19. Par une nuit de pleine lune
Ce soir-là, Arthur eut beaucoup de mal à s'endormir. Allongé sur le lit moelleux de la chambre que l'on avait mise à sa disposition, il ressassait sa situation. Ses recherches n'avaient guère progressé depuis son arrivée à Mundus. Il ignorait toujours qui il était et les pistes qui auraient pu lui permettre de le découvrir semblaient s'effacer les unes après les autres. Que deviendrait-il s'il ne retrouvait jamais la mémoire ? Resterait-il à vivre au crochet des Aspignan ? Comment pourrait-il gagner sa vie ? Il ne savait rien faire...
Ses pensées se firent de plus en plus confuses et le jeune homme sombra dans un songe agité. Il rêva qu’il s’était lancé dans une quête pour retrouver la princesse elfe disparue en compagnie de Robert. Ils chevauchaient tous deux des poules géantes qui avançaient en battant des ailes sur une vaste étendue d’eau.
« Tu vois, lui dit son ami entre deux caquètements, tu as trouvé qui tu es. Tu es un dresseur de volailles ».
Lorsque Arthur protesta qu’il n’entendait rien aux gallinacés, sa monture, courroucée, l’éjecta de son dos d’une ruade. Il s’enfonça tête la première dans l’eau glacée. Le jeune homme agita frénétiquement les bras, mais la surface semblait s'éloigner encore et encore. Il y eut brusquement une grande lumière aveuglante et le rêve changea. Arthur se trouvait à présent avec Rose dans un pré recouvert de fleurs multicolores. La fillette riait et tournait sur elle même tandis qu’il la regardait en souriant, nonchalamment allongé sur l'herbe. Des papillons voltigeaient tout autour de lui dans un gracieux ballet.
— Regarde, Arthur, ordonna soudain sa soeur.
Elle ouvrit ses paumes et fit sortir de petites flammes en forme d'oiseaux.
Arthur applaudit.
— Bravo, Rose ! Tu es très douée.
— Regarde, regarde ! insista la fillette.
De plus en plus de flammes jaillissaient de ses mains. L'herbe du pré commença à prendre feu.
Le jeune homme se redressa.
— Rose, fais attention !
Mais sa sœur semblait prise d'une véritable frénésie et tournoyait de plus en plus vite. Bientôt elle ressembla à un tourbillon de flammes déchaînées. L'incendie se propageait à toute vitesse sur la prairie. Arthur se retrouva cerné.
— Rose, arrête !
Une flamme plus haute que les autres l'atteignit au poignet, lui causant une vive douleur.
Le jeune homme cria en reculant précipitamment. Il jeta un regard désespéré autour de lui. Il fallait qu'il trouve un passage à travers ce mur de feu qui se rapprochait de lui inexorablement. Il allait…
Un craquement sourd le tira brusquement de son sommeil.
Arthur haleta en s’asseyant sur son lit. Ce n'était qu'un rêve, qu'un horrible cauchemar. Il lui avait semblé si réel... La brûlure sur son poignet lui faisait encore mal.
Les braises mourantes dans la cheminée éclairaient très légèrement la pièce. Le jeune homme sortit son bras de la couverture pour l'examiner. Il eut l'impression de recevoir un coup de massue en constant que son poignet portait réellement une trace de brûlure. Pris de panique, il posa son autre main par dessus et frotta frénétiquement la marque. Ce n'était pas possible. On ne pouvait pas être blessé en rêve. Cette blessure n'existait pas. Ne devait pas exister. Elle devait disparaître.
La douleur s’estompa subitement. Lorsque Arthur retira sa main, son poignet était à nouveau immaculé. Il poussa un profond soupir de soulagement. La brûlure ne devait avoir été qu'une illusion provoquée par son esprit encore mal réveillé.
Un nouveau bruit résonna dans le couloir. Arthur entendit quelqu'un pester. Il lui sembla avoir reconnu la voix de Robert. Ne devait-il pas aller voir ce qu'il se passait ?
S'extirpant bien à contrecœur de la chaleur de son lit, il repoussa ses nombreux édredons et enfila ses chaussures. Lorsqu'il ouvrit la porte de sa chambre, l'apprenti chevalier était en train de se masser le genoux, tenant une torche allumée dans l'autre main. Les yeux d'Arthur furent attirés par la flamme et il repensa dans un frisson au cauchemar qu'il venait de faire.
