22. La marque elfique


Arthur resta figé sur place, stupéfait. Son agresseur, déjà, disparaissait au loin et le jeune homme songea vaguement qu'il aurait peut-être dû le retenir pour l'interroger sur son étrange déclaration. Ou peut-être pas. Il venait après tout d'échapper de peu à la mort. Sans doute devait-il s'estimer heureux de cette fuite inespérée. Une question, toutefois, tournait en boucle dans sa tête : comment un elfe noir pourrait-il connaître son identité ? Quelle explication un tant soit peu rationnelle imaginer pour tout cela ?

Arthur entendit la voix lointaine de Robert l'appeler. L'instant d'après, les buissons s'agitèrent et il vit surgir en trombe son ami.

— Que s'est-il passé ? lui demanda l'apprenti chevalier. Nous avons vu cet elfe et tu t'étais volatilisé...

— Je...je vais bien, bredouilla le jeune homme, encore sous le choc. Regarde !

Il brandit sa main droite devant le visage de son ami.

— Que suis-je supposer voir ? s'enquit Robert en louchant.

Le jeune homme retourna son bras. La marque avait disparu. Il secoua sa main dans l'espoir de la voir réapparaître, sans succès.

— Tu as mal quelque part ? s'inquiéta l'apprenti chevalier qui le regardait d'un air préoccupé.

— Non, mais...

Arthur entreprit de lui raconter ses dernières aventures. Son ami s'empressa d'aller examiner le drone sous tous les angles.

— Cette chose vient vraiment de ton monde ? Incroyable !

— Oui, répondit Arthur d'un ton qui se voulait réprobateur. On dirait bien que tu n'es pas le seul à faire passer en douce de la marchandise terrienne...

Robert, toutefois, ne l'écoutait pas et contemplait toujours le drone avec fascination.

— Tu crois qu'il rentrerait dans ma sacoche ?

Le jeune homme roula des yeux.

— Non.

— Hm. Je pense aussi...Nous n'avons donc pas d'autres choix que de montrer cette machine à mon père. Il ne me laissera probablement pas la garder...

— Et que penses-tu de cette marque ? Et de l'attitude de l'elfe ? Il paraissait savoir qui j'étais.

— Oui, c'est étrange. Et tu dis que cette chose est capable de voler ?

— C'est à cela que servent les hélices. As-tu déjà vu des personnes ayant ces sortes de tatouages incandescents?

— Non. Il faudra aussi en parler à mon père. Tu crois que je peux soulever cette machine sans l'abîmer ?

— Vas-y, soupira Arthur en rendant les armes.

Le jeune homme avait la nette impression que le drone obnubilait bien trop l'apprenti chevalier pour qu'il puisse se concentrer sur autre chose...

Robert se pencha et saisit délicatement l'objet mécanique comme s'il soulevait un trésor inestimable et ils rejoignirent le reste de l'expédition.

L'ordre d'installer le camp pour la nuit devait venir d'avoir été donné car les serviteurs commençaient à sortir de longs mats et de lourdes toiles. D'autres dressaient des tables de fortune faites de planches et de simples rondins de bois.

Le camping à Mundus était une affaire extrêmement sérieuse. Arthur avait été estomaqué le premier soir en voyant s'élever de luxueuses tentes bicolores garnies d'auvents à fanions qui se révélèrent être de véritables petites maisons. Le pavillon du seigneur d'Aspignan, sur lequel flottait un étendard aux armes de la famille, était le plus imposant et montait à plus de trois mètres de hauteur. Plusieurs personnes pouvaient sans inconfort s'y tenir debout ou assis sur des chaises pliantes. Charles disposait même d'un lit de voyage qui réquisitionnait à lui seul tout un chariot. Robert, Arthur et Louis partageaient une autre maisonnette en toile rouge et bleu et dormaient sur de simples matelas. Les domestiques se contentaient de tentes octogonales plus modestes.

Il fallait plus de deux heures, chaque soir et chaque matin, pour installer puis lever le camp.

— C'est pour cela que nous ne voyageons pas beaucoup, avait expliqué un soir l'apprenti chevalier à son ami. Transporter tout ce matériel est à chaque fois un tel embarras.

Ils devaient être prêts à partir chaque jour au moment du lever du soleil. En l'absence des infrastructures terriennes, voyager de nuit ou par mauvais temps était impossible. La pluie transformait les routes en terre en champ de boue qui bloquait les roues des chariots. Ils avaient ainsi été immobilisés plusieurs jours de suite pendant une longue intempérie, restant à l'abri des tentes à jouer aux dés tout en regardant la pluie dégouliner des auvents. Arthur avait appris les règles du latruncula, une variante munudusienne bien plus complexe des échecs. Il perdait systématiquement ses parties mais soupçonnait Robert d'inventer des règles au fur et à mesure pour gagner.

