23. Un pont de lumière
Arthur leva les yeux pour admirer une nouvelle fois l'incroyable bâti qui lui faisait face. L'Académie s'élevait avec grâce au milieu d'un lac aux eaux turquoises. Elle semblait avoir été construite tout autour d'un arbre gigantesque dont le sommet s'élevait à plus d'une centaine de mètres de hauteur. Le bâtiment principal s'enroulait le long de son tronc en symbiose parfaite. On aurait presque pu le croire lui aussi d'origine végétale s'il n'y avait eu accroché à sa façade un monumental haut-relief représentant un colosse assis sur un trône de pierre. Plusieurs autres édifices de tailles plus modestes se dressaient autour de lui au milieu d'arbustes. Une enceinte circulaire aux parois lisses englobait l'ensemble.
— Cet endroit est fascinant, dit Arthur avec conviction.
Il lui semblait impensable qu'il puisse être de construction humaine.
— C'est vrai que cela fait un certain effet la première fois que l'on vient ici, concéda l'apprenti chevalier en s'efforçant de prendre un ton blasé.
Mais il regardait lui aussi la forteresse avec des yeux émerveillés.
— Es-tu souvent venu ici ?
— Deux fois, déjà. Une première fois lorsque j'étais enfant, pour tester mes capacités magiques. C'est une sorte de tradition que suivent les membres d'une famille noble.
En regardant l'expression renfrognée que prit son ami, Arthur comprit que cette expérience n'avait pas été particulièrement agréable pour lui.
— Et je suis retourné une seconde fois à l'Académie il y a environ deux ans, pour accompagner mon frère Pierre lorsqu'il est venu s'installer ici, poursuivit Robert comme si de rien était.
— L'architecture est très différente de tout ce que j'ai vu jusqu'à présent à Mundus, observa Arthur en admirant de discrètes tourelles rondes qui s'élevaient en élégantes spirales.
Il avait l'impression d'être entré dans un autre monde parallèle.
— Il s'agit d'une antique forteresse bâtie par les elfes et abandonnée après l'arrivée des humains, expliqua Robert. On dit que les lieux regorgent de secrets dont la plupart restent à découvrir.
Les chevaux s'avancèrent jusqu'au bord du lac et s'immobilisèrent. Arthur ne savait pas comment ils allaient pouvoir atteindre l'Académie. Il ne voyait aucun pont ni barque qui leur permettent de traverser l'eau.
Ils attendirent un long moment en silence. Au moment où le jeune homme commençait à s'impatienter, une haute porte s'ouvrit dans l'enceinte et un groupe de cinq hommes vêtus de rouge en sortit. Ils s'alignèrent en face de l'eau, espacés chacun d'un mètre, et levèrent les bras dans un geste parfaitement coordonné.
— Pons junctus, crièrent-ils d'une seule voix.
Il y eut une clarté éblouissante. Des faisceaux de lumière s'entrecroisèrent à la surface du lac, tissant un large chemin étincelant.
Les hommes en rouge abaissèrent leurs bras.
Charles d'Aspignan éperonna sa monture et s'engagea résolument sur le pont translucide. A la grande surprise d'Arthur, les rayons lumineux parurent supporter son poids. Louis suivit aussitôt son père. Robert et son ami en firent de même. Les chevaux piaffaient nerveusement. Leurs sabots claquaient sur le sol de lumière sans provoquer le moindre bruit.
— Cette magie est incroyable murmura Arthur.
Il parlait à voix très basse, ayant l'étrange impression que le pont pouvait se briser à tout instant.
— Le sort est lui aussi d'origine elfique, expliqua Robert qui semblait décidément très savant au sujet de l'Académie. Personne ne sait très bien comment il fonctionne. Enfin, tant qu'il marche, moi ça me va...
Un homme grand et sec d'une cinquantaine d'années, portant une toge pourpre et or, apparut devant la porte, suivi de près par un jeune homme en bleu qui abordait le grand sourire enthousiaste caractéristique des Aspignan.
— Celui de derrière, c'est mon frère, chuchota inutilement Robert. Le premier doit être un haut mage professeur du Grand Conseil, vu son costume et son air coincé.
Le haut mage inclina brièvement la tête devant Charles qui lui rendit son salut.
— Soyez les bienvenus à l'Académie, nobles voyageurs. Des chambres vous ont été préparées. Vous pourrez séjourner dans nos murs aussi longtemps que vous le souhaiterez.
Charles le remercia et entreprit de converser avec lui à voix basse.
Arthur et Robert mirent pied à terre et confièrent leurs montures à des serviteurs qui se tenaient derrière les hommes qui avaient fait apparaître le pont.
Des personnes de tous âges allaient et venaient, n'accordant aucune attention aux nouveaux arrivants. Certains étaient vêtus de la même tunique bleue que Pierre d'Aspignan. D'autres portaient d'amples vêtements blancs. Un groupe de jeunes hommes habillés tout en noir traversa le jardin. Arthur vit Robert les suivre du regard avec un air envieux.
Pierre s'approcha d'eux.
— Bonjour mon cher Robert. Bientôt adoubé, à ce que j'ai entendu dire ?
