28. Le retour d'Absalom


     Robert n'avait pas exagéré quant à la qualité du banquet. Arthur n'avait jamais vu autant de nourriture rassemblée au même endroit. Les longues tables regorgeaient de plats variés de viandes de toutes sortes. Des corbeilles débordaient de petits pains blancs cuits le jour même. Des fruits aux couleurs vives étaient disposés ça et là et semblaient avoir un rôle aussi esthétique que gustatif.

Arthur, cependant, ne parvenait pas à avoir faim, bien trop occupé à chercher à repérer l'elfe blanc qui devait être perdu quelque part au milieu de la foule dense. Il ne savait même pas à quoi il ressemblait. Jusqu'à présent il n'avait croisé brièvement que des elfes noirs,  lorsque ces derniers les avaient attaqués sur la route.

— Bah, les elfes blancs sont physiquement exactement pareils que les autres, lui répondit Robert entre deux bouchées lorsqu'il l'interrogea. Après tout, ils formaient autrefois un seul et même peuple. Les blancs sont juste vaguement plus sympas. Tu es sûr que tu ne veux pas de ce pâté ?

— Non merci. Tu es vraiment certain de ne pas avoir vu cet elfe ?

— Oui. Bon, écoute, si cela peut te tranquilliser l'esprit, je vais aller me renseigner ça et là pour essayer de trouver l'elfe et te l'amener ici par la peau du cou pour que tu puisses l'interroger autant que tu voudras. Comme cela je pourrais ensuite continuer à manger en paix.

— Merci, lui répondit Arthur avec une grande gratitude.

Il se laissa tomber sur un banc, fatigué d'avoir passé autant de temps debout. Autour de lui, les convives, pourtant repus semblaient de plus en plus excités.

— Que se passe-t-il ? demanda le jeune homme à un serviteur qui venait apporter de nouvelles victuailles.

— Absalom vient d'entrer dans le palais, daigna lui expliquer ce dernier en disposant des petits fours sur une table. Il va paraître dans cette salle d'ici quelques minutes.

Arthur se sentit encore plus gagné par l'impatience environnante et sauta sur ses jambes à nouveau. Il avait tout autant envie de rencontrer le mage que l'elfe blanc. Le jeune homme ne pouvait s'empêcher d'être cependant également anxieux. Allait-il enfin découvrir son identité ? Et si la vérité ne lui plaisait pas ? S'il apprenait qu'il n'était qu'un simple Terrien sans aucune particularité, arrivé à Mundus par erreur ?

Il vit du coin de l'œil son ami se frayer un chemin à travers la foule dans sa direction. Il était suivi par un homme sans âge aux oreilles pointues qui paraissait profondément s'ennuyer.

— Voici Horace, lui présenta Robert lorsqu'ils furent à portée de voix. C'est un elfe de la cour de la reine. Mais il dit qu'aucune marque n'a été accordée à un humain depuis au moins cent ans.

— Montrez-moi votre marque, commanda l'elfe d'un ton autoritaire en le regardant droit dans les yeux d'un air perçant.

C'était le premier elfe qu'Arthur avait l'occasion d'examiner attentivement. Sans dégager l'impression de cruauté qui caractérisait les elfes noirs, leurs cousins blancs étaient aussi impressionnants et, par là-même, assez effrayants.

Arthur lui présenta timidement sa main que l'elfe saisit, puis fit apparaître la marque. Horace le lâcha aussitôt comme s'il avait été brûlé.

— Cette marque n'a pas été apposée par mon peuple mais par les elfes noirs.

Quoi ? Qu'est-ce que les elfes noirs avaient à voir avec cela ? Arthur aurait voulu lui poser davantage de question, mais le soudain silence qui s'était levé dans la salle lui apprit qu'Absalom venait enfin d'apparaître. Tous les regards se braquèrent aussitôt sur lui. Souriant, le mage blanc s'avança vers le roi et s'inclina gravement.

Arthur le dévora du regard, fasciné par l'apparition de celui qui avait été promu au rang de légende vivante. La peau du visage sérieux du mage était d'un brun foncé, ses cheveux, noirs comme le jais, étaient recouverts d'un petit bonnet. Il était vêtu d'une tunique d'un bleu vif aux bordures d'or. Comme le jeune homme l'avait entendu dire à plusieurs reprises, Absalom semblait peu âgé. Sans doute ne dépassait-il pas les vingt-cinq ans. Il paraissait cependant si serein et si sage qu'il aurait pu être né il y a une centaine d'années.

C'était l'homme qu'Arthur avait vu dans la vision que lui avait donnée l'arbre géant de l'Académie.