— Venez donc voir ce que nous avons trouvé ! cria l'apprenti chevalier lorsqu'il furent à portée de voix du camp.

Les chevaliers se rassemblèrent en cercle. Ils examinèrent le drone avec perplexité et écoutèrent Arthur décrire sa marque. Aucun d'entre eux, néanmoins, ne put proposer une explication à l'un ou l'autre des phénomènes.

Ce n'est que deux jours plus tard, alors qu'ils s'étaient arrêtés au bord de la route pour se sustenter, qu'Arthur parvint à nouveau à faire apparaître la marque. Il s'était efforcé, des heures durant, de la rendre visible. Le jeune homme avait tout essayé. Il avait agité sa main de toutes sortes de façons possible, avait tâché de ressentir la même peur qui l'avait saisie devant l'elfe noir, s'était concentré aussi fort qu'il le pouvait. Rien n'avait semblé fonctionner. Puis, à l'instant, alors qu'il s'apprêtait à abandonner, il avait ressentit la même brûlure lui déchirer le dos de la main.

Arthur sauta sur ses pieds et s'empressa de se diriger vers les Aspignan qui étaient installés devant un feu de camp pour leur montrer la marque. Les traits, cependant étaient déjà en train de s'estomper sans que le jeune homme put rien y faire.

— Cela m'a fait penser à des idéogrammes elfiques, fit remarquer Louis lorsque la marque eut achevée de disparaître. Cela pourrait expliquer pourquoi ton elfe a paru comprendre de quoi il s'agissait.

De l'elfique ? Arthur observa pensivement sa main à nouveau vierge. Il était arrivé à un point où plus rien ne l'étonnait.

Charles se gratta le menton.

— Cela y ressemble, en effet. Je n'ai cependant reconnu aucun caractère alors que le vieux mage qui m'avait jadis servi de précepteur m'avait forcé à retenir plus de milles signes de ce langage atrocement abscons lorsque j'avais votre âge.

— Cette langue ne peut-elle pas s'apprendre par magie, comme celle de votre royaume ? s'étonna Arthur qui se souvenait de la facilité avec laquelle il l'avait assimilée.

— Non, grommela Robert. Les elfes l'ont ensorcelée il y a des millénaires pour la protéger contre cette pratique. Ils prétendent que l'usage de leur précieux vocabulaire doit se mériter par de longues études et bla bla bla. Cela explique pourquoi je n'en parle pas un mot. La plupart d'entre eux maîtrisent le langage humain, alors à quoi bon ? De plus, je n'ai quasiment jamais rencontré d'elfes blancs et je ne fais que combattre les elfes noirs. Nul besoin de leur faire la conversation pendant que je leur tape dessus, n'est-ce-pas ?

S'il y avait une indéniable part de bon sens dans ce point de vue, Arthur aurait néanmoins apprécié que son ami puisse être capable de déchiffrer la marque...

— Qui pourrait me lire ces idéogrammes ? s'informa-t-il.

— Les mages de l'Académie, lui assura Louis. Nous y arriverons dans quelques jours, si le temps se maintient. Tu pourras les questionner à ta guise.

S'il était frustré, de devoir toujours attendre, un fait, cependant, remplissait Arthur d'allégresse. Les elfes ne vivaient pas sur Terre. Il avait enfin trouvé la preuve d'un vague espoir qui le faisait fantasmer depuis longtemps : il avait bel et bien un lien avec Mundus. Le jeune homme n'était pas beaucoup plus avancé dans la quête de son identité, mais il se sentait déjà un peu plus à sa place.

Son enthousiasme s'estompa peu à peu au fil des jours. Arthur chevauchait ce matin-là avec lassitude. Il avait de douloureuses courbatures aux jambes à force de monter et n'avait pas dormi dans un bon lit depuis des semaines. Même le paysage qui l'entourait, pourtant magnifique, ne parvenait pas à le tirer de sa mélancolie. Il observa d'un œil blasé les hautes collines pierreuses qui s'élevaient de part et d'autre de la route. La végétation se faisait rare. Quelques arbres au tronc noueux avaient recouvert leurs branches de délicates fleurs rosées qui s'envolaient avec grâce au grès des vents. L'une d'entre elles vint atterrir sur le nez du jeune homme. Il l'a repoussa d'un geste de la main sans apprécier son parfum printanier qui le fit éternuer.

Le cheval de Robert vint se positionner à côté du sien.

— Je connais quelque chose qui va te remettre de bonne humeur, commenta l'apprenti chevalier avec un petit sourire en coin.

Arthur tourna des yeux moroses vers son ami.

— Quoi donc ?

— Nous arrivons à l'Académie.

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