— Je me suis cogné à l'angle du mur, chuchota Robert d'un air ronchon en le voyant venir vers lui. On ne voit rien du tout avec cette obscurité ! Je ne comprends pas pourquoi on ne pourrait pas faire installer l'électricité à Mundus également !
— Parce qu'il est interdit de rapporter dans ton monde des inventions trop manifestement terriennes ?
Son ami poussa un profond soupir.
— Arthur, tu es bien trop respectueux des lois...Oh, elle s'est remise à marcher ! Dépêchons-nous !
Arthur regarda dans la direction indiquée par son ami et comprit enfin ce que l'apprenti chevalier faisait dans le couloir au beau milieu de la nuit. Il suivait sa plus jeune sœur, Catherine. Le comportement de cette dernière était étrange. Vêtue d'une simple chemine de nuit blanche, elle avançait lentement, les bras légèrement écartés comme si elle cherchait à maintenir son équilibre. Ses yeux étaient clos.
— Que se passe-t-il ? chuchota Arthur, perplexe. Est-ce que Catherine est somnambule ?
— C'est un peu plus compliqué que cela, répondit Robert à mi-voix, l'air inquiet. Viens, elle s'éloigne !
La petite fille avançait de plus en plus vite, semblant voler dans les airs. Elle avait une allure de fantôme, dans sa grande robe blanche. Les deux amis devaient presque courir pour ne pas la perdre de vue, éclairés par la seule lueur de la torche. Lorsqu'ils la rejoignirent enfin, Catherine se trouvait devant l'entrée du donjon. La porte s'ouvrit toute seule en grinçant. Arthur fronça les sourcils. Catherine venait-elle de faire de la magie dans son sommeil ? Sans même incanter ?
Il jeta un regard interrogatif à Robert.
— Je t'expliquerais plus tard, chuchota l'apprenti chevalier.
La fillette courrait pieds nus dans la cour déserte. Il ne faisait pas aussi sombre à l'extérieur qu'Arthur ne l'avait craint. La lune était pleine et éclairait les environs de sa lueur blafarde.
Catherine s'avança jusqu'en plein centre de la cour et s'arrêta net. Elle se retourna lentement et ouvrit les paupières. Arthur eut un mouvement de recul involontaire. Les pupille de la petite fille étaient entièrement blanches et brillaient dans le noir comme les yeux d'un félin. Elle resta immobile un long moment, son regard vide fixé sur le néant. Arthur se sentait frigorifié et entendait Robert claquer des dents à côté de lui. Catherine ne semblait en revanche nullement souffrir du froid. Ses longs cheveux bruns flottaient dans le vent.
Au moment où le jeune homme commençait à penser qu'il n'allait rien se passer de plus, la petite fille leva les bras au ciel. Il y eut une lumière éblouissante comme si un éclair venait brusquement de frapper le sol. La cour se recouvra instantanément d'une épaisse couche de givre bleutée.
Catherine s'écroula aussitôt sur le sol. Robert se précipita vers elle et la souleva dans ses bras, donnant la torche à Arthur.
— Tout va bien, lui dit-il. Elle est juste endormie.
A présent que la fillette était sortie de sa transe, elle grelottait de froid et se serrait instinctivement contre son grand frère.
— Rentrons, proposa l'apprenti chevalier. Fais attention à ne pas glisser sur la glace.
La porte du donjon s'ouvrit avant leur arrivée et Jeanne en sortit, le teint pâle. Elle échangea un long regard préoccupé avec son fils cadet.
— J'ai vu de la lumière dans la cour..., murmura-t-elle.
Elle s'approcha de Robert pour lui prendre Catherine, titubant légèrement sous le poids de la petite fille.
— Je vais la coucher.
Robert acquiesça. Lorsque sa mère eut disparu dans le couloir, il se tourna vers son ami.
— Allons dans la grande salle, proposa-t-il. Je suppose que tu voudrais quelques explications.
Le jeune homme le suivit sans un mot. Il observa l'apprenti chevalier ranimer le feu de la cheminée. Robert faisait tourner le tison entre ses doigts, ne sachant visiblement pas par où commencer.
Arthur entreprit de l'aider.
— Et donc, Catherine est une magicienne ?