— Relevez-vous, ordonna le roi avec bienveillance en allant lui-même à la rencontre du nouveau venu. Vous avez sauvé notre royaume et peut-être même le monde tout entier. Pour cela recevez notre entière reconnaissance.

Le murmure de la foule approuvait avec enthousiasme les paroles du souverain.

Absalom promena son regard pénétrant sur l'assemblée avec un sourire modeste. Ses yeux se posèrent sur Arthur.

Et tout devint noir.

                                *

Arthur ouvrit les yeux et gémit. Il avait l'impression que l'intérieur de sa tête était en feu. Il se roula en boule, les mains posées sur son front, sans réussir à calmer la douleur.

Cette scène avait une nette impression de déjà vue et le jeune homme espéra qu'il n'allait pas prendre l'habitude de se réveiller seul dans des endroits inconnus. Cette fois-ci, cependant, il ne se trouvait pas dans une paisible clairière mais dans une salle étroite et sombre recouverte d'un pavé dur et froid. Les barreaux posés sur la porte ne laissaient aucun doute quant à la fonction de cette pièce. Il s'agissait bien manifestement d'une cellule.

Arthur remarqua qu'une paillasse assez malodorante était posée contre le long du mur. Sa propreté laissait à désirer, mais sans doute était-elle un peu plus confortable que le sol nu. Il s'y laissa tomber en grimaçant, perclus de douleurs. La brûlure de sa tête s'apaisa légèrement au bout de quelques minutes et le jeune homme se dit alors qu'il était peut-être temps de réfléchir à sa situation actuelle.

Il se remémora les événements précédant sa perte de connaissance. Absalom s'était tourné vers lui. Ses yeux s'étaient écarquillés et il avait fait un geste de la main. Lui avait-il... jeté une sort ? Quel sens trouver à tout cela ? Et pourquoi était-il enfermé dans ce lugubre endroit ?

Arthur s'efforça de respirer calmement. Il était bien trop épuisé pour réussir à trouver une explication un tant soit peu rationnelle. Robert avait vu ce qui s'était passé et allait venir l'aider. Il ne le laisserait pas tomber. Ce malentendu finirait très vite par se dissiper. En attendant il avait vraiment mal. Au moins avait-il conservé ses nouveaux souvenirs cette fois. C'était probablement l'unique point positif qu'avait ce réveil par rapport à celui de la clairière.

Epuisé, il ferma les yeux et sombra dans un sommeil dépourvu de tout rêve.

                                  *

Arthur fut réveillé sans douceur par une voix qui criait son nom. Une voix familière, celle de Robert. Incroyablement soulagé, il se redressa et se tourna vers son ami qui se tenait de l'autre côté des barreaux. Lorsqu'il croisa son regard, son commencement de sourire s'évanouit cependant aussitôt de son visage.

— Que ce qui se passe ? bredouilla t-il avec inquiétude.

Le chevalier avait l'air hors de lui, à tel point qu'il lui fallut un moment avant de réussir à parler.

— Tu t'es bien moqué de moi hein, cracha t-il. Tu joues l'amnésique et moi, bêtement, je t'aide.

Arthur n'y comprenait plus rien. S'il y avait quelque chose de plus étrange que de se réveiller soudainement dans une cellule, c'était bien de voir son ami chevalier faire preuve envers lui d'une telle colère.

— Mais que racontes-tu ?

Robert frappa contre le mur avec rage.

— Arrête de faire l'innocent ! Tout le monde est au courant de ton petit jeu, alors ça ne sert plus à rien de prétendre être quelqu'un d'autre ! Dis-moi ce que tu as fait de ma sœur.

Arthur plongea encore davantage dans l'incompréhension. Il songea à Blanche et Catherine sans savoir ce qu'il aurait bien pu leur faire. Il ne les avait pas vues depuis des semaines.

— Ta sœur ? Laquelle ?

Son ami se rapprocha et, pour la première fois, le jeune homme apprécia pleinement d'être séparé de lui par des barreaux.

— Tu as intérêt à me dire ce que tu as fait de Charlotte...

— Charlotte ?

Une vague théorie pour le moins dérangeante commença à naître dans l'esprit d'Arthur.

— Comment donc, demanda t-il pour confirmer son idée pourtant absurde, tu crois que j'ai quelque chose à voir avec Athanasios?

Cela n'était après tout pas tout à fait impossible, même si le jeune homme n'aimait pas du tout cela. Il était incapable de dire qui il était. Peut-être aurait-il pu avoir un lien quelconque avec le dangereux mage noir.

La réponse de Robert le stupéfia cependant au-delà du raisonnable.

— Tu es Athanasios.

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