Rober donna l'accolade à son grand frère.
— J'ai tant hâte ! Et toi, tes études tirent également à leur fin, non ?
Le grand jeune homme sourit.
— C'est vrai. Mais j'envisage de les poursuivre encore un an pour obtenir des compétences supplémentaires. Je me plais bien ici.
Il se tourna alors vers Arthur.
— Tu dois être Arthur. J'ai beaucoup entendu parler de toi par ma famille. Tu es un vrai mystère, à ce qu'on dit.
— Et encore, tu n'es pas au courant des derniers événements, ajouta Robert.
Il entreprit de lui raconter l'attaque des elfes noirs et la marque apparue sur la main d'Arthur.
Pierre parut particulièrement intéressé et demanda au jeune homme s'il pouvait la rendre à nouveau visible.
Arthur avait passé tout le voyage à s'efforcer de faire apparaître les traits elfiques. Il s'était sensiblement amélioré. Pour toute réponse, il tendit sa main à Pierre. La marque se grava instantanément sur sa peau.
Le mage la regarda avec un grand intérêt.
— Il y a bien des idéogrammes elfiques anciens, remarqua-t-il en suivant des signes qu'Arthur avait naguère pris pour des dessins géométriques. Je ne les connais pas, mais je suis certain que mon professeur de langue elfique sera en mesure de les lire. Je lui en parlerai demain, si cela te convient.
Il lâcha la main d'Arthur qui laissa la marque s'effacer.
— J'ai des affaires à régler avec Père, commenta Pierre. Robert, peut-être pourrais-tu faire visiter l'Académie à ton ami ? Nous nous retrouverons pour le dîner.
L'apprenti chevalier acquiesça d'un signe de tête et se tourna vers Arthur. Il pointa du doigt un bâtiment comportant des colonnes et un vaste frontispice.
— Voici le temple des mages chercheurs. Celui qui se trouve en face sert aux guérisseurs. Quant aux mages de combat, il utilisent une arène au fond des jardins.
— Combien de personnes habitent ici ? demanda Arthur qui s'étonnait de voir autant de monde.
— Je l'ignore. Des centaines au moins. Les plus nombreux sont les enfants et les jeunes gens qui y suivent leur apprentissage. Mais il y a également un certain nombre d'autres mages expérimentés qui viennent consulter les ouvrages de la bibliothèque de l'Académie. C'est le bâtiment que tu peux apercevoir tout autour du grand arbre. On raconte que c'est l'endroit qui conserve le plus de livres de tout le royaume et que tout le savoir du monde y est rassemblé. Je veux bien le croire. Je n'y suis allé brièvement qu'une seule fois, mais j'ai pu constater qu'il y avait des livres à perte de vue.
Arthur le regarda, les yeux brillants.
— J'aimerais bien aller voir cet endroit par moi-même. Et Absalom, a-t-il également étudié ici ?
Robert haussa les épaules.
— Pas que je sache. On dit qu'il vient d'une contrée lointaine et exotique. Sans doute y a-t-il là-bas l'équivalent de l'Académie.
— Probablement.
Le jeune homme leva la tête pour essayer de percevoir le sommet de l'arbre gigantesque qui se trouvait au centre exact de l'île.
— De quelle essence s'agit-il ? Je ne crois pas qu'il existe d'équivalent sur Terre.
— Je l'ignore. Il s'agit d'un cas unique dans le royaume de Galva. La légende elfique rapporte que ce arbre serait une très ancienne divinité pétrifiée. Il apporterait la sagesse à ceux qui le demanderaient.
Arthur le regarda avec scepticisme.
— Et comment s'exprimerait-il ?
— Il suffirait de le toucher pour entendre sa voix. Cela ne m'a rien fait lorsque j'ai essayé. Peut-être qu'au fond de moi je n'ai pas réellement envie d'être sage. Mais tu peux toujours tenter.
Les deux amis s'approchèrent du tronc jusqu'à trouver une petite portion laissée libre par l'élévation du bâtiment.
Après un instant d'hésitation, Arthur avança sa paume et la plaqua contre l'arbre. Un flash de lumière l'éblouit aussitôt. Il vit un homme à la peau très sombre qui se trouvait en face de lui, les mains posées sur son front. Le jeune homme pouvait presque sentir la chaleur de son toucher.
— Laisse-toi faire. C'est pour ton bien, lui disait l'homme en le regardant avec intensité.
Arthur retourna brusquement à la réalité et recula.
— L'arbre t'a dit quelque chose ? s'enquit Robert, très intéressé.
— Non, répondit Arthur, perturbé. Il m'a plutôt montré quelqu'un. Mais je n'en suis pas certain...
Les images étaient déjà en train de disparaître dans son esprit. Il posa à nouveau sa main sur le tronc mais ne ressentit que la rugosité de l'écorce.
— J'ai cru..., marmonna-t-il.
Des exclamations provenant de la direction que l'apprenti chevalier avait désigné comme une arène l'interrompirent. Robert se redressa.
— Ça doit être l'heure de l'entraînement des mages de combat. Viens, nous ne pouvons pas manquer cela !
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