme arme de défense contre les éventuels soldats que nous pourrions rencontrer.
Le jeune homme examina son champignon avec étonnement. Ce végétal avait pourtant l'air inoffensif. Peut-être dégageait-il de la fumée toxique ?
Le Prince Noir soupira d'un air excédé.
- C'était une boutade. Il s'agit de ton dîner. Mange-le. Cette variété est particulièrement nourrissante. Tu as besoin de reprendre du poids.
Arthur fronça les sourcils.
- Es-tu sûr que c'est réellement comestible ?
Le jeune homme jugea cependant plus prudent de ne pas poser davantage de questions devant le regard de plus en plus noir de Tassilon et croqua prudemment dans le champignon. Il n'aurait su dire si c'était bon ou mauvais.
- Bon, quel est la suite du plan ? demanda Arthur après avoir avalé sa dernière bouchée.
-Avancer en évitant les soldats.
- Pour aller où?
L'elfe le jaugea un instant, calculant visiblement le degré de confiance qu'il pouvait lui accorder.
- Tu verras bien, finit-il par dire. Nous n'allons pas pouvoir rejoindre mes hommes. Ils avaient pour ordre de partir si nous ne les rejoignions pas à l'heure prévue. Je vais donc devoir me débrouiller seul. Dommage que tu sois devenu si inutile.
Arthur prit le parti de ne pas s'en formaliser. D'une certaine façon, Tassilon n'avait pas tort, même s'il préférait de loin être dépourvu du moindre talent plutôt qu'être un mage noir sanguinaire.
Ils se mirent en route, se frayant un pénible passage à travers la forêt. Si Tassilon avançait avec une aisance déconcertante, Arthur peinait à le suivre. Ses vêtements ne cessaient de s'accrocher aux broussailles et ses bras et jambes furent bientôt couverts d'égratignures. Il n'avait aucune idée de la façon dont le Prince Noir parvenait à s'orienter dans la pénombre de plus en plus prégnante. S'il avait été seul, il aurait probablement fini par se mettre à tourner en rond. Rien ne ressemblait plus à un arbre qu'un autre arbre.
L'euphorie qu'il avait tantôt ressentie s'était depuis longtemps transformée en profonde lassitude lorsque Tassilon s'immobilisa enfin.
- Je pense que nous pouvons à présent tenter une sortie, proposa l'elfe. Nous nous sommes suffisamment éloignés et l'obscurité est assez noire pour que nous puissions quitter la forêt. Il ne serait pas une bonne chose de nous y laisser enfermer.
- Faisons comme tu veux, répondit Arthur.
Il avait hâte de quitter cette forêt aux arbres tueurs, quel que soient les dangers à affronter à l'extérieur.
Aucun soldat n'était cependant en vue lorsqu'ils parvinrent à la lisière des bois. La lune était pleine et éclairait les environs presque comme en plein jour.
Arthur avançait prudemment, observant avec attention la moindre ombre et sursautant à chaque bruit. Ils ne dérangèrent cependant que quelques animaux nocturnes qui s'empressèrent de déguerpir. Le jeune homme finit par se calmer, trop fatigué pour se soucier d'autre chose que de mettre un pas devant l'autre.
- Nous n'allons pas tarder à arriver en ville, observa soudain Tassilon alors que le soleil s'apprêtait à se lever.
Arthur sursauta.
- Nous ne pouvons pas nous montrer en ville, protesta-t-il. Il y a sûrement un avis de recherche contre nous. Nous risquons de nous faire reconnaître. Je ne veux pas retourner en prison !
Tassilon haussa les épaules.
- Je ne tiens pas non plus à connaître les joies de l'incarcération. Le risque de nous faire prendre est négligeable. Nous ne sommes pas sur Terre. Il n'y a pas de télévision ou de je ne sais quelle technologie absurde pour diffuser notre portrait à tous les habitants.
Arthur se mordit la lèvre, hésitant.
- Qu'avons-nous besoin de faire en ville ? Pourquoi ne pas rester à l'abri ?
Tassilon leva les yeux au ciel.
- Pour de multiples raisons évidentes, la première étant que nous ne pourrons pas éviter de traverser des agglomérations jusqu'à notre destination.
- Qu'est-ce que je peux en savoir ? bougonna le jeune homme, de mauvaise humeur. Tu refuses de me dire où nous allons !
- Deuxièmement, poursuivit l'elfe en ne lui accordant pas la moindre attention, nous avançons bien trop lentement à pied. Nous devons nous procurer des montures. Troisièmement, nous aurions bien besoin de prendre un peu de repos et de nous procurer de nouveaux vêtements. Je refuse de passer plus de temps avec une personne qui sent aussi mauvais.
- Tu crois que je disposais d'une douche dans ma cellule? s'agaça Arthur. Il est vrai que je ne serais pas contre regagner la civilisation, si tu m'assures que cela n'est pas dangereux.
Tassilon lui adressa un grand sourire.
- Bien sûr que si, c'est dangereux. Mais c'est cela qui est intéressant, n'est-ce-pas ?
Le jeune homme se contenta de grogner, peu convaincu. Il se demanda vaguement si Athanasios était aussi téméraire que son ami. Lui-même se sentait d'un caractère plutôt prudent.
- Nous n'allons pas particulièrement passer inaperçus vêtus comme nous le sommes, remarqua-t-il en désignant ses vêtements en lambeaux.
- Là où nous allons il y a beaucoup de miséreux, lui répliqua l'elfe. Je te prêterai ma cape. Nous nous fondrons dans la masse, crois-moi.
Arthur était à court d'arguments. Il n'avait de toute façon pas d'autre choix que de se fier au Prince Noir en attendant de trouver une bonne occasion de lui fausser compagnie. Il se retrouva donc, une bonne heure de marche plus tard, à suivre un long chemin en terre battue qui serpentait entre les champs. Ils croisèrent d'autres voyageurs quelques lieues plus tard, des marchands de tissu transportant leur cargaison dans de grands chariots. Arthur garda nerveusement les yeux baissés sur le sol, empêtré dans la cape de Tassilon qui était bien trop grande pour lui. Il s'agissait des premiers êtres humains qu'il rencontrait depuis son évasion et il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'ils allaient immédiatement comprendre qui il était. Tassilon avait cependant raison. Lorsqu'ils se rangèrent sur le bas côté, les commerçants ne leur accordèrent pas la moindre attention.
- Ils se rendent à la foire de Maraudy, expliqua le Prince Noir lorsque les chariots eurent achevé de les dépasser. Il s'agit de l'un des marchés les plus connus du royaume. Il a lieu pendant plusieurs semaines chaque printemps. Regarde, on voit déjà au loin la fumée des cheminées de la ville.
Le jeune homme fronça les sourcils. Ce nom lui disait quelque chose.
- Je crois que je suis passé près d'ici avec les Aspignan pour me rendre à la cour de Tolone. On m'a dit, me semble-t-il, que Maraudy était un lieu mal famé.
Tassilon se mit à rire.
- Certains quartiers ne sont pas très fréquentables, c'est vrai. Mais cela tombe bien. Nous sommes des criminels endurcis, après tout.
La ville se rapprochait de plus en plus. Arthur pouvait percevoir ses murailles composées de briques bleues et blanches entremêlées.
Les deux amis se joignirent à la foule bigarée qui se pressait devant la large porte d'entrée. Au grand soulagement d'Arthur, les gardes fort affairés les laissèrent passer sans aucun problème. Tassilon avait recouvert ses oreilles avec un bonnet.
La ville entière semblait s'être transformée en un gigantesque marché à ciel ouvert. Le jeune homme tourna la tête de tous les côtés avec émerveillement tandis qu'ils déambulaient à travers les divers étals. Il regarda avec une envie particulière une longue table en bois sur laquelle était posée une multitude de petits pains blancs aux épices précieuses, un met de luxe sur Mundus qu'il avait appris à apprécier au château d'Aspignan. Ils étaient cependant fort coûteux et il n'avait pas la moindre pièce de monnaie...
Le Prince Noir avançait à travers la foule avec un pas de conquérant. Arthur avait de son côté peine à le suivre tant la foule était dense. Ils traversèrent tant bien que mal un attroupement réuni autour de deux saltimbanques. Arthur jeta un vague coup d'œil à leur représentation et remarqua avec grand étonnement qu'ils étaient en réalité en train de pratiquer de la magie, faisant apparaître des boules de flammes au grand enthousiasme de leur public. Il s'agissait de tours très grossiers et peu maîtrisés. Sans doute les deux hommes n'avaient-ils suivi aucune formation. Le jeune homme imaginait de toute façon très mal les mages si pompeux de l'Académie réaliser des spectacles de rue...
- Au lieu de regarder ces inepties sans aucun intérêt, ces humains feraient mieux de faire attention à leur argent, remarqua Tassilon d'un ton méprisant.
- Il y a des pickpockets ? s'inquiéta Arthur, même s'il n'avait en réalité rien à se faire voler.
- Oui. Nous par exemple.
L'elfe sortit discrètement de son sac une grosse bourse visiblement bien remplie et la fit sauter en l'air pour faire tinter les pièces qu'elle contenait.
- Tu es fou ! s'affola Arthur. Pourquoi as-tu fais cela ?
- Parce qu'il est plus simple de voler des sous qu'un cheval.
- Mais, bégaya le jeune homme, indigné, c'est du vol ! C'est...malhonnête !
Son ami le regarda d'un air incrédule.
- Bien sûr que c'est malhonnête. Mais nous ne sommes plus à une malhonnêteté près, tu ne crois pas ?
Le jeune homme serra les dents avec réprobation, refusant de lui répondre.
- Pourquoi as-tu besoin de détrousser de pauvres bourgeois ? finit-il par lui demander à la place. Tu es un prince. Tu dois certainement être extrêmement riche.
L'elfe haussa les épaules.
- C'est vrai. Mais j'aime m'amuser. Et je n'ai pas pour habitude de déambuler à travers tout le royaume avec des caisses d'argent humain. Il est plus facile de se servir quand j'en ai besoin.
Arthur avait vaguement l'impression que le Prince Noir était un peu vexé de sa réaction. Qu'aurait-il dû faire ? Applaudir son habilité ?
- Oh, à propos, j'ai également dérobé cela pour toi. Je t'ai vu les lorgner.
Tassilon lui tendit l'un des fameux petits pains que le jeune homme avait tantôt aperçu.
- Maintenant, si tu refuses de profiter d'un bien si mal acquis, je comprendrais et me contenterais de le manger moi-même.
- Ne sois pas ridicule, grommela Arthur en lui arrachant le pain des mains pour le fourrer avidement dans sa bouche.
Il l'avala en quelques bouchées sous le regard franchement moqueur de son ami qu'il choisit d'ignorer dignement. La mie était encore chaude, sortant visiblement tout juste du four.
- Souhaites-tu que je t'en vole un autre ? Lui demanda ironiquement Tassilon.
Un brusque bruit de clairon dispensa le jeune homme de répondre. Il se tourna vers la source du bruit et sentit son cœur rater un battement en voyant se rapprocher toute une troupe de soldats royaux.
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