— Oh, non. Hm. D'une certaine façon, c'est plutôt l'inverse. Ma petite sœur est ce qu'on appelle une réceptrice de magie. Je ne suis pas très calé sur le sujet. Mon oncle Philippe pourrait te donner des détails bien plus poussés et probablement à moitié incompréhensibles sur ce sujet. Les récepteurs sont des personnes extrêmement sensibles à la magie. A chaque fois qu'ils se trouvent à proximité d'un mage ou d'une manifestation magique ils emmagasinent en eux une partie de l'énergie déployée. Le simple côtoiement d'un mage particulièrement puissant peut suffir à les contaminer, même si ce dernier n'utilise pas ses pouvoirs. Ils sont ainsi capables d'accueillir dans leur corps une quantité de magie impressionnante. Jusqu'au moment où ils ne la supportent plus. A ce moment-là, ils éjectent d'un coup toute l'énergie.
— C'est ce qui vient de se passer à l'instant ? L'éclair, le gel... Catherine a rejeté de la magie ?
— Oui. Elle est encore très jeune et n'est capable pour le moment de ne retenir qu'une portion assez peu importante de magie. Certains récepteurs peuvent conserver des quantités impressionnantes. Lorsqu'ils n'arrivent plus à la contenir, les réactions qu'ils provoquent peuvent être assez... destructrices. La première fois que Catherine a fait usage de ses capacités particulière, elle avait à peine deux ans. Nous avions reçu au château une délégation de magiciens qui avaient utilisé de nombreux sorts pendant toute la journée. La nuit suivante, ma sœur a provoqué un incendie dans sa chambre...
— Pourquoi était-elle ainsi en transe?
— La réception de magie est un phénomène très difficilement contrôlable. Les récepteurs sont rarement conscients lors de leurs crises, ce qui les rend encore plus dangereux. On raconte qu'un jour, il y a très longtemps, une réceptrice a fait exploser une cité entière !
Arthur médita un instant sur toutes les informations qu'il venait de recevoir. Une chose l'intriguait toujours. Il hésita sur la façon de poser sa question puis finit par se lancer.
— J'ai l'impression que vous essayez de cacher le fait que Catherine est une réceptrice. Pourquoi cela ? Parce qu'elle est potentiellement dangereuse ?
Robert eut un sourire triste.
— D'une certaine façon oui, mais c'est aussi qu'elle est elle-même en danger. Tu ne t'en rends pas forcément compte, mais certaines personnes seraient prêtes à tout pour s'emparer d'un récepteur de magie.
Arthur était un peu perdu. Pour quelle raison pourrait-on vouloir enlever une personne qu'il imaginait comme une sorte de bombe à retardement ?
Robert perçut sa perplexité et approfondit ses explications.
— Il faut imaginer les récepteurs comme des réservoirs de magie, un peu instables, certes. Certains mages – et je pense essentiellement aux mages noirs – aimeraient bien pouvoir utiliser cette énergie pour réaliser des sorts particulièrement puissants. Personne ne doit donc savoir que Catherine est une réceptrice de magie. Ou du moins le moins de personnes possible. Ma petite sœur doit de plus éviter au maximum de fréquenter des mages de haut niveau. Les faibles pouvoirs que nous possédons dans la famille, ou même ceux d'Obert, n'ont qu'un impact assez mineur sur elle.
Son ami hocha solennellement la tête.
— Je comprends.
Robert resta un long moment les yeux fixés sur les braises de la cheminée, l'air sombre.
— Tu sais, dit-il au bout d'un moment, l'enlèvement de Charlotte est peut-être dû à la condition de Catherine. Lors de sa dernière crise, elle était sortie à l'extérieur des murailles. Charlotte l'avait entendue et accompagnée. Catherine a provoqué un énorme orage et une pluie de grêle en plein été. Lorsque mes sœurs sont rentrées, Charlotte a cru voir des buissons bouger, comme si quelqu'un les avait surpris. Quelques jours après elle a été enlevée par des partisans d'Athanasios. Peut-être est-ce simplement parce qu'elle est une représentante d'une famille importante du royaume et donc une otage de prix, mais je pense qu'il pourrait y avoir une autre explication. La personne qui les avait espionnées aurait pu mal comprendre la situation et croire que la réceptrice de magie était Charlotte et non Catherine et en aurait fait part à Athanasios. Ce dernier faisait partie de ces personnes qui n'auraient aucun scrupule à utiliser un récepteur...
Arthur trouvait également que cette hypothèse n'était pas invraisemblable et songea qu'Athanasios était décidément responsable de bien des malheurs.
Un fait continuait cependant à l'intriguer. Si la magie d'Obert ou celle de Robert n'étaient pas suffisantes pour avoir un impact sur Catherine, quel magicien était donc responsable de la crise que la fillette venait de subir ?
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