3. Les deux mondes

-Qui es-tu, demanda le chevalier qui s'était ressaisi, depuis combien de temps es-tu là ? Qu'as-tu vu ?

Arthur eut un sourire presque imperceptible. Intéressant. Son interlocuteur ne tenait visiblement pas à ce qu'on l'aperçoive. Était-ce parce qu'il pratiquait une sorte de magie censée rester secrète ?

-Répond ! ordonna le chevalier d'un ton autoritaire. Et puis d'abord, pourquoi es-tu affalé dans l'herbe ?

Arthur aurait lui aussi bien aimé le savoir. Il se releva avec précaution. A son grand soulagement ses jambes parurent lui obéir à nouveau.

-A vrai dire, répondit-il honnêtement, je ne sais pas très bien ce que je fais là. J'étais en train d'y réfléchir lorsque tu as détourné quelque peu mon attention.

-Que veux-tu dire ? demanda le jeune homme d'un ton méfiant.

Arthur soupira une nouvelle fois.

-Tout simplement que je me suis brusquement réveillé ici sans aucun souvenir de ce qui s'était passé avant. J'ai vu de la lumière derrière les arbres mais je n'ai pas réussi à m'en approcher. Tu es alors arrivé. Qu'es-tu au juste ? Une sorte de magicien ? Quel est ton nom pour commencer?

-Robert, répondit le chevalier d'un ton pompeux, Robert d'Aspignan.

Il tendit de façon cérémonieuse une main qu'Arthur saisit avec un petit mouvement de tête.

-Moi c'est Arthur. Arthur Je ne sais plus qui.

-Es-tu donc vraiment amnésique ? s'étonna Robert.

-Es-tu donc vraiment un chevalier mage ? riposta Arthur en reprenant l'expression utilisée tout à l'heure par le jeune homme.

Son compagnon parut soudain embarrassé et fit tourner son épée entre ses doigts. Il eut l'air tout à coup beaucoup moins impressionnant, ressemblant à un enfant pris en faute.

-Euh... ce n'est pas tout à fait à vrai. Je ne suis pour le moment qu'un apprenti chevalier à cause de divers problèmes et il se trouve que je sais un peu manier la magie, ce dont tu n'aurais pas du tout dû te rendre compte. Si je savais mieux utiliser mes pouvoirs je t'aurais déjà effacé la mémoire !

Arthur recula d'un pas, méfiant.

-Merci bien. J'ai déjà eu mon compte de souvenirs effacés.

Un brusque soupçon le saisit.

-Dis donc, ne serait-ce pas ta faute ? N'as-tu pas déjà essayé d'effacer ma mémoire ?

-Absolument pas, se défendit Robert. Je ne ferai pas deux fois la même erreur tout de même !

-Cela pourrait être un autre magicien, alors ?

Le jeune écuyer réfléchit.

-Je ne pense pas. Il n'y en a pas beaucoup dans ce monde.

-Ce monde ? Quel monde ? Il y en a donc d'autres ?

Robert paraissait de plus en plus mal à l'aise.

-Il m'est absolument interdit de te parler de cela !

-Maintenant que le mal est fait, autant continuer, remarqua pragmatiquement Arthur.

Il n'avait pas la moindre envie de s'écarter de cette conversation intéressante. Robert tenta une autre technique et prit son air le plus menaçant.

-Il me faudra alors te tuer !

-J'en suis mort de peur, assura Arthur guère impressionné.

Il se demandait d'ailleurs d'où lui venait toute son assurance. Peut-être était-ce parce que Robert, malgré ses grands airs, avait l'air d'un brave garçon et semblait incapable de mettre de telles menaces à exécution. Sans qu'il sache pourquoi, cela l'agaçait un peu.

L'apprenti chevalier eut soudain l'air inspiré.

-Ou alors je vais demander à mon oncle de t'effacer la mémoire. C'est un grand magicien !

-Ah oui ? Pourrait-il m'aider auparavant à retrouver la mémoire ?

Robert eut un grand sourire.

-Mais oui ! Viens avec moi, mon oncle te rendra tes anciens souvenirs et effacera les nouveaux !

-Et si je refuse de les perdre ?

-Je ne t'aiderai pas à reprendre les autres !

Les deux garçons se mesurèrent du regard, mais Arthur avait conscience que l'oncle de Robert pouvait lui être d'une très grande utilité. Sans sa mémoire il ne savait pas qui il était ni où il habitait, ce qui était passablement problématique. Il ne connaissait pas le moindre endroit où il pourrait se réfugier. Peut-être pourrait-il aller expliquer son problème à un poste de police ou à un hôpital. Mais les médecins seraient-ils en mesure de le guérir ? Un magicien n'était-il pas davantage qualifié dans ce domaine ?

- Très bien, finit-il par accepter. Allons chez ton oncle.

-D'accord, sourit Robert, heureux d'avoir trouvé un accord. Mais avant....

Il se concentra, tendit les mains en avant et prononça distinctement :

-Vestimenta mutent !

Il y eut un éclair et l'armure disparue. Robert était à présent habillé avec un jeans et un pull.

Arthur écarquilla les yeux.

-C'était du latin ?

-En quelque sorte. C'est avec cette langue que nous incantons. Ou avec du grec ancien pour des sorts plus complexes, mais je t'avoue que je le maîtrise très mal.

-Vous devez connaître ces deux langues alors ?

-Oui. Pas dans ton monde ?

Arthur réfléchit. Avait-il appris des langues anciennes ? Un très vague souvenir de déclinaison lui arriva à l'esprit.

-Je ne peux pas te donner une réponse claire, conclut-il. Mais dis-moi, qu'est-ce qu'est cette histoire de mondes ? Il y en a donc plusieurs ?

-Oui, même si en théorie les gens de ton monde sont censés l'ignorer. D'après nos savoirs anciens il y a deux mondes, le mien, où la magie se pratique, et le tien, que nous appelons par commodité la Terre, même s'il semble s'agir de la même planète. Mais certaines personnes prétendent qu'il est tout à fait possible qu'il existe bien d'autres mondes que nous n'avons pas encore découverts.

-Et, sans vouloir être indiscret, comment t'es-tu retrouvé ici ?

-Mon oncle habite dans les environs. Je suis en vacances chez lui. J'aime bien aller dans ton monde de temps en temps. C'est tellement dépaysant !

Maintenant qu'il savait qu'Arthur oublierait tout, Robert se montrait tout à fait disposé à répondre à des questions, et paraissait même y prendre plaisir, comme s'il mourait d'envie de se confier à quelqu'un depuis longtemps. Son compagnon en profita pour en apprendre un maximum, il verrait bien plus tard comment protéger sa mémoire. Pour le moment il se contentait de laisser sortir les questions qui se bousculaient dans sa tête.

-Tu peux utiliser la magie dans ce monde. Est-ce que moi aussi je pourrais l'apprendre?

-Non. La magie n'est pratiquée que par un petit groupe de personnes dans mon monde, presque tous membres de l'aristocratie. Nous pouvons faire de la magie partout, mais aucun cas n'a jamais été signalé dans votre monde, à une ou deux très rares exceptions près.

Arthur se sentit profondément déçu et se promit d'essayer tout de même quelques formules latines. On ne savait jamais... Dans les histoires que l'on pouvait lire, le héros se rendait en général compte qu'il avait des pouvoirs magiques, dans presque tous les cas bien supérieurs à la normale. Et Arthur se sentait tout à fait lancé dans un roman. Il en avait totalement oublié son angoisse et avait mis provisoirement de côté la question de ses souvenirs oubliés. L'aventure venait de commencer